DOSSIER : Le cinéma et ses conjurations
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Alexandra Sicotte-Lévesque : « Youngstown hates you »

Par Sarah-Louise Pelletier-Morin

From the Monongaleh valley
To the Mesabi iron range
To the coal mines of Appalacchia
The story's always the same
Seven-hundred tons of metal a day
Now sir you tell me the world's changed
Once I made you rich enough
Rich enough to forget my name

In Youngstown
In Youngstown
My sweet Jenny, I'm sinkin' down
Here darlin' in Youngstown

- Bruce Springsteen, Youngstown

:: Greyland (Alexandra Sicotte-Lévesque, 2021, Productions du Rapide-Blanc)

Première ville de l’acier, Youngstown a connu la gloire durant la Deuxième guerre mondiale, avant d’être foudroyée par la chute de cette industrie, qui a conduit à un exode massif de ses habitant.e.s dans les années 70. Parmi toutes les villes américaines, Youngstown est celle qui a connu le déclin le plus rapide, devenant ainsi un emblème du rêve américain brisé.

Durant six ans (2013-2019), Alexandra Lévesque-Sicotte a braqué sa caméra sur les quartiers désertés de cette ville sans centre-ville et sur ses rues trouées sur lesquelles il manque des maisons, « comme il manquerait des dents dans une bouche ». Si les images de maisons abandonnées, ruinées ou incendiées composent une fresque apocalyptique, le long métrage contient également une grande part de lumière – car la réalisatrice a décidé de filmer ceux qui restent, ceux qui résistent et qui œuvrent  à la reconstruction de la ville.

Greyland, c’est le nom d’une boutique qui vend des objets de « seconde main », retrouvés dans ces maisons abandonnées. Todd et ses acolytes, que la réalisatrice désigne comme des « urban archeologists », fouillent dans les décombres pour dénicher des objets à revendre. Greyland, c’est aussi un espace de diffusion et de création, où sont présentés des expositions artistiques et des spectacles de musique. Durant plusieurs années, ce lieu était le seul où les jeunes pouvaient se rassembler.

À travers les personnages d’Amber, jeune mère monoparentale qui travaille dans un organisme communautaire, qui s’implique en politique avec ses idées progressistes et qui rénove elle-même une vieille maison en ruine; de Todd, patriarche, propriétaire de Greyland, qui met fin à ses jours à la toute fin du film; et de Rocco, ancien toxicomane et musicien, qui est le bras droit de Todd, et qui tente de reprendre le contrôle sur son angoisse existentielle, notamment à travers la musique, et dont les compositions ponctuent le long métrage.

Sarah-Louise Pelletier-Morin : Si je dis que tu fais du « cinéma politique », es-tu d’accord ? Te reconnais-tu dans cette épithète ?

Alexandra Sicotte-Lévesque : Oui et non. Je choisis toujours des sujets engagés, mais je ne les traite pas de manière engagée. Mes films sont toujours d’abord liés à une expérience personnelle et ne sont pas issus de recherche. C’est toujours quelque chose qui m’arrive, qui me « tombe dessus » - une sorte de coup de cœur.

SLPM : Où situes-tu la genèse du projet ? Le « coup de cœur » dont tu parles est arrivé à quel moment ?

ASL : Le coup de cœur est arrivé quand, en revenant du Soudan, je suis allée visiter Youngstown après qu’un ami [qui faisait des recherches universitaires sur la classe ouvrière blanche en Ohio] m’ait conseillé d’aller visiter la ville. En mettant les pieds là-bas, j’ai été vraiment frappée par l’aspect apocalyptique de la ville, et ce, même en comparant au Soudan, qui était pourtant un pays en guerre. La détérioration de Youngstown m’a vraiment ébranlée, choquée. On voyait la division entre les communautés noires et blanches, il y avait des déchets partout, les édifices étaient délabrés, les gens me parlaient du système de santé, qui avait d’immenses problèmes, etc.

C’est comme si les discours sur l’Amérique et la grandeur des États-Unis ne coïncidaient pas avec l’image que j’avais devant mes yeux. Même au Soudan je n’ai pas senti que la société était brisée à ce point.

