:: Guillaume Vallée à la 54e édition du Festival international du film de Rotterdam (photo : Carmen Jaci)
Le lendemain de la première projection du mirage des mains ultra réalistes à Rotterdam, nous rencontrons Guillaume Vallée au QG du Festival, le De Doelen, bâtiment hybride à mi-chemin entre un centre de congrès et une salle de spectacle modulaire, dont le rez-de-chaussée sert durant l’événement d’immense lounge à café et sandwichs. C’est pile la mi-festival, tout le monde est fatigué, mais Guillaume est heureux de sa première internationale qui a eu lieu la veille au cinéma Kino, petite salle à une dizaine de minutes et autrement plus intime et excentrique que l’espace actuel. Son film fait main, avec de multiples mains à l’écran, sur la place des mains dans la posture macho, était le premier d’un trio de courts métrages composant le programme « Boys to Men », le plaçant d’emblée sous la loupe d’un regard critique de cet apprentissage bien volatile de la masculinité.
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Mathieu Li-Goyette : Te rappelles-tu qui t’a appris à donner une bonne poignée de main ? C’est quoi, une bonne poignée de main ?
Guillaume Vallée : Oh my God! (rires) J’ai parlé de ça à mon fils il y a environ un mois parce qu’il a rencontré des gens ; on a déménagé dans un nouveau quartier, puis il a serré la main à une commerçante de magasin de cartes Pokémon. Et là, on a commencé à parler de poignées de main. Je lui disais justement que ça m’agaçait les gens qui serraient les mains de façon molle, parce que je trouve que ce n’est pas authentique. Je trouve que dans la poignée de main, il y a un respect à avoir, mais un respect qui n’est pas non plus un rapport de force.
MLG : Ce n’est pas la poignée de main trumpienne.
GV : Non (rires). Ça dit beaucoup, des fois, la poignée de main. Je me rappelle mon grand-père, le mari de ma grand-mère. Lui, quand il serrait la main, il te regardait, puis il te pilait sur le pied. Je trouvais ça drôle quand même ; c’est après que j’ai réalisé que c’était un homme riche de Westmount. Quand il serrait la main, il y avait toujours un peu cette blague-là, mais aussi un rapport de domination qui était resté inconsciemment. (rires) Je ne me rappelais même plus de ça !
Olivier Thibodeau : Il semble y avoir une représentation horrifique du contact, de la fusion des mains dans ton film. Est-ce que c’est quelque chose qui renvoie à la peur du contact dans la masculinité macho dont tu parles ?
GV : Oui et non. J’aime beaucoup le contact humain. Je trouve que c’est quelque chose qui m’a manqué avec mes amis justement. Dans les relations masculines que j’avais, il y avait une peur du contact. Puis c’est étrange quand toi, tu as un désir de contact. Il y a toujours une homophobie incarnée chez les autres. On la retrouve souvent. C’est systémique. Je trouve que les gens ont de la difficulté à entrer en contact entre hommes. C’est paradoxal parce qu’il y a toujours ce côté homosocial qui fait qu’en même temps, tu veux plaire aux hommes. Là, je m’entoure de gens qui font des hugs, parce que je trouve que le contact est tellement important.
On parlait de poignées de main un peu plus tôt. C’est correct quand tu ne connais pas la personne, quand il n’y a pas un désir d’intimité, mais l’intimité se retrouve dans plein d’autres facettes quand tu développes une relation d’amitié. Je trouve ça dommage quand il y a un blocage du fait qu’on craigne de se toucher. Puis dans le film, je voulais montrer un peu cette fusion. Le film commence avec des mains qui fusionnent ensemble, puis ça se transforme en fleur. Je trouve qu’il y a une beauté dans ce geste, mais qui est souvent mal interprétée. C’est correct, les gens ont le droit d’avoir leur mur, mais moi, je n’ai pas envie de parler à un mur. J’ai envie qu’il y ait une transparence ; j’ai envie qu’il y ait une authenticité ; j’ai envie qu’il y ait une vulnérabilité. Puis je pense que, quand on lâche prise, le mur s’effondre, puis on accepte ce contact physique, on accepte cette intimité-là. Il y a quelque chose de beau qui sort de ça. C’est ce que je voulais montrer : quelque chose qui éclot comme une fleur.
