Après l'avoir vu dans l'excellent documentaire
Despite the Gods, nous nous attendions au pire. Celle que nous suivions attentivement depuis son retour à la caméra en 2008 avec
Surveillance avait trébuché en Inde pendant le tournage de
Hisss et avait perdu le contrôle de son film. Son retour en selle,
Chained, était quant à lui un film tourmenté comme peu le sont et tout portait à croire que la dépression guettait Jennifer, fille prodigue de David. Or, c'est une femme enjouée que nous avons retrouvée, excitée face à la réception de son tout dernier-né au Festival Fantasia, où il fut présenté en première mondiale, et enchantée de passer si rapidement à un nouveau projet dès l'automne 2012 (
A Fall from Grace, mettant en vedette Tim Roth). Nous avons tenté tant bien que mal de conserver la dynamique de l'entrevue dans notre traduction, espérant que les petites vulgarités de la cinéaste ne vous apparaîtront que comme le témoignage de son énergie contagieuse.
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Jennifer Lynch |
Panorama-cinéma : Après vos mésaventures en Inde durant le tournage de
Hisss, ressentiez-vous le besoin de faire ce film pour prouver que vous en étiez encore capable?
Jennifer Lynch : Ce n’était pas pour me le prouver. J’avais surtout besoin d’un emploi! La réalisation est ce que je préfère et l’écriture de
Chained m’a sauvée. Le film m’a fait sortir de ma dépression. J’avais l'impression d’être un poisson hors de l’eau, j’étouffais et j’étais sans cesse tourmentée d’avoir perdu
Hisss durant son montage. Je devais retomber sur mes pieds.
Panorama-cinéma : D’où vous est venue l’idée originale pour
Chained?
Jennifer Lynch : On m’a envoyé un scénario écrit par Damian O’Donnell et la prémisse était la même que celle du film que vous avez vu : un chauffeur de taxi avec des habitudes de tueur en série ramasse une mère et son garçon sur le bord de la route et, après avoir tué la mère, enchaîne le petit. C’était déjà excitant, mais c’était surtout excessivement violent et pas du tout mon genre. Les gens pensent que j’aime mettre en scène des histoires violentes, mais je ne voulais pas faire quelque chose d’aussi provocateur. Le scénario d’O’Donnell aurait abouti en quelque chose du genre de
Hostel ou de
Saw et ç'a été une surprise inespérée que d'apprendre que le producteur me proposait d’apporter les modifications que je voulais à l’histoire.
Je lui ai expliqué que la prémisse me stimulait et, qu’après tout, il avait acheté ce scénario pour ce contexte en particulier, mais je souhaitais plonger dans une étude psychologique et me débarrasser de toutes les scènes policières et celles de poursuite écrites par O’Donnell. Je voulais m’éloigner du quotidien et ramener toute la force du film dans une seule et unique maison. Je sentais que c’était beaucoup plus important et que ça me permettrait d’en tirer plus de mes personnages. Ensuite, je me suis penchée sur l’idée du cycle de la violence et sur ses origines. Je me disais que ces individus devaient certainement être arrêtés ou tués, mais qu’il devait bien y avoir une raison aux crimes qu’ils commettaient.
Panorama-cinéma : La performance que vous avez su tirer de Vincent D’Onofrio m’a fait penser aux performances tardives d’Orson Welles, vous savez, ces rôles où il était à la fois extrêmement imposant, puissant dans ses gestes, mais néanmoins toujours fragile.
Jennifer Lynch : Je pense que c’était difficile par moment pour lui et qu’il n’a pu s’en tirer que parce qu’il est un maître dans son métier. Il a passé beaucoup de temps à réfléchir sur le rôle, à rester tranquille, mais aussi à blaguer sur le plateau. Il m’a seulement demandé une fois de retirer une ligne de dialogue parce qu’il sentait qu’il ne devait pas rire de Rabbit à cet instant précis. Et il avait parfaitement raison. Il était extrêmement attentionné envers son personnage et envers ceux des autres. Il était gentil et me demandait constamment de lui confirmer que j’étais satisfaite - il aurait simplement marché à travers une pièce et j’aurais tout de même applaudi son talent. J’ai été honorée que quelqu’un de son calibre me fasse aussi confiance.
