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James Benning : L'Amérique, les mensonges et l'enfance

Par Samy Benammar


(Photo : Samy Benammar)

Devant les portes du Reflet Médicis, j’aperçois les longs cheveux gris de James Benning se mouvoir au sein de la foule de Parisiens gauchistes venus assister à son dernier film, Little Boy (2025). Il y a quelque chose de cocasse à voir se confronter deux époques et deux modalités de lutte. Dans sa plus belle tenue, la jeunesse intellectuelle questionne l’ambivalence politique des discours qui composent le film, tandis que ce monument du cinéma documentaire se contente d’arborer de vieux jeans et un sourire aussi doux qu’insolent. Il navigue dans la foule comme il a dû le faire cent fois, dans les manifestations anti-guerre et les festivals de cinéma. Je l’approche hésitant, comme on s’avance vers un modèle qui serait aussi un ami et un allié.

Dans Little Boy, des discours politiques, allant d’Eisenhower à Hillary Clinton en passant par la militante antinucléaire Helen Caldicott, accompagnent des images fixes de bâtiments industriels américains en modèles réduits. Chacune de ces prises de parole est précédée d’un plan fixe où les mains de huit personnes peignent tour à tour les éléments plastique des maquettes. Après m’être présenté succinctement, je demande à Benning s’il voudrait bien discuter avec moi de l’articulation de l’intime et du collectif dans le rapport aux événements traumatiques de l’histoire. Il accepte de me retrouver le lendemain dans le hall de son hôtel.

 

 

*

 

 

Samy Benammar : Dernièrement, je pense beaucoup à la notion d’image traumatique en lien avec la violence sur la scène internationale. J'aimerais que notre conversation soit guidée par cette idée. Je commence simplement par vous demander de me parler de votre première image traumatique.

James Benning : Il y a probablement des images antérieures, mais je pense tout de suite à une photographie prise au Vietnam. On y voit un groupe de personnes courant sur une route, avec des bombes explosant en arrière-plan. Parmi celles-ci, plusieurs enfants, dont une jeune fille nue, brûlée par le napalm [1]. J'ai vu cette image dans les années 1960, et elle m'a profondément marqué à une époque où j'étais déjà critique de cette guerre et impliqué dans des actions dans le sud. J'étais habitué à la violence de la pauvreté, mais cette image était d’une toute autre intensité.

SB : Diriez-vous que cette image vous revient en mémoire parce que l’expérience initiale vous a marqué ou parce qu’elle a façonné votre perception des choses par la suite ?

JB : Je pense que cette image m'a marqué parce qu'elle justifiait ma colère. Elle m'a fait prendre conscience du privilège de ne jamais avoir été dans une telle situation en tant qu'enfant, même si j'ai grandi dans un quartier modeste. Cette image n'aurait pas eu le même impact sans ce contexte.

SB : Deux éléments me viennent à l'esprit. D'abord, le caractère disruptif de ces images : elles montrent des scènes auxquelles nous ne sommes pas habitué·e·s. Ensuite, la relation entre un traumatisme personnel et un traumatisme médiatisé que représente l’intégration d’archives dans vos films, et ce depuis American Dreams: Lost and Found (1984). Ces archives font-elles le pont entre les expériences individuelle et collective de la violence ?

JB : Oui. C'est une question complexe, en réalité, car je ne considère pas ce que je vis en fonction de ce que les autres vivent. Lorsque je réalise un film, je ne pense jamais vraiment au public. J'espère qu'un public se manifestera, mais je me parle à moi-même, j’essaye de répondre aux questions que je me pose. Les images que je collecte ou que j'intègre dans un film sont destinées à m'aider à comprendre ma propre vie, à la situer dans un contexte plus large et à comprendre ma place dans le monde. J'espère ensuite que ce qui m'intéresse suscitera l'intérêt d'un public.

Lorsque je collecte des discours ou des images, ce n'est pas pour changer le monde ou influencer les idées des autres, mais pour clarifier ma propre compréhension. J'espère que les images qui m'intéressent captiveront également d'autres personnes, bien que je ne sache pas exactement comment elles les percevront, car je ne connais pas leur vécu. Cependant, j'espère que mon travail résonnera à la fois avec des gens qui ont moins d'expérience que moi et des gens qui en ont davantage, nous permettant ainsi de nous retrouver autour de ces idées.