En 2013 quand on a commencé à filmer, les gens étaient choqués quand on leur présentait les images, parce que personne ne les avait encore montrées. Avec Trump, on a commencé à parler plus de ces villes abandonnées. Trump a compris que pour être élu il fallait aller chercher ce « peuple », qui avait été oublié, pour qui rien n’avait été fait depuis 50 ans. Aux élections de 2016, il est allé dans ces villes abandonnées, ces villes-fantômes. Il est allé faire des « rallies » là-bas, et on est allés le filmer (mais on n’a pas gardé ces images). Il a capitalisé sur la situation de ces villes et ça a vraiment joué en sa faveur. L’Ohio a voté républicain… Alors que les Démocrates n’ont jamais mis les pieds là-bas.

SLPM : Tu as écrit quelque part que « raconter des histoires est un geste politique ». Est-ce que ça signifie pour toi que le geste politique passe par cette narration et que la politique n’a pas à être abordée de manière frontale?

ASL : Il y a toujours un angle politique dans mes films, mais je ne parle pas de « politique » de manière directe. Dans mon dernier film sur le Soudan [À jamais, pour toujours, 2013], qui abordait la séparation du Nord et du Sud, à aucun moment on ne voit la violence. Comme Greyland, c’est aussi un film observationnel, ancré sur des personnages et leur réalité. Dans Greyland, il y a un fond politique, mais on ne fait pas de l’analyse politique en se demandant « pourquoi Trump a été élu », « pourquoi Youngstown a vécu une décroissance si rapide ». En fin de compte, ça ne change pas tant que ça le quotidien des habitant.e.s, le fait que Trump ait été élu. J’essaie donc d’ancrer mes films dans la réalité des gens, qui est à mon sens plus complexe, plus profonde, qu’une analyse politique.

En somme, on voulait « faire ressentir » le sujet plutôt que l’expliquer.

SLPM : Si le film n’est pas frontalement politique, il est cependant ponctué par les élections américaines. Une des dernières scènes braque la caméra sur Amber, qui écoute le discours de défaite d’Hillary Clinton. En quoi les élections de 2016, avec l’élection de Trump, ont-elles changé le visage de Youngstown? Encore là, c’est un désir de ne pas aborder frontalement la question politique, mais de la prendre de biais, en captant le visage ému, déçu, d’Amber, par exemple ?

ASL : On a fait beaucoup d’entrevues avec le maire de Youngstown, par exemple, mais finalement on a fait le choix de ne pas garder.

Rocco par exemple s’est battu avec l’élite de Youngstown; on aurait pu aller interroger ces gens-là, mais on trouvait que ça distrayait un peu du sujet du film. Les entrevues apportent une valeur de compréhension sociale – ça aurait fait un tout autre film. On a préféré laisser nos personnages vivre et parler, pour explorer une autre trame narrative. Ça nous éloignait de la trame plus philosophique qu’on voulait donner à l’œuvre. On a préféré faire en sorte que Rocco soit le narrateur du film.

SLPM : Le film exerce constamment le passage de l’individuel au collectif. Bien sûr, on suit Amber, Todd, Rocco, qui ont chacun leur histoire de vie unique, leurs anxiétés propres, leurs idiosyncrasies, mais on sent aussi à travers le film que les personnages incarnent quelque chose qui les dépassent.

ASL : Oui, absolument. Je voulais montrer que si les individus vivent ce qu’ils vivent, comme les problèmes de consommation, la pauvreté, les trouble de santé mentale, c’est en partie parce que la société les a abandonnés. Nous sommes traversés par le social, déterminés par les conditions de vie qui nous entourent. Ainsi, quand je montre Amber ou Todd, je parle d’une classe tout entière – ces personnages incarnent quelque chose de plus grand qu’eux. Quand on a fait des demandes de subvention, au début, on nous a dit qu’on allait montrer les « problèmes personnels » d’Amber ou de Rocco – mais en fait ce n’était pas du tout ça. Oui, ils traversent des épreuves, mais c’est aussi la ville de Youngstown et ses problèmes qui résonnent à travers leurs « problèmes personnels ».

SLPM : Le film est lumineux, on sent l’espoir et l’agentivité des personnages. Or Greyland aboutit finalement à une sorte cul-de-sac et prend à la toute fin une tangente dramatique. Pourquoi avoir choisi de conclure le film sur un suicide ?