Panorama-cinéma : On le dit
method actor. Que faisait-il pour se préparer?
Jennifer Lynch : J’aimerais qu’il soit là pour vous répondre… Il y a quelques jours, je faisais le commentaire audio du film avec Vincent et j’en ai profité pour lui dire à quel point j’étais impressionnée par la manière dont il procédait. Beaucoup de personnes pensent que le
method consiste à demeurer dans son rôle, même entre les prises. Il m’a immédiatement répondu que ce n’était que de la
bullshit et il m’a expliqué que c’était plutôt basé sur l’habilité de l’acteur à revivre des moments forts de sa vie, à puiser dans son passé pour transmettre des émotions via tel ou tel personnage. Vincent n’était jamais Bob lorsque la caméra ne tournait pas et s’il l’avait été, le tournage aurait pu devenir pénible. Je ne veux pas insulter les méthodes d’autres comédiens, mais je suis contente qu’il ait toujours préféré rester ouvert à l’équipe. Si jamais il voulait rester Bob, il se tenait à l’écart dans un espace approprié à sa concentration. C’était une joie de travailler avec lui tellement il était aimable sur le plateau et douloureusement gentil.
Panorama-cinéma : Venons-en à votre mise en scène. Le plan le plus marquant du film montre Rabbit s’approchant dangereusement de Bob. D’où vous est venue cette idée?
Jennifer Lynch : Dans mon expérience, les enfants se rapprochent des adultes quand ils dorment parce qu’ils sont inoffensifs à ce moment-là. J’ai pensé à de nombreux visages qu’il aurait pu faire, mais je me suis dit qu’ultimement, il voudrait surtout être plus grand que Bob, plus imposant, ne serait-ce que pour une minute. Son geste est très enfantin et il préfigure ce qu’il dira plus tard à son père biologique lorsqu’il le menacera d’aller tout dire. Il ne le menacera pas de le traîner en justice, mais demeurera plutôt gamin dans son approche face au monde des adultes.
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Chained (Jennifer Lynch, 2012) |
Panorama-cinéma : À quoi ressemble les recherches que vous faites avant d'imaginer et d'écrire un personnage?
Jennifer Lynch : Je ne fais qu’y penser.
Surveillance, par exemple, s’est beaucoup écrit en me demandant ce que je ferais si j’étais un tueur en série ou un policier perdu au fin fond d’une prairie. J’aime me mettre dans ces situations et j’espère que ça rend les décisions de mes personnages plus universelles. Je ne fais aucune recherche. Je pense que la recherche est dans l’action et la découverte.
Panorama-cinéma : La violence est-elle plus horrifiante parce qu'elle est ancrée dans une situation aussi « normale », aussi
vintage?
Jennifer Lynch : Absolument. Probablement parce que la première fois où j’ai été effrayée, les choses ressemblaient à ça, alors je me suis penchée attentivement sur ce style. Je pense que si vous pouvez rendre une journée ensoleillée ou un environnement normal effrayant, vous avez vraiment accompli quelque chose. Ce n’est pas difficile de rendre une chambre sombre ou une porte grinçante inquiétantes parce que ces éléments sont effrayants de manière innée. Si je réussissais à rendre une brosse à dents terrifiante dans une chambre de bain illuminée, je serais parvenue à mes fins. Voilà pourquoi les maisons normales, la poussière insignifiante et la voiture familiale m’ont toujours fait frissonner. J’essaie toujours de renverser le fameux « bon côté des choses ».
Panorama-cinéma : Sans vouloir faire des comparaisons faciles, ce que vous parvenez à créer me rappelle ce que votre père était parvenu à faire dans
Blue Velvet et
Twin Peaks.
Jennifer Lynch : C’est un grand compliment. Je pense que j’ai eu la chance de grandir en ne voyant plus seulement les petites maisons et leurs belles clôtures blanches. On m’a plutôt éduqué en me disant qu’il y avait des gens qui y vivaient et donc qu’il devait y avoir quelque chose d’imparfait dans ces demeures. Cette éducation m’inspire encore aujourd’hui et elle permet d’arrêter de vouloir ce que ces maisonnées représentent en termes de stabilité et de prospérité.