:: le mirage des mains ultra réalistes (2024)
OT : Visuellement, c’est ce qu’on constate, mais on ressent que dans la bande sonore, il y a quelque chose d’oppressant, d’angoissant, donc ce serait un mélange d’angoisse et de beauté ?
GV : Oui, c’est un mélange d’angoisse et de beauté. Parce que ça a été tout un travail d’essayer d’atteindre cette vulnérabilité, cette intimité. Ça m’a fait peur au début. Puis, j’ai été face à des gens qui n’ont pas accepté ça ou qui m’ont jugé parce qu’ils se demandaient pourquoi je voulais entrer dans l’intimité. Dans l’amitié parfois, il y a une certaine superficialité, il y a une performance. Ça me fait chier personnellement, mais j’ai grandi là-dedans. J’ai fait partie de cela pendant une trentaine d’années, alors il y a quelque chose dans tout ça qui fait peur, qui nous confronte à nous-mêmes. Même aujourd’hui, je me questionne sur ça, parce que c’est dur de se sentir vulnérable. J’ai subi du harcèlement, j’ai eu une adolescence assez intense, et c’est parfois angoissant de redevenir vulnérable avec d’autres gens. Donc oui, c’est oppressant, mais en même temps, ça a à voir avec la conceptrice sonore, Stéphanie Castonguay. C’est drôle parce qu’on a beaucoup communiqué. C’est la deuxième fois que je collaborais avec elle. C’est important la manière dont elle a traité le son parce qu’elle a utilisé beaucoup de sons de tapements de mains, des sons de foule qui applaudit, des événements sportifs qu’elle a transformés… Elle a construit ses propres instruments en fonction de ces sons-là ; elle s’est réapproprié ces sons de foule, ces sons d’événements sportifs en non-mixité. Puis elle a transformé ça en une bande sonore qui est super oppressante, mais qui cache une beauté derrière.
MLG : Tu parlais de déconstruction ou des appréhensions qu’on a face à l’amitié. Est-ce qu’il y a quelque chose là-dedans qui a rapport à une sorte de déconstruction de la posture qu’ont parfois des cinéastes expérimentaux par rapport à la performativité ? Dans le cinéma expérimental, il y a quelque chose qui est très performatif, de l’ordre de l’homme-orchestre qui crée un univers encore plus autocentré qu’en fiction.
GV : Complètement.
MLG : Puis en même temps, je ne suis pas capable de m’empêcher de penser aux mains, à l’importance qu’ont les mains du cinéaste dans le travail manuel du cinéma expérimental, alors qu’un cinéaste en prise de vues réelles peut ne jamais toucher à sa caméra.
GV : Bien oui, c’est clair. Moi, mon background est en cinéma d’animation, puis un de mes cinéastes préférés, c’est Jan Švankmajer. En tant que cinéaste d’animation, il y a toujours cette idée-là, de cacher le mécanisme de création. Mais lui, il a fait l’opposé en laissant des traces de mains. Il travaillait avec les mains. Puis je pense que ce côté artisanal m’a toujours intéressé, surtout en tant qu’artiste derrière la caméra. Comme cinéaste expérimental, tu as la possibilité d’inclure une physicalité dans ton travail qui est intéressante, de montrer les mécanismes, les médiums que tu utilises, puis d’assumer la forme, une forme artisanale, puis de travailler avec tes mains. Moi je m’inspire principalement de la musique, plus que du cinéma, parce que je trouve que dans la musique, il y a cette performativité, il y a cette physicalité que je trouve fascinante. En tant que cinéaste, je trouve que je me rapproche beaucoup plus des arts plastiques. Dans le cinéma expérimental, on a la chance de pouvoir explorer des techniques low budget, et c’est possible de faire un film grandiose pour cent dollars si tu vas dans la forme.