SB : Hier, vous avez introduit Little Boy en lisant un poème listant les « personnages » du film. Grâce aux longs plans que vous utilisez, nous avons pu observer combien chacun d’eux peint différemment. Y apparaît une diversité du quotidien qui peut aussi être réfléchie sur un plan métaphorique. Comment peignons-nous le monde qui nous entoure ? Quelle couleur chacun donne-t-il à l’Amérique ? Sans information sur la relation de ces individus avec les discours que nous entendons, on est forcés de reconnaître notre « ignorance » de l’autre. C’est une question qui m’a rappelé l’apparition de la jeune fille dans Allensworth (2023). La monotonie des plans extérieurs du premier village black des États-Unis est rompue par une séquence dans une salle de classe. Devant le tableau, une jeune fille afrodescendante déclame un discours. À travers une tenue et une posture signalant le poids du système colonial par la métonymie de l’éducation, la prise de parole devient une incarnation physique de la violence raciale. La proposition formelle, quasi matérialiste d’un film que l’on pourrait dire architectural s’effondre. Elle laisse place à l’indispensable corporalité de cette apparition.
 



:: Allensworth (2023) [James Benning]


JB :
Cela ouvre de nombreuses pistes de discussion. Peut-être devrais-je commencer par mentionner que j'ai grandi dans un quartier pauvre et blanc, adjacent à un ghetto noir. Les pauvres blancs et les pauvres noirs étaient montés les uns contre les autres. J'ai donc commencé ma vie avec une vision étroite, marquée par des préjugés issus d’une haine mutuelle qui permettait, en dressant les ouvriers les uns contre les autres, de maintenir les coûts de la main-d'œuvre à un niveau bas. Si la classe ouvrière se bat entre elle, elle ne s'organise pas pour améliorer ses conditions. Puis, j'ai eu la chance d'être au bon endroit au bon moment. À Milwaukee, un prêtre catholique dirigeait une église dans le ghetto noir, et a commencé à organiser de jeunes hommes noirs pour qu'ils revendiquent leurs droits, notamment en matière de logement. Il a invité des Blancs pauvres à se joindre à eux pour briser ces préjugés. Peu de personnes de mon quartier ont saisi cette opportunité, mais je l'ai fait, et cela m'a politisé. Dès mon plus jeune âge, j'ai remis en question ce qui m'avait été inculqué. Je suis devenu plus actif dans le mouvement des droits civiques, en organisant des actions dans le sud, en enregistrant des électeur·ice·s, en créant une école pour les décrocheur·euse·s scolaires et un programme alimentaire. Aujourd'hui, en tant qu'enseignant dans une école autrefois majoritairement masculine et blanche, mais désormais plus diversifiée, j'ai rencontré des personnes très différentes de moi.

Lorsque j'ai réalisé ce film, il était important pour moi de refléter cette diversité. On y trouve un jeune garçon iranien, une personne blanche d'Afrique du Sud, un jeune musulman noir, un homme chinois et un Dominicain. C’est le poème que j’ai lu en introduisant le film. Cette diversité est subtilement visible dans leurs mains, leurs mouvements et leurs noms à la fin du film. Je voulais également montrer l'évolution avec l'âge, les mains vieillissant au fil du film. Le film explore comment une tâche simple peut révéler des différences, qu'elles soient liées à l'âge, à la politique ou à l'identité des personnes. J'ai voulu intégrer ces éléments sans les expliciter, en les suggérant par les titres à la fin. C'est une longue réponse, mais il y aurait encore beaucoup à dire sur votre question.

SB : C’est la notion de partage qui me vient alors à l’esprit. Nous avons tou·te·s entendu ces discours publics ou d’autres équivalents. Nos enfances sont aussi connectées par des jouets communs, comme les cartes de baseball à l’effigie de Hank Aaron dans American Dreams. Je rappelle qu’en battant un record de homeruns jusqu’alors détenu par un Blanc, ce joueur afrodescendant a été victime d’attaques racistes. Ces images communes unissent et séparent.

JB : Je vois l'enfance comme une période où l'apprentissage est excitant et ouvert. Le système scolaire public a souvent tendance à étouffer cette curiosité. Il nous conditionne à suivre des horaires stricts et à nous conformer à un système économique qui exploite plus qu'il n'encourage la créativité et les solutions nouvelles. C'est une manière de nous préparer à des emplois de 9 à 5 plutôt que de stimuler notre potentiel créatif.

