ART ET INDUSTRIE
Réalisateur de classiques tels que
Animal House,
An American Werewolf in London,
The Blues Brothers et
The Kentucky Fried Movie, John Landis était de passage à Fantasia à l'occasion de la remise d'un prix honorifique pour l'ensemble de sa carrière. Le cinéaste venait aussi pour présenter son plus récent film
Burke and Hare, une comédie mettant en vedette Simon Pegg et Andy Serkis. Nous l'avons rencontré le lendemain de la projection de ce film, cet enthousiaste de profession s'étant fait un plaisir de nous parler des différences entre le cinéma commercial d'hier et d'aujourd'hui, du rapport entre l'horreur et la comédie dans
An American Werewolf in London, de
Burke and Hare et de la véritable nature du « style Landis ». Nous avons tenté de lui poser quelques questions mais, dans l'ensemble, nous nous sommes contenté de l'écouter parler…
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John Landis |
Panorama-cinéma : À la fin des années 70 et au début des années 80, on a assisté à l'émergence d'une « nouvelle vague » de réalisateurs américains - des gens capables de réaliser des films commerciaux qui demeuraient, malgré tout, empreints d'un style personnel. D'après vous, pourquoi cela était-il possible à cette époque?
John Landis : Je comprend parfaitement pourquoi ça a été possible. Ça a beaucoup à avoir avec le fait que les studios ont donné aux réalisateurs la liberté nécessaire pour faire les films qu'ils voulaient faire. Et tout ça, c'est à cause d'
Easy Rider. Deux trucs majeurs se sont passés aux États-Unis, et l'un de ceux-là est la loi antitrust. À la base, dans le bon vieux temps, c'est-à-dire dans les années 20, 30, 40 et 50… tout le monde croit que les studios possédaient les salles de cinéma. Mais c'est le contraire. Les salles possédaient les studios : MGM appartenait à Loew's Inc., Fox appartenait à Fox Theaters… et c'était une manière pour les exploitants de salles de garnir les tablettes, si vous voulez. C'est comme une épicerie qui possède des fermes. Cette loi antitrust est arrivée et a déterminé qu'il s'agissait d'un monopole et que ce n'était pas légal. Ça leur a fait mal, parce que quand tant que tu possèdes les salles, tu sais que tes films y joueront. Tu les fais jouer dans ton cinéma!
Ensuite, il y a la télévision… La télévision a eu un impact négatif sur le cinéma et sur le box-office parce que, tout à coup, les gens pouvaient rester à la maison! Alors, les studios ont tout essayé. D'abord le CinemaScope, ensuite la 3D, le Cinerama… tout ce qu'ils pouvaient dénicher, dans l'espoir de ramener les gens dans les salles. C'était chancelant… il se faisait de très bons films, mais c'était une époque difficile.
Quand
Easy Rider a été réalisé, de manière indépendante, ça a été un succès énorme! Et les types des studios se disaient : « mais qu'est-ce que c'est que cette merde? » Ils trouvaient ça très étrange, mais c'était un véritable succès commercial. Alors ils ont commencé à laisser les réalisateurs faire ce qu'ils voulaient. Il y en a toujours eu des cinéastes avec un certain pouvoir : Capra, Hawks, Stevens, Hitchcock, John Ford… Ils pouvaient faire ce qu'ils voulaient, en gros, tant que ça rapportait de l'argent. Mais ce qui s'est passé entre 1969 et 1970 a été vraiment révolutionnaire. « D'accord, on ne sait pas ce qu'on fait », disaient les dirigeants, « alors faites-le! » Et cela a donné lieu à une période extraordinaire! Prenez un film comme
Midnight Cowboy : c'est un film classé X sur un prostitué gai à New York… Pensez-vous vraiment qu'un gros studio produirait ça en ce moment? Non! Et c'est un lauréat d'un Oscar classé X. Tant de grands films se sont fait : tous les Scorsese, Coppola… Ça a duré un bon moment, presque vingt ans, mais progressivement les studios ont été rachetés par des multinationales. C'est ce qui se passe actuellement : les stations de télévision, les journaux et les magazines sont achetés par des conglomérats, par des gens comme Rupert Murdoch, News Corp ou Ted Turner. Un peu partout dans le monde, ce sont ces entités corporatives qui prennent le contrôle. Et quand on a affaire à une corporation, les choses changent. Il y a un paquet de paliers de gestion, une bureaucratie… et le produit final change aussi.