:: Le jeu viril (1988) // Obscurité, lumière, obscurité (1989) // Les possibilités du dialogue (1982) [Jan Švankmajer]
Dans le monde du cinéma expérimental, c’est sûr qu’il y a aussi cette performativité dont tu parlais, parce que c’est un savoir technique qui est souvent très niché. Il y a un côté, je ne dirais pas compétitif… mais on veut garder nos secrets. C’est paradoxal parce que c’est une communauté qui va t’aider, dans le sens où on va partager des choses, mais en même temps, il y a aussi ce côté où on ne veut pas montrer, où on ne veut pas que les gens volent nos idées, on ne veut pas que les gens volent nos processus. Je pense que c’est comme ça dans tous les domaines. C’est correct en même temps parce que ça reste une profession, puis c’est correct aussi de ne pas dévoiler des trucs sur lesquels tu travailles depuis 15 ans. C’est correct de partager ce que tu veux partager. Moi, je suis plus dans le partage, je suis moins dans le côté élitiste, dans le côté niché dans le sens où je fais des films expérimentaux parce que je veux que tout le monde les aime. Je ne veux pas juste que ce soient des gens qui ont étudié le cinéma expérimental qui aiment ça.
OT : Justement,dans ton travail, ça parle souvent de cinéma d’horreur. Tu as fait des films sur Hellraiser (1987), par exemple. Est-ce que c’est quelque chose qui t’habite ? Est-ce que c’est quelque chose qui fait partie de l’identité de ton cinéma ?
GV : Ce qui m’a embarqué dans le cinéma, c’est Hellraiser ! Je suis né à Laval, à Champfleury, dans un petit quartier où tous les noms de rue, c’étaient des noms d’oiseaux. Puis il y avait un chouette club vidéo qui était là, puis le dude nous laissait louer des films d’horreur. Donc à douze ans, j’y allais. Puis j’ai vu Hellraiser, et il y avait quelque chose qui m’intéressait dans l’aspect démoniaque du film. J’ai toujours aimé les films de portails de dimensions parallèles. Je trouvais ça hot, je trouvais ça transgressif. Et pourtant, je suis quelqu’un qui a peur des araignées. Je ne suis pas quelqu’un qui est violent, mais il y avait quelque chose dans cette transgression-là, dans ces émotions fortes, qui m’intéressaient. Quand j’ai découvert le cinéma expérimental, je me suis désintéressé de l’horreur. Quand j’ai vu des films de flicker, des films très, très radicaux, j’ai réalisé que c’était ça que je voulais faire. Là, j’écoute moins de films d’horreur, mais c’est quand même quelque chose qui me suit.
Mes premières expériences de glitchs VHS, c’était avec les Hellraiser. J’ai fait un film sur ma grand-mère ; c’est le seul film dont j’ai fait la trame sonore, puis pour ça, j’ai détourné des sons de Hellraiser dans le VHS. En VHS, tu peux glitcher l’image, mais tu peux aussi altérer le son. Et donc, j’ai retravaillé les trames sonores d’Hellraiser pour ce film-là sur ma grand-mère. (rires) Pour moi il y a quelque chose de doux, là-dedans et je trouvais ça intéressant comme paradoxe.
:: grand-maman Piano, extrait (2019)
MLG : Qu’est-ce que tu apprends en faisant des films ? J’ai vu au générique le nom de Louise Bourque comme mentor. Et pourtant, ce n’est vraiment pas ton premier rodéo.
GV : Effectivement.
MLG : J’ai lu aussi que tu disais souvent que ton travail était processuel.
GV : Oui.
MLG : Dirais-tu que tu penses avec tes mains ?