SB : Parlant d’enfance, j’aimerais faire un détour par votre court métrage Landscape Suicide (1987) qui explore deux faits divers sanglants à travers le portrait des meurtrier·ère·s. Le premier est construit à partir de l’examen psychologique d’une jeune femme ayant assassiné une cheerleader à coups de couteaux. On y entend une femme fragile, questionnant ses désirs et sa pulsion de mort. Mais avant cette séquence, une voix féminine raconte un voyage en train avec sa fille. Celle-ci aurait déchiré les pages d'un magazine par peur d’un article au sujet de l’affaire.

JB : Landscape Suicide est né de cette expérience, car j'ai réalisé que cet article révélait des informations difficiles à gérer pour ma propre fille. Je ne savais pas exactement ce qui rendait cela effrayant pour elle : était-ce la violence elle-même ou la manière dont la jeune fille était interrogée pour déterminer si elle était homosexuelle ? Ma fille, très jeune, m'avait confié être gay, et je lui avais assuré que sa mère et moi la soutiendrions, tout en soulignant qu'à son âge, il est difficile de comprendre pleinement ce que cela signifie. Lorsqu'elle a lu cet article, elle devait avoir environ 15 ans. Elle a peut-être ressenti que l'article attribuait le meurtre à cette jeune fille en raison de son orientation sexuelle. Cela m'a rappelé un événement de mon enfance : l'affaire Ed Gein dans le Wisconsin, où les gros titres parlaient de cannibalisme. Gein vivait isolé sur une ferme avec sa mère, et la communauté le considérait comme un gentleman, ignorant tout de sa véritable nature. La meurtrière du film, une jeune fille, venait d'une famille plus pauvre que les autres habitants d'Orinda et ressentait la pression d'être la « pauvre » dans une ville riche. J'ai trouvé intéressant de relier ces deux meurtres, bien qu'ils soient très différents, car tous deux découlent d'un sentiment d'isolement. C'est ainsi que le film a pris forme, en explorant ces connexions et ces peurs de l'enfance.


 
:: Landscape Suicide (1987) [James Benning]
 

SB : Je voudrais établir un lien entre Landscape Suicide et Little Boy. Dans le premier, la jeune femme mentionne une chanson qui jouait dans sa voiture avant le meurtre, une chanson qui reste gravée dans sa mémoire. Dans Little Boy, vous utilisez également des chansons populaires correspondant ou non aux époques des discours cités. Vos films questionnent cette mémoire des détails sensoriels qui accompagne les événements traumatiques.

JB : Les chansons populaires et la politique se rejoignent parfois, et certaines chansons permettent d'échapper à la politique, tandis que d'autres en sont directement imprégnées. Dans Little Boy, la chanson Dancing in the Street des années 1960 a été interdite à la radio parce qu'elle était perçue comme un appel aux émeutes dans les rues. Les lieux mentionnés dans la chanson, comme Chicago, étaient des foyers de soulèvements dans la communauté noire, où les gens en avaient assez de l'injustice. Le pouvoir en place qualifiait ces événements de riots (émeutes), tandis que la communauté noire les voyait comme des uprisings (soulèvements). Cette distinction est cruciale. Dancing in the Street est donc profondément liée à la politique de l'époque. En revanche, la première chanson du film, It's Late de Ricky Nelson, est une chanson d'amour adolescente, mais elle peut aussi être interprétée comme une référence à l'horloge de l'Apocalypse, symbolisant la fin imminente du monde. À la fin du film, cette chanson prend une nouvelle signification, plus sombre. La dernière chanson, Fast Car de Tracy Chapman, exprime un désir de fuite et de renoncement, un sentiment que j'ai moi-même éprouvé à un moment de ma vie. C'est maintenant au tour des jeunes générations de prendre le relais.

SB : Ayant passé la moitié de l'année dernière à manifester en faveur de la Palestine, je ressens déjà une certaine lassitude. Même dans la trentaine, on se demande combien de temps il faudra encore lutter pour être entendu·e·s... Peut-être pourrions-nous poursuivre en abordant ce projet de journal intime qui a donné naissance à Little Boy.