ASL : En un mot je dirais que j’ai voulu faire un film « réaliste ». Aux États-Unis, on aime voir des films qui se finissent bien, avec des héros qui ont un parcours parfait. Mais moi je voulais montrer la réalité. Une amie m’a confié : « ça fait du bien de voir un film où les personnages ne sont pas tous comme Michelle Obama » (rires), des personnages qui sont des êtres humains auxquels on peut s’identifier.

On peut tous s’identifier à Amber, qui est en quelque sorte une anti-héroïne. Quand elle se lance en politique et qu’elle est élue au conseil municipal, Amber dit qu’elle ne « fitte » pas, qu’elle ne porte pas les bons vêtements, qu’elle est trop jeune, qu’elle ne parle pas comme eux, bref elle ne se sent pas à sa place. Mais c'est aussi ça faire un portrait réaliste des États-Unis : des personnages qui vont se battre et qui ne vont pas nécessairement réussir à la fin.

SLPM : Le « anti-héros », ça rime aussi avec la volonté de ne pas faire un film « porn », d’éviter de tomber dans l’esthétisation de la pauvreté, de la violence, de la ruine. Est-ce que c’était une de vos préoccupations durant le tournage?

ASL : Oui, absolument. Ça aurait été facile de tomber dans le « post-industrial porn ».

C’est une conversation que j’ai dû avoir avec ma directrice photo, Catherine Giguère. On a décidé de faire quelques plans d’usines, mais aussi de filmer la beauté à travers des petits objets, à travers un plan, une vision fugace. La beauté des choses apparaît aussi beaucoup à travers le montage, qui donne une poésie aux images. On aurait pu juste faire ça, faire juste des images d’usine, mais on ne voulait pas faire un essai cinématographique non plus.

SLPM : Comment Catherine Giguère a-t-elle pensé sa direction photo ? Comment a-t-elle voulu filmer la ville ? Peux-tu me parler de votre collaboration ?

ASL : Catherine et moi nous sommes rencontrées au Soudan et on a tout de suite cliqué.  Elle a vraiment une esthétique particulière. On se complète bien, au niveau de la personnalité, mais aussi de la conception du film, des images. Elle voit du beau dans le laid. Peu importe ce quelle filmait, un tas de ferraille, un édifice, on voyait une nostalgie dans ses images. Elle a également une vision de grandeur pour ses cadres. On a un peu la même vision, on n’a pas besoin de se parler pour savoir qu’on veut la même chose, qu’on voit la même chose.

Dans Greyland, les images sont tellement importantes, elles parlent tellement d’elles-mêmes. Ce qui m’importait, c’était apporter une touche personnelle à ces images. On voulait que Youngstown devienne une sorte de personnage, qu’il soit là, derrière, et que ça vienne hanter le spectateur.

SLPM : Tu as travaillé pendant plusieurs années comme journaliste à la BBC avant de faire carrière dans l’humanitaire à l’ONU. Que peut le langage cinématographique que ne t’offrait pas le métier de journaliste ?

ASL : J’en suis venue à me poser plusieurs questions quand je travaillais comme journaliste : comment influencer les gens quand un sujet n’est pas traité par les médias ? Comment changer notre perception et celle de la société ? C'est pour ça que j’ai voulu faire des films.

Oui. Je trouve ça fascinant de voir l'influence que les quelques reportages à la télé ou les articles dans les journaux peuvent avoir sur la perception des gens sur un sujet. Dans mon film sur le Soudan, on a montré une vision du Soudan différente de celle présentée dans les médias. Pour Greyland, c’était alors encore plus important de montrer une autre perspective, qui ne se voit pas dans les médias – parce que les gens ne viennent pas voir la ville et que, de notre côté, on a passé beaucoup de temps sur le terrain. Quand on prend le temps, on réalise que ce que les médias montrent, ce n’est qu’une vision parcellaire du réel. C’est aussi pour ça qu’on a fait un film sur la longueur, qu’on a tourné pendant six ans. On voulait vraiment s’imprégner du sujet.

SLPM : Le cinéma permet de s’adresser directement au corps.