GV : Oui, complètement. Et puis, tu sais, Louise, c’est une de mes meilleures amies. Puis c’est elle qui m’a dit que ma pratique principale, c’est la peinture sur pellicule. J’ai toujours eu des doutes en tant qu’artiste, comme tous les artistes, mais je sais qu’en peinture sur pellicule, je n’ai pas vraiment de doutes parce que je connais très bien la technique. Je sais comment la travailler, puis c’est vraiment confortable. À un moment donné, Louise m’a dit de couper deux minutes de peinture sur pellicule à la fin. Moi, ça me rassurait d’avoir cette partie pour clore le film, alors ça a fait mal, mais une chance que je l’ai écoutée finalement parce que je n’ai pas à me sentir confortable ; le film ne le fait pas pour moi de toute façon. Je n’ai pas envie de faire quelque chose de purement esthétique ou de beau. Puis justement, penser avec ses mains, ça veut dire résoudre les intermédiaires que tu as entre ton médium et tes mains, mais aussi aller en vulnérabilité, puis se mettre à nu finalement. Quelque chose que j’ai eu de la difficulté à faire longtemps, parce que j’aimais ça faire des films paquetés avant, où les gens n’ont pas le temps de réaliser ce qui se passe. Là, je pense qu’il fallait laisser le temps à l’œuvre de respirer. Moi, ça m’a fait du bien au niveau de la création aussi, de prendre le temps, puis de garder l’espace mental pour réfléchir à tout ce travail artisanal.
Tu parlais de processus justement. Depuis quelques années, c'est ma partenaire et cinéaste Sarah Seené qui me pousse à aller dans des sujets qui sont plus intimes. Elle m’a aidé à assumer cette intimité, cette vulnérabilité. C’est toujours cette idée d’expérimenter des techniques, même s’il y a des choses qui sont précises dans ma tête. Ça va être énormément de processus, de retravail d’images de (re)photographie, de développement à la main, etc. Donc le film s’est construit au fur et à mesure. J’ai produit trente minutes de matériel, mais j’en ai utilisé seulement quatorze. Et tabarnak ! Chaque image était travaillée à la main, c’était vraiment difficile de couper là-dedans. Mais je pense que cet aspect-là, processuel aussi, est intéressant dans ma démarche. C’est aussi valorisant de voir que tu peux générer du matériel dont tu vas aimer chaque photogramme. Et quand tu coupes la moitié de ça, ça fait mal, mais ça fait partie du processus. Puis travailler avec quelqu’un qui écrit aussi, ça m’a aidé à me faire un cadre créatif.
OT : Ton film traite aussi de conformisme. Comment cela s’intègre au concept de la meute qu’a justement travaillé ton collaborateur à l’écriture Thomas Messias ?
GV : Il faut d’abord mentionner que Messias a un balado qui s’appelle Mansplaining sur Slate.fr, puis c’est un balado qui a changé ma vie complètement. Ça m’a ouvert la porte à toutes sortes de questions féministes. J’ai écouté tous les épisodes, et je trouvais qu’il y avait vraiment quelque chose d’intéressant de lier le cinéma à toutes ces questions. Puis, le fait que ce soit un homme qui en parle, ça a résonné à plein de niveaux. Ensuite, j’ai appris qu’il avait écrit un livre sur les amitiés masculines, sur l’idée de la meute à [À l’écart de la meute, Éditions Marabout, 2021]. Quand j’ai lu ça, je n’en revenais pas. C’étaient des questionnements que j’avais depuis longtemps, mais j’avais de la difficulté à en parler avec mes amis — ça fait bizarre d’interroger nos rapports. J’ai commencé à le faire, à remettre en question mes rapports avec mes amis, puis j’ai constaté leurs réactions awkward. Le livre est génial comme ça, de la façon dont il parle de performer la virilité, puis de performer notre rôle masculin. On voit ça dans la culture populaire, on baigne là-dedans. Moi, j’ai grandi avec Van Damme. C’est fucked up pareil. J’ai vu tous ces héros dans les films. Mais je fais quoi moi, quand je subis ces choses-là ou quand quelqu’un près de moi les subit ? Tu n’as pas de trucs de héros à performer, tu n’as personne à sauver. C’est toute une désillusion.
Je parle de mon père par exemple. Mon père, il est vraiment sweet, j’adore mon père, mais il ne communique pas ! J’ai commencé à communiquer avec mes parents dans la trentaine ! Pourtant, ils sont adorables, je les adore. Il y a aussi quelque chose de générationnel qui fait qu’il y a un gros clash, puis même dans mes amitiés, mes parents m’ont toujours dit que le couple, c’était plus important et que les amitiés, c’était moins important. Il y a toujours cette question-là de couple hétéronormatif, qui est représenté comme ce qu’il y a de plus important, donc en conséquence je crois que j’ai beaucoup négligé mes amitiés. En même temps, il y avait une raison pour ça, c’est parce que j’ai eu des mauvaises expériences en amitié, puis le livre fait écho à cette expérience. J’ai trouvé ça incroyable et j’ai donc voulu embarquer Messias sur le projet.