Je me souviens, quand j'étais sur le plateau de
Spider-Man 2… Je joue dans ce film, je suis l'un des chirurgiens qui coupe un bras de Dr. Octopus et qui se fait projeter sur un mur. Quoi qu'il en soit… je suis sur le plateau de tournage et je parle avec Sam Raimi, que je connais depuis
Evil Dead… En fait, dans
Spies Like Us, il y a une scène où les mecs de la CIA, Bruce Davison et Bill Prince, vont dans un vieux drive-in abandonné et deux gars sortent avec des AK-47 ou des M-16. Ces deux gars, ce sont Joel Coen et Sam Raimi avant qu'ils ne deviennent Joel Coen et Sam Raimi. (rires) En tout cas, je voulais dire…
Panorama-cinéma : Vous parliez de
Spider-Man 2…
John Landis : Oui, c'est très intéressant parce que j'ai demandé à Sam : « depuis combien de jours tournez-vous? » et il me répond 80. Quatre-vingt putains de jours!? Combien ce film coûte-t-il? Il me dit que ça va coûter plus de 200 millions de dollars, et je me mets à réfléchir… Ils vont dépenser un autre 150 millions pour le vendre, alors comment peuvent-ils faire du profit? Sam me l'a expliqué ainsi, et c'est quelque chose auquel je n'aurais jamais pensé : Sony est propriétaire de Columbia, alors quand ce film va sortir en salles, si les recettes initiales sont élevées, l'action en bourse de Sony va grimper de trois points. Ça, c'est dix milliards de dollars (claque des doigts) comme ça. Ça n'a rien à avoir avec le film ou avec le box-office, ça a tout à voir avec les actions de la compagnie mère. Ce sont de drôles de machinations. Ensuite, il y a les produits dérivés. Mel Brooks a fait un film,
Spaceballs, qui n'est pas parfait… mais plusieurs des trucs qu'il y dit, sur les produits dérivés, sont absolument véridiques. De nos jours, ils font des films sur des jouets! Ils sont en train de tourner
Monopoly!
Panorama-cinéma : … et
Battleship!
John Landis : Bientôt, ils vont faire « serpents et échelles »! C'est parce que le marketing est de plus en plus difficile. J'ai fait plusieurs films, dans le vieux système, qui ont fait plus d'argent durant le second weekend d'exploitation que durant le premier.
An American Werewolf in London a fait plus d'argent durant son troisième, son quatrième, son cinquième weekend… ça n'arrêtait plus d'augmenter. Maintenant, si ce n'est pas un succès dans les trois premiers jours, vous êtes barré. C'est un marché totalement différent et ils veulent désespérément vous attirer en salles alors tout est une question de marketing. C'est pour ça qu'ils ne font plus que des remakes et des suites. C'est parce que ces films sont « déjà vendus ». C'est fou… ils font déjà un remake de
Spider-Man! C'est littéralement la même chose, le même putain de film. Mais ils savent que le public va se pointer pour
Spider-Man.
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John Landis |
Panorama-cinéma :
An American Werewolf in London était un film hybride, une comédie d'horreur, ce qui à l'époque était plutôt inédit.