Panorama-cinéma : Pourquoi sentiez-vous le besoin de créer un personnage qui serait à la fois l’oncle et le geôlier de la victime?
Jennifer Lynch : Cette idée faisait déjà partie du scénario original et je l’ai simplement fignolée en réécrivant certains dialogues pour qu’ils fassent échos à cette situation. J’aimais l’idée que le sauveur tant attendu soit finalement le vrai monstre de l’histoire et que la brute Bob soit en fait celui qui décida de l’épargner. Je trouvais que c’était intéressant, que ça me permettait de parler de la confiance qu’on ressent pour ceux qui nous sont proches et des trahisons qui peuvent en découler.
Panorama-cinéma : Pensez-vous que la violence est quelque chose avec laquelle nous naissons? Est-ce que, pour reprendre les mots du tueur, «c’est la société qui nous rend violent»?
Jennifer Lynch : Je pense que nous naissons tous avec de nombreuses qualités et que nous sommes tous capables de parvenir à nos fins. Ce discours qu’on raconte aux enfants, je ne le pense pas mensonger. Cela dit, je pense aussi que ce qui nous arrive influence énormément les choix les plus sombres que l’on peut faire. Je ne pense pas qu’un enfant naisse en ayant le goût de tuer ou de faire du mal à autrui; ce n’est pas dans la nature de l’Homme. Il y a certainement de la curiosité chez les plus petits qui se pincent ou se donnent des petits coups, mais c’est autant pour avoir notre attention que par curiosité. Les chiots font la même chose en se mordillant. Ces petits coups-là, ils font partie de notre humanité aussi, mais je crois que la violence, elle, est enseignée et acquise au fil des ans.
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Boxing Helena (Jennifer Lynch, 1993) |
Panorama-cinéma : Revenons en arrière à
Boxing Helena, votre tout premier film. Dès celui-ci, de nombreuses scènes nous rappellent le travail de votre père, mais il y a un truc qu’il ne semble pas vous avoir transmis et c’est son humour absurde.
Jennifer Lynch : (Rires) Je ris pourtant en regardant
Boxing Helena! Tout comme je ris toujours devant
Surveillance et aujourd’hui devant
Chained! Mon humour n’est tout simplement pas aussi contagieux et absurde que le sien. Je me concentre moins sur la création d’univers absurdes, c’est vrai. Je n’envisage pas non plus l’humour comme une série de
punch lines. Pour moi, lorsque Bob dit «
What the fuck » ou «
Are you trying to make me fuckin insane? » en parlant à Rabbit, c’est hilarant. Ce n’est pas de l’ordre du « ha-ha », mais bien du «
oh my fucking god ». Je suis à la recherche du rire nerveux, de cette chose chez l’être humain qui vous fait murmurer «
that was some fucked up shit up there ». Ces situations, pour moi, demeurent les plus cocasses.
Panorama-cinéma : Lors de nombreuses scènes,
Chained aurait pu sombrer dans la catégorie ingrate de la
torture porn… Et pourtant, vous êtes parvenue à éviter ce dérapage.
Jennifer Lynch : Soyez béni! (rires)
Panorama-cinéma : Je vous l’assure.
Chained demeure brutal, mais jamais
gore. Pensez-vous que votre discours sur la violence aurait été obscurci par la présence de scènes de torture (comme elles étaient présentes dans le scénario original)?
Jennifer Lynch :
Hostel devait être un film anticapitaliste et il ne l’est pas du tout au final. Je ne suis pas du tout stimulée ou excitée par l’idée de voir des gens torturés à mort pendant des séquences entières. Ces images ne m’attirent pas du tout et je pense que c’est une bonne chose (rires). Par contre, je sais que de nombreuses personnes aiment ces films et y voient des discours. Pour moi, le discours de
Hostel n’était qu’une tentative de procurer au film une rédemption et, par prolongement, fournir un alibi au spectateur qui allait le visionner. Peut-être que c’était une excuse astucieuse pour enfermer des adolescentes sensuelles dans une situation où l’on pouvait les dénuder et les tuer… Mais pour moi, ça n’excuse rien et encore moins son classement chez la MPAA (R : les enfants mineurs doivent être accompagnés d'un adulte).
Panorama-cinéma : Et
Chained a reçu un NC-17 (interdit aux moins de 17 ans).