Quand je lui ai écrit, j’étais très nerveux. J’étais en résidence à Rouyn-Noranda avec une amie, puis je me suis décidé à le faire. Je lui ai écrit en lui parlant du projet, en me disant qu’il allait s’en foutre, mais finalement, il a décidé d’embarquer. Comme il n’était pas du tout familier avec le cinéma expérimental, son point de vue était très rafraîchissant. Il a fallu que je le guide à travers ça, puis ça a créé un lien. Il y a eu un lâcher-prise qui s’est opéré de sa part. J’ai collaboré à l’écriture avec lui, mais plus vers la fin, en ajoutant certains éléments, repris ensuite comme une sorte d’écriture automatique, avec des phrases plus poétiques, qui allaient dans la métaphore.
:: le mirage des mains ultra réalistes, bande-annonce (2024)
MLG : Qu’est-ce qui est à l’origine de la dissonance linguistique qu’il y a dans le film entre les cartons de texte qui sont en anglais, puis la voix off qui est en français et le fait que ça ne soit pas sous-titré ? Il y a quelque chose de très montréalais là-dedans…
GV : J’ai fait une version anglaise simplement parce que, pour la plupart des diffusions, il fallait qu’il y ait des sous-titres anglais. J’ai fait des test screenings à un moment donné, avec des sous-titres en anglais que j’avais faits de façon générique sur Premiere, puis mon ami m’a dit que ça ne marchait pas. J’ai une version française, mais tous les sous-titres ont été faits en vidéo analogique. Les seuls éléments qui ne sont pas en film, c’est ça, puis le design. Tout le reste, c’est de la pellicule. Mais il fallait que je fasse une version anglaise. Je n’avais pas le choix. Et dans le texte, il y a des phrases que j’avais ajoutées moi-même, mais de la façon dont je parle. Et Sarah, ma copine, qui a étudié en littérature, me disait : « Ça ne se dit pas ça, c’est à l’oral ! » Alors, je répondais : « Oui, justement, c’est à l’oral, mais c’est ça que je veux montrer ! » Ça a été compliqué de faire la traduction. Il y a eu beaucoup d’allers-retours avec la traductrice parce que je trouvais que les trucs étaient trop littéraux. Finalement, elle a écouté le film, puis elle a compris le style. Ensuite, j’ai refait tous les textes à l’écran, en vidéo analogique pour la version en anglais.
Ma version préférée est en français, mais je la garde pour les diffusions au Québec. Ça m’a déçu parce qu’au FNC, ils ont présenté la version en anglais, et il y a quelqu’un qui est venu me voir après, qui m’a demandé pourquoi mon film était en anglais. Je lui ai dit : « Je ne sais pas. » Je voulais que ce soit la version francophone, puis j’espère qu’aux RVQC, ça va être ça, parce que pour moi, elle est importante, puis elle va être moins vue. Et le texte est beaucoup plus proche de ce que je voulais dire en français. Même si 90 % du texte, c’est Thomas qui l’a écrit, je pense que le 10 % que j’ai ajouté amène cette touche personnelle. Je ne voulais pas non plus me cacher derrière quelqu’un qui est bon avec les mots, parce que pour moi, c’est un complexe que j’ai, l’écriture.
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OT : Parlant de collaborations, revenons aux mains. Qu’est-ce c’est qu’une main amicale ?
GV : Une main bienveillante, une main qui ne va pas être dans un rapport de domination, ce qui est vraiment problématique, systémique. Une main amicale c’est une main qui va toucher, c’est une main qu’on va tendre quand tu as besoin d’aide, c’est une main qui va écouter. C’est vraiment la bienveillance, je pense que c’est le mot-clé pour ça. Les mains, avec ça, je peux boire un café, je peux aller poignarder cette personne-là si je veux, c’est quand même fucked up, ce qu’on a comme outil.