ASL : Oui, absolument. Le pouvoir du cinéma, c’est l’image. Grâce aux images, je peux transporter physiquement des gens-là où ils ne seraient probablement jamais allés. Je peux le faire par écrit, certes, et la radio le permet aussi jusqu'à un certain point. Mais il y a une dimension plus puissante au cinéma.

SLPM : Une chose qui m’a marquée, c’est le rythme rapide du film. Les premières images du début, dans la maison abandonnée, disparaissent très rapidement. Est-ce que ce montage très serré visait à mimer la décroissance rapide de la ville, à surligner sa transformation?

ASL : Comme on a filmé sur six ans, on avait énormément d’images. On a voulu faire un film plutôt lent, un film observationnel, mais on avait peur qu’il y ait des longueurs et que le spectateur s’ennuie. On hésitait en quelque sorte entre deux spectateurs modèles - finalement on a essayé de s’adresser à un public plus large, en créant un équilibre entre des images lentes, sans paroles, et un rythme plus rapide, pour ne pas ennuyer le spectateur. L’idée c’était de montrer l’évolution, mais aussi la non-évolution de la ville dans le film, notamment à travers nos personnages.

SLPM : Comment avez-vous trouvé des personnages qui permettaient de symboliser l’évolution et la non-évolution de la ville ? Comment c’était de faire un film sur une ville que vous n’aviez pas habitée ?

ASL : J’avoue que j’ai trouvé ça très difficile, parce que j’ai l'habitude (comme au Soudan ou au Ghana, où j’ai fait mes premiers films), d’habiter les lieux que je filme, de m’imprégner de l’endroit avant de tourner.

La première fois qu'on est allés filmer, on se faisait constamment arrêter dans la rue par les gens. À cause de cette « poverty porn » qu’ils craignent. Ils sont méfiants, parce qu’ils connaissent les préjugés des Américains sur les habitants de la ville, si bien qu’un adage commun, qui circule là-bas est « Youngstown hates you ». C’est en quelque sorte une réponse à la haine ou au mépris des gens envers les citoyens de Youngstown, qui voient la ville d’un mauvais œil.         

Quand on a commencé à tourner, on se faisait demander : « Qu’est-ce que vous faites ici? » Il y a des médias qui viennent filmer juste une journée, et qui repartent; ça crée de la méfiance. À la longue, ils ont fini par nous connaître et nous faire confiance.

Ce qui a également aidé pour faire Greyland, c’est le fait qu’on avait à peu près le même âge que nos protagonistes et qu’on avait plusieurs intérêts communs avec eux, comme le cinéma et la musique. Ça nous a aidés, car on a développé une amitié qui existe encore aujourd’hui. Même si on n’habitait pas là, ils nous ont accueillis puis nous ont vus comme des amis. Et pour la première fois de leur vie, quelqu'un s'est concentré sur eux, s’est intéressé à eux. Ils n’avaient jamais eu autant d'attention. Pour eux, la caméra, c'était véritablement comme un confessionnal! Personne ne leur a jamais posé de telles questions, ne leur a demandé ce qu’ils pensaient de ci ou ça.

Je pense aussi que si on avait été Américains, ça aurait été plus difficile. Parce qu'on était Canadiennes, et plus encore Québécoises, ils nous voyaient vraiment comme des étrangères et ça nous a aidé; ils se sont ouverts à nous d’une autre façon. On avait une relation différente avec eux. Si on était des Américaines qui venaient de New York, ils ne se seraient pas ouverts à nous de la même façon, je pense. Ils nous voyaient un peu comme des sujets neutres, des observateurs extérieurs, avec moins de préjugés.

SLPM : Et tu en viens à interroger ces personnages sur un plan plus existentiel. Il y a toute une réflexion dans ton film sur comment être bien intérieurement, nonobstant les conditions matérielles d’existence, nonobstant ce qui nous entoure.

ASL : Oui, j’ai voulu proposer une réflexion sur la façon dont une ville comme celle-là, postindustrielle, influence l’identité des gens. J’étais fascinée par ce besoin humain de reconstruire constamment, de la même façon. Si quelque chose tombe en mille morceaux, on veut absolument le reconstruire exactement comme c’était avant. D’où vient ce besoin-là ? Est-ce que ça nous rend heureux ?