Jennifer Lynch : Exactement. Nous avons dû rendre quelques gorges tranchées moins réalistes pour descendre au classement R. Je suis confuse parce que, voyez-vous, la
torture porn reçoit toujours des R parce que c’est le nouveau truc cool et branché que de voir des ados mourir en s’exclamant « ne sont-elles pas sexy », « regardez-moi ces seins couverts de sang » « coupons lui un membre pour le plaisir ». Je suis sans réponses. Pourtant, je comprends la fascination qu’on ressent face aux
slashers qui jouaient fondamentalement sur les mêmes idées.
Friday the 13th? J’en suis une grande fan! Les poursuites interminables, les tourmentes exagérées, je connais et ça me plaît. Mais ces films étaient faits dans un état d’esprit bien différent que ces
Hostel ou ces
Saw aujourd’hui si populaires. Je ne pense pas du tout que la
torture porn m’aurait permis de mieux dire ce que j’avais à dire dans
Chained. Avec un peu de chance, j’espère même que les gens verront dans mon refus d’épouser cette forme le début de mon discours sur ce cycle de la violence qui me fascine tant.
Panorama-cinéma : Et pourquoi croyez-vous que les studios et les spectateurs en général ne jurent aujourd’hui que par ce genre de films?
Jennifer Lynch : Honnêtement, je n’en ai aucune idée. Ce qui m’échappe encore plus, c’est comment un groupe composé de parents, de professeurs et d’un prêtre peut penser que ces films peuvent être vus par des enfants. C’est un mystère pour moi. Je ne trouve pas ces films intéressants, ni leurs histoires stimulantes. Je n’aime pas voir ces gens mourir parce que je ne les connais pas. Ça m’importe peu qu’ils meurent ou qu’ils survivent parce qu’on ne me les a jamais présentés et, pourtant, la
torture porn vous force à les voir mourir. Ce n’est pas comme si les réalisateurs de ce courant jouaient avec une certaine désensibilisation face à l’image.
Ces images ont été sacrées cools et branchées et les gens y vont parce que c’est cool et branché… et que c’est cool et branché de faire partie des spectateurs qui ont « survécus » à cette expérience. Pour moi, c’est comme la nouvelle voiture rouge. Pour moi, ça veut surtout dire que vous avez un petit engin. (rires)
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Surveillance (Jennifer Lynch, 2008) |
Panorama-cinéma : Dans vos trois films, il y a un personnage qui en emprisonne un autre. Le motif s’est même répété dans
Surveillance où la situation s’y prêtait le moins.
Jennifer Lynch : Vous avez raison : j’adore toutes les formes de captivité et de claustrophobie. J’aime ce que ces situations révèlent des gens. C’est pourquoi j’ai pensé que lorsque la dernière captive de
Chained, Angie, se sentirait prise au piège pour de bon, elle commencerait à négocier sa liberté avec son corps. Elle n’est habituellement pas une fille facile, mais la situation l’oblige à tenter le tout pour le tout et ce que la société lui a enseigné, c’est précisément de jouer de son corps pour se sortir de toutes les situations possibles. Je ne suis pas exactement excitée par l’emprisonnement, mais de la même manière que je rêve de réaliser un huis clos dans un ascenseur ou un immeuble, j’aime filmer les réactions des gens face aux pièges que je leur tends. C’est à ce moment qu’ils font des choix différents. Ces situations m’intéressent beaucoup plus que des mises en contexte où les protagonistes peuvent aller et venir à leur aise dans le décor.
Panorama-cinéma : Il y avait de nombreuses caméras de surveillance dans
Surveillance. Tellement que vous y avez trouvé le titre de votre film. Ici, les caméras sont cachées dans des ours en peluche. Ces ressemblances me poussent à croire que vous aimeriez bien vous lancer dans l’aventure du film d’horreur de type
found footage.