MLG : Cette bienveillance dans la main, est-ce aussi quelque chose que tu ressens dans une sorte d’effet de feedback par le matériau que tu travailles ? Est-ce que parfois tu as l’impression que tu es peut-être allé trop loin avec ton matériau, que tu as été trop violent ?
GV : Ah, complètement ! Je travaille avec la détérioration principalement. Donc de scratcher une pellicule, qui est comme un médium sacré, c’est déjà à la base un geste qui est agressif. Mais tu sais, je m’inspire beaucoup de Pierre Hébert, puis, justement, le geste primitif de graver ou de travailler de ses mains, c’est un geste qui est très agressif. Mais ce n’est pas parce que le geste l’est que ce que tu veux transmettre l’est aussi. Je donne des ateliers de glitchs analogiques à Montréal, par exemple, puis je travaille en VHS. Dans le glitch VHS, tu as une façon d’altérer la lecture de la bande optique. Mais ce qui est drôle, c’est que là, c’est l’opposé de la pellicule. Tu mets ta main dans le VHS. C’est quasiment sensuel, puis doux la façon dont tu vas altérer la lecture, mais à l’écran, ça fait comme des diagonales, des gros glitchs. Moi, j’aime ça glitcher en live avec un show de noise. Même s’il y a de quoi qui est agressif là-dedans, il y a un truc qui est libérateur. Il y a quelque chose qui est détourné de l’outil d’origine. Je trouve ça beau.
:: Analog Hellraiser (2013)
Dans les trente minutes de matériel que j’ai créé, il y a des bouts que j’ai trop détériorés ou des images qui étaient trop agressives. Je voulais vraiment quelque chose de doux, puis de mou, d’organique, je voulais rester dans une nuance de suggestivité dans l’image, puis parfois, ça tombait dans l’abstraction complète, puis ça ne m’intéressait plus. Finalement, le bout qui est le plus abstrait, c’est à la fin, un bout de renaissance, de beauté où Stéphanie a fait un son qui est très dreamy, qui va complètement à l’opposé de tout le reste dans le film. Il y a eu énormément de bypacking, de tirage optique et tout. Donc oui, des fois j’allais trop loin. D’autres fois, je n’allais pas assez loin.
J’ai aussi travaillé avec des images générées par une IA pour ce film-là alors que je travaille avec l’archive habituellement. La manière dont je voulais travailler avec l’IA, c’est que je voulais travailler de la même façon que quand je fais de la recherche dans des banques d’images d’archives. Au début du projet, il n’y avait pas d’images de mains qui m’intéressaient vraiment, alors j’ai décidé d’aller voir comment l’IA allait interpréter ma main à moi. Toutes les mains dans le film sont basées sur mes mains. Je trouvais ça intéressant, mais je ne voulais pas mettre ça de l’avant, je voulais que l’IA soit juste un outil, comme le found footage, comme du tirage optique, un outil comme un autre.
MLG : C’est drôle parce que les mains toutes croches c’est habituellement le signe qu’une image est faite par IA.
GV : C’est exactement ça ! Il y a toujours des défauts dans ma main, mais en même temps, quand l’image est suggérée, quand ce n’est pas trop figuratif, ça vient créer un paysage visuel qui est unique. Puis c’est de là dont vient le titre aussi. C’est inspiré d’un prompt que j’avais fait. J’écrivais des commandes liées aux thématiques que je travaillais, puis il y avait des phrases du livre de Thomas que je mettais directement, littéralement. Puis ce que l’IA m’amenait comme visuel, c’était toujours teinté de rouge, d’orange, de jaune, il y avait toujours ce côté un peu apocalyptique. À un moment donné, des images très cannibales sont apparues, mais ce n’est pas moi qui ai fait ça ! La manière dont l’IA traitait toutes ces thématiques de masculinité puis de virilité, ça donnait des imageries qui étaient violentes. C’est assez intéressant de retravailler ça, puis de jouer là-dessus. Je pense que ça m’a inspiré énormément dans le processus, de montrer une violence systémique qui est là mais d’où une beauté peut émerger.
:: le mirage des mains ultra réalistes (2024)
Toutes les images extraites des œuvres de Guillaume Vallée, gracieuseté de l'auteur.
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