À Youngstown, les gens sont habités par le passé, ils s’intéressent à ce qui les précède et veulent reproduire ça. C’était aussi le narratif de Trump : reconstruire l’ancienne Amérique [« Make America great AGAIN »]. Il y a une nostalgie dans ce slogan. Trump comprenait bien la psychologie des Américains. Il a utilisé ce qui existait déjà, soit le sentiment nostalgique de cette génération, à cause du rêve américain qui aurait été brisé et qu’on aimerait reconstruire à tout prix - au lieu de se dire « on a ce qu’on a et on va faire avec ». Se dire : « Ok, C'est ça ma ville. Maintenant, qu'est ce que je peux faire ? Où est-ce que je me sens à l'aise ? C'est quoi mon identité là-dedans ? » C'est de ça, c'est de cette recherche d'identité, une identité un peu forgée par l'extérieur, par la perception extérieure, dont je voulais parler.

En somme, je voulais proposer une réflexion sur le fait qu’en acceptant les choses comme elles sont, en faisant preuve de résilience, on se libère du passé et on peut aller de l’avant.

SLPM : Il y a le personnage de Rocco qui incarne bien cette posture d’acceptation dans le film.

ASL : Oui, Rocco c’est un peu le « poster child » du déclin américain. Il incarne bien le « Youngstown hates you ». Rocco cultive cet aspect underground de Youngstown, il le chérit; il travaille à partir des déchets, des ruines, pour en faire quelque chose de beau. 

SLPM : Qu’est-ce que ça incarne Greyland, comme lieu? Comment ça fait « signe »? En quoi est-ce emblématique de Youngstown?

ASL : Quand on est arrivé en 2013 au centre, il n’y avait rien. Absolument rien. Il n'y avait qu'un petit resto, et Greyland. Or, c'est tellement une ville grandiose, avec ses immeubles magnifiques, art déco – la ville a vraiment une belle architecture, mais elle était déserte. À côté de la mairie, il y avait la boutique Greyland. Rien que ça. C'était un peu comme un lieu qui renaissait, un passé qui ressurgissait. C’était fascinant de visiter ce lieu, avec ses dessins et ces deux personnages qui y travaillent, qui vivent là dans une sorte de grenier, et qui conservent un passé et qui n’ont à voir justement avec la mairie qui est à côté, qui est située dans un immeuble grandiose. Greyland, c’était comme une petite fleur au milieu du désert. Et c'est beaucoup plus qu'une boutique, c'est un espace qui a été pensé pour les jeunes, pour qu’ils aient un espace où se rassembler, où faire de la musique. Les trois quarts des jeunes sont partis…

SLPM : Il y a une sorte de valse-hésitation par rapport au changement qu’on ressent à travers les personnages de Todd et de Rocco. Comme si on voulait transformer la ville, mais pas trop, et pas à n’importe quel prix. Rocco et Todd cultivent l’underground, veulent protéger l’aspect fantomatique de la ville d’une certaine façon – ça fait partie de leur identité. Il y a toute une réflexion qui s’insinue aussi à travers eux sur la transformation de la ville : comment la transformer ? Pour qui ? Par qui ? On perçoit une méfiance de la part des citoyen.ne.s dans le film. Or, j’ai remarqué que tu n’avais pas pointé de bouc-émissaire ou d’ennemi dans le film. Pourquoi avoir traité ça de manière pour ainsi dire implicite?

ASL : Oui, absolument, les citoyen.ne.s ont une crainte de la gentrification. Le centre-ville justement a beaucoup changé. De nombreuses boutiques et restos ont apparu. Greyland conserve son statut un peu particulier, demeure une petite fleur « non-gentrifiée » dans un centre-ville qui a complètement changé.

Le traitement du sujet, qui contourne le politique pour s’inscrire dans une trame plus philosophique, donne une portée résolument universelle à l’œuvre, en renvoyant à d’autres villes qui ont dû passer par un tel processus de reconstruction – après des crises politique, écologique ou économique -, ou à des villes qui sont encore laissées dans un état d’abandon. Le film sera d’ailleurs bientôt présenté à Beyrouth, où il résonnera sans doute d’une manière tout à fait particulière.
 

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Article publié le 24 avril 2022.
 

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