Jennifer Lynch : En effet, j’adorerais faire un de ces films. Je pense que c’est du génie, que c’est ingénieux comme peu de styles le sont. J’aime regarder ces films et je regarderais toutes les oeuvres qui se prêteraient à ce procédé parce que je crois que c’est une brillante manière de rendre quelque chose aussi authentique que terrifiant. Nous sommes tous voyeurs et même le cinéma est un art du voyeurisme. Nous entrons dans une salle sombre, nous regardons en cachette des gens vivre leurs vies en mâchant du popcorn comme des
peeping toms et nous payons pour le faire. J’adore les films d’horreur basés sur le voyeurisme ou le
found footage et j’aimerais en faire quelque chose, car c’est une manière originale et peu coûteuse de raconter des histoires. Il ne me reste qu’à trouver une idée qui ne me donnera pas l’impression de répéter tout ce qui a déjà été dit sur le sujet.
Panorama-cinéma : Comme dans
Boxing Helena et
Surveillance, vous faites entretenir à vos personnages une relation très intime avec le sexe et la violence jusqu’à cette scène très réussie où l’agent Anderson aspire la vie de sa captive en l’embrassant.
Jennifer Lynch : Vous avez tout compris, je suis une perverse! (rires)
Plus sérieusement, je pense que le sexe a beaucoup à voir avec le pouvoir et les relations sexuelles plus romantiques, elles, ont plus à voir avec l’échange de pouvoir entre les deux personnes du couple. C’est un échange qui nous permet d’être tour à tour soumis ou dominant et c’est une danse qui s’exécute à deux en alternant entre les « Je te possède » et « Tu me possèdes ». Je crois que les relations de couple abusives se fondent sur un débalancement de cette entente tacite dans le couple. Peu de choses séparent ces deux extrêmes et elles procurent la même montée d’endorphine dans le cerveau. Je crois que ce plaisir de romance et ce plaisir de violence se flouent entre eux et finissent par se mélanger. Dans le cas de
Surveillance, par exemple, j’ai pensé que ces deux agents avaient été abusés dans leurs enfances respectives et qu’ils s’étaient rencontrés dans cette souffrance mutuelle où ils pourraient enfin voir et se faire voir dans et par la violence. Ces barrières floues devenaient pour eux un terrain de jeu où ils décidaient de sexualiser la violence pour y trouver une intimité que d’autres retrouvent au lit ou dans le quotidien d’une famille conventionnelle.
Panorama-cinéma : Et pourquoi laissez-vous toujours vos personnages dans la pire des situations? Dans le cas de
Chained, qu’est-ce qui peut bien arriver à Rabbit une fois passé le générique?
Jennifer Lynch : En fait, ce qu’on entend pendant le générique, c’est Rabbit qui bouge les meubles dans la maison pendant qu’Angie s’affaire dans une autre pièce. Ce que nous savons, c’est qu’elle est encore avec lui et qu’elle est en bonne santé. J’aimais cette idée de voir le héros retourner dans cette maison, car c’était la seule chose qu’il n’avait jamais connue. Toutes les personnes qui comptaient à ses yeux sont mortes et il ne lui reste plus que cette demeure et cette fille avec qui il a tissé des liens plutôt précaires. Au final, on ne sait pas du tout ce qui lui arrivera et cette fin ouverte me plaît beaucoup. C’est à ce moment qu’on peut se permettre d’avoir un dialogue et de poursuivre l’évolution du personnage selon ce qu’on a retiré du film, selon ce que notre propre morale nous dicte.
Dans le cas de
Surveillance, Stephanie a été épargnée parce qu’elle a deviné l’identité des agents avant l’exécution de leur plan. La finale ressemble à celle de
Chained en ce sens qu’elle représente aussi ce sombre bouquet de roses passé d’un tueur en série à sa victime la plus innocente. Je crois que Stephanie va survivre à son expérience dans
Surveillance et j’aime me poser des questions sur son avenir. Deviendra-t-elle dangereuse? Deviendra-t-elle aide sociale? Comment se déroulent les trois journées suivantes de sa vie? Comment se rend-elle vers la ville la plus près? Autrement dit, vous avez raison quand vous dites que je laisse mes personnages dans une situation pire que celle dans laquelle je les ai trouvés… Mais ils sont en vie et moins mal en point que leurs proches. Dans mes films, l’innocence survit parce que je pense que demeurer honnête avec soi-même et regarder le monde à travers des yeux d’enfant vous sauvera toujours des mauvaises décisions que vous pourriez prendre.
Retranscription et traduction :
Mathieu Li-Goyette | Photos :
Cécile Lopes