JB : Il y a deux ans, juste avant mon 80ème anniversaire, j'ai eu l'idée de créer un journal intime. N'ayant jamais tenu de journal auparavant, je souhaitais consigner des souvenirs comme si je l'avais fait. J'ai fait beaucoup de recherches et échangé avec des ami·e·s pour rédiger un journal aussi fidèle que possible à ce que j'aurais pu écrire à l'époque. Ce journal est un échantillon de souvenirs, tantôt majeurs, tantôt anecdotiques, qui ont marqué ma vie. En rédigeant, j'ai pris conscience que le recul permet de mieux comprendre les événements passés. Mais je m'efforce de ne pas laisser ce recul influencer mon récit, pour éviter de corriger mes actions passées à la lumière de ce que je sais aujourd'hui. Par exemple, en repensant à des comportements sexistes que j'ai pu avoir, je ne veux pas les justifier ou les minimiser, même si je suis aujourd'hui conscient de leur caractère inapproprié. Je tente de traiter ces aspects dans mon journal en reconnaissant mes erreurs sans les excuser. Ce travail m'a également permis de réfléchir à mon engagement politique et à mon obsession pour mon travail artistique, qui a souvent pris le pas sur d'autres aspects de ma vie. En tant qu'artiste, il est essentiel de constamment penser à son œuvre, et j'essaie de capturer cette intensité dans mon livre. Depuis que j'ai commencé ce projet, j'ai réalisé deux films, Breathless (2024) et Little Boy, que je considère comme des œuvres mineures, bien que j'en sois satisfait. Je suis agréablement surpris par l'accueil positif de Little Boy.

SB : Cela me fait penser à une question peut être naïve : diriez-vous que vous êtes devenu moins impliqué politiquement en vous concentrant davantage sur vos films ? Ou est-ce une forme différente d'engagement ?

JB : Je dirais que mon engagement est différent aujourd'hui, mais il reste présent. Quand j'ai commencé à réaliser des films, je pensais ne pas vouloir faire de films politiques, estimant que l’action politique passait avant tout par des mouvements clandestins et radicaux. Mais la politique était trop importante et est devenue une partie essentielle de mon travail. Dans mon enseignement, je ressens aussi une responsabilité particulière. J'enseigne dans une école d'art très coûteuse, où les étudiant·e·s contractent souvent d'importants prêts ou sont soutenu·e·s par des familles privilégiées. Je me sens donc investi d'une mission : amener ces étudiant·e·s à questionner leurs privilèges et à s'interroger sur les raisons qui les poussent à s'endetter.

Little Boy aborde cette question à travers un discours final qui met en lumière le fait que l'argent des contribuables finit souvent dans les poches des fabricants d'armes. Je reste donc engagé politiquement, mais sans l'excitation et le danger d'être en première ligne. Je lutte avec ce sentiment, ne voulant pas être nostalgique des années où j'étais impliqué dans l'organisation de base. J’espère que cette époque a eu des retombées positives, même si le monde aujourd'hui ne semble pas avoir beaucoup évolué.




:: Little Boy (2025) [James Benning]
 

SB : Vous m'avez parlé de vos recherches et de vos contacts avec des ami·e·s pour reconstituer votre propre histoire. Dans le film, on comprend aussi que vous avez mené des recherches sur la scène internationale et ajouté des chansons populaires qui apportent une couche culturelle supplémentaire. Pourriez-vous m'en dire plus sur l'interaction entre ces différentes chronologies qui composent une vie ?

JB : Les vies sont longues, un projet comme Little Boy ne peut pas représenter pleinement tous les points politiques que j'essaie de soulever aux États-Unis. Les choix que j'ai faits ne sont pas aléatoires, mais j'aurais pu facilement sélectionner huit autres personnes ou discours. Le film aurait pu être un cours de deux semaines si je l'avais voulu. Ce film est intéressant parce que, par exemple, le discours de Reagan qu'il contient pourrait laisser penser que je suis pro-Reagan, si l'on ignore la réalité politique des années 1980. Reagan affirme que certaines actions ont été entreprises sans qu'il y en ait eu connaissance, ce qui est un mensonge. Il prétend que des erreurs ont peut-être été commises, mais que leurs intentions étaient bonnes. Malgré les bonnes intentions affichées, les actions entreprises ont eu des conséquences néfastes.