John Landis : Je dois vous dire, et les gens disent que j'ai tort, mais je ne crois pas que
An American Werewolf in London est une comédie d'horreur. C'est un film d'horreur qui est incidemment très drôle. Une comédie d'horreur, pour moi, c'est quelque chose comme
Braindead de Peter Jackson qui ne se prend aucunement au sérieux. Même
Evil Dead 2 est une comédie d'horreur, et il y en a quelques-unes qui sont très drôles comme
Return of the Living Dead. Mais avec
American Werewolf, mon intention était d'utiliser la comédie pour rendre le tout plus réaliste. J'utilise l'humour, mais l'histoire n'est pas joyeuse. Les gars arrivent dans un camion plein de moutons et vont ensuite au Slaughtered Lamb… ils sont morts dès le premier plan du film. C'est très drôle, et c'est censé être très drôle, mais mon intention était de rendre un film d'horreur très drôle. Plus tard, j'ai fait un film intitulé
Innocent Blood qui est beaucoup moins sérieux… ça parle de vampires et de la mafia et ça, c'est une comédie.
Avec
Burke and Hare, c'est intéressant parce que je m'inquiétais… lorsqu'on le présente dans un festival comme celui-ci… parce qu'il ne s'agit en rien d'un film d'horreur. C'est une comédie romantique. C'est un film sinistre qui aborde des sujets très sombres, mais ce n'est pas un film d'horreur parce qu'il ne fait pas peur. La fin n'est pas très joyeuse, mais au fond, elle l'est… parce que vraiment, ce type méritait d'être pendu!
Panorama-cinéma : À propos de
Burke and Hare… Vous êtes un cinéaste américain et ceci est votre premier film produit en Angleterre. D'ailleurs, plusieurs des blagues rappellent l'humour typique des vieilles comédies britanniques - je pense aux films d'Alexander Mackendrick ou aux productions des studios Ealing. La plupart des blagues se trouvaient-elles déjà dans le scénario?
John Landis : Non, en fait, j'ai écrit la plupart des blagues. Mais l'histoire et les personnages se trouvaient dans ce scénario…
Panorama-cinéma : Ce contexte britannique a-t-il eu une influence sur votre style, visuellement?
John Landis : Non. Honnêtement, j'aborde chaque projet de manière différente. Un des trucs que j'entends souvent, c'est que « Landis n'a pas un style reconnaissable ». Ce n'est pas vrai. J'ai assisté à une rétrospective où j'ai écouté quatorze de mes films en ligne en me disant : « ça, je reconnais ça! » Savez-vous ce que je fais, plus que quiconque? Des reaction shots! Je fais plus de plans de gens qui font… (il mime quelques expressions de surprise)… que quiconque! (rires)
Je suis comme John Ford. Je ne bouge la caméra que si j'ai une bonne raison de le faire. Le reste, c'est une question de mode. Les vrais bons films demeurent bons 75 ans après leur sortie. Prenez un film comme
The Maltese Falcon ou, encore mieux,
Casablanca… Ça c'est un foutu bon film, et ce sera toujours un foutu bon film. Tout est juste. C'est un film qui se déroule à Casablanca, mais qui a été tourné à Burbank… La distribution est incroyable, c'est intelligent, c'est drôle et tellement romantique…
Panorma-cinéma : On a l'impression en l'écoutant que chaque scène de ce film est la meilleure scène de tous les temps.
John Landis : C'est incroyable! Et il n'y a presque pas de mouvements de caméra. Évidemment, ça dépend du film. Il y a des cas où la caméra virevolte dans tous les sens et j'adore ça! J'adore ça dans
Evil Dead! Dans
Raising Arizona, la caméra n'arrête pas de bouger, mais ça fait partie du gag : ce film est un dessin animé. Mais si vous étudiez le cas des Coen, vous remarquerez que plus ils font de films, moins ils bougent la caméra. Ça, c'est parce qu'ils ont la confiance nécessaire pour raconter une histoire tout simplement. Mais, sinon, ce sont des modes. En ce moment, c'est cette caméra constamment agitée… mais, tout ça c'est de la foutaise! Ça dépend du sujet. J'approche différemment chaque film. La réalisation non, mais la manière de raconter oui. Est-ce que ça fait du sens tout ça?
Panorama-cinéma : Absolument.
Traduction :
Alexandre Fontaine Rousseau | Photos :
Mélissa de La Fontaine