SB : J’ai été surpris par le discours fédérateur et humaniste d'Eisenhower qui contraste avec ses successeurs. Vouliez-vous souligner un changement dans la politique américaine ou montrer que ces discours ne sont que différentes façons de présenter les mêmes mensonges ?

JB : Je pense qu'Eisenhower était sincère lorsqu'il a exprimé ses doutes sur son bilan, reconnaissant qu'il ne pouvait garantir l'avenir. Il était au début du mouvement pour les droits civiques et, bien qu'il aurait pu en faire davantage, il aurait aussi pu faire bien pire. Son discours est crucial, car il met en garde contre les dangers d'une économie américaine axée sur la production d'armes. Aujourd'hui, le nombre de lobbyistes pour les fabricants d'armes à Washington est presque équivalent à celui des sénateur·ice·s et des membres du Congrès. Cela crée un environnement où les politicien·ne·s sont fortement influencé·e·s par l'industrie de l'armement, ce qui se reflète dans leurs comptes bancaires. Être sénateur·ice ou membre du Congrès est devenu très lucratif, et beaucoup deviennent millionnaires. Quand les démocrates perdent une élection, leurs idées progressistes sont souvent blâmées, alors que le véritable problème réside dans l'influence de l'argent en politique.

SB : Cela interroge la persistance des fictions politiques, la redondance de cette mise en scène politique, cette mascarade même.

JB : Pour moi, c'est une sorte de synthèse d'événements assez déprimants, vous savez, et d'une prise de conscience du monde tel qu'il est. Le film a été terminé avant la réélection de Trump pour son second mandat, et ce qu'il a fait au cours des deux derniers mois est assez sensationnel. Il va au-delà de la loi si facilement que cela rend mon film encore plus sombre. Et il semble que des manifestations commencent à émerger, comme celle de Denver la semaine dernière, où environ 50 000 personnes sont sorties, et le New York Times ne l'a même pas couverte. On se demande ce qui se passe dans le monde et où se trouvent des figures comme Obama ou les autres voix de l’opposition.

SB : Peut-être est-ce parce que leurs comptes en banque ont reçu certaines sommes… Trump incarne sans doute l’exemple le plus évident, dans l’histoire politique américaine, d’une stratégie du choc, une tactique de l’immédiateté qui empêche toute prise de recul et toute analyse. Il instrumentalise en quelque sorte l’idée du traumatisme à des fins politiques : tout ce qu’il dit et tout ce qu’il diffuse dans les médias est conçu pour être si brutal que l’on n’a même plus le temps de réfléchir. Vos films redonnent ce temps, celui d’observer, d’analyser, d’aller à contre-courant de l’expérience traumatique.

JB : Mes films ont toujours porté sur la perception, sur l’observation, l’écoute et ce que l’on fait de ce que l’on perçoit. Dans ce cas précis, il ne s’agit que de quelques éléments que j’ai choisi d’examiner. On pourrait en sélectionner d’autres pour étayer cette idée, tout comme on pourrait en choisir certains pour nier complètement cette réalité. Il serait tout à fait possible de compiler des discours qui n’expriment aucune urgence, qui ne signalent aucun problème, mais en réalisant ce film, j’ai estimé qu’il était essentiel de faire ressentir une urgence, l’idée qu’un changement s’impose. Au fil du temps, on constate que rien ne bouge vraiment, et qu’une classe bien précise consolide son pouvoir : celle des milliardaires.

SB : À ce stade, on a le sentiment qu’il n’y a plus de limite à la violence. Comment une image pourrait-elle encore être traumatisante lorsque l’enfer fait partie de notre quotidien ?

JB : Et c’est peut-être pour cela que le film devient si accablant. Je déteste être le messager de l’apocalypse.



:: Première photographie d'une bombe atomique "Little Boy" publiée par le gouvernement américain en 1960 — le même type d'arme que celle larguée sur Hiroshima, au Japon, en août 1945 [National Archives and Records Administration Archives II / Wikipedia]


 
 

(Loin de moi la colère, First Light
Selegna Sol, Monólogo colectivo)

James Benning : L'Amérique, les mensonges et l'enfance

PARTIE 2
(1 rue Angarskaia,
Atelier 2 : Le rêve,
Quelques réserves sur la programmation,
The Cay of Death)

Malena Szlam : L'arbre et le volcan

 
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Article publié le 7 avril 2025.
 

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