Réalisatrice, monteuse, scénariste, Kate McMullen est une femme-orchestre du cinéma, partie tourner son Little Berlin dans un champ gallois peuplé de vaches ennuyées afin d’élaborer un court métrage documentaire aux élans autant humoristiques qu’historiques. Récemment gagnante du Prix de la meilleure comédie au prestigieux festival de Clermont-Ferrand, elle nous a accordé cet entretien lors de son passage à REGARD.
Mathieu Li-Goyette : Tes courts précédents ont porté sur Shanghai, Malte, saint Georges… et maintenant sur des vaches allemandes séparées par le rideau de fer. Où trouves-tu tes sujets pour des films aussi différents ? Te fais-tu un devoir de changer de pays ou d’époque à chaque projet ?
Kate McMullen : Il a une théorie qui veut que les cinéastes indépendants doivent faire des films à propos d’eux-mêmes, de leurs vies et des choses qu’ils connaissent. Mais si je faisais ça, je ferais les films les plus ennuyeux du monde : ce serait juste quelqu’un qui est assis sur son sofa toute la journée. Alors, je fais des films à propos des choses que je trouve intéressantes. J’ai étudié l’histoire à l’université, donc je m’intéresse au passé, à la politique, à la culture. Et puis je lis beaucoup, et lorsque je trouve quelque chose qui m’intéresse, c’est ça qui me donne envie de réaliser un film. Je ne suis pas en train de chercher un sujet pour un film, je fais juste tomber sur quelque chose.
MLG : Comment est-ce que tu prépares tes films ? Est-ce que tu dirais que c’est d’abord un travail d’écriture ou est-ce que le film, tel qu’il est, disons, dans sa forme aboutie, se métabolise au niveau du montage, un peu comme dans une logique où tu expérimentes en le faisant [where you throw things against the wall and see what sticks] ?
KM : C’est un mélange. Je fais beaucoup de montage. C’est comme ça que je gagne ma vie : en faisant du montage. J’imagine que, quand j’écris, je pense comme une monteuse. Le montage est certainement une partie très importante du processus, alors j’y pense dès le début. Mais, avec Little Berlin, c’était plus compliqué que d’habitude… J’ai tourné beaucoup, puis j’ai essayé de monter, mais il y avait beaucoup de trous dans la continuité. Alors, je suis allée tourner de nouveau, je suis retournée au montage, puis ensuite retournée filmer, et retournée monter… Ce qui m’a aidé sur ce projet, c’est que nous étions une toute petite équipe. J’ai tout filmé moi-même ; il y avait mon producteur [Paul Wauters] avec moi, mais c’est tout. Nous n’avions pas d’équipe à la caméra du tout, ce qui me permettait d’avoir la liberté de revenir en arrière, de retourner filmer, puis de retourner monter, etc. C’était un processus très organique, ce qui est absolument extraordinaire.
MLG : Tu parlais d’une formation en histoire, mais en as-tu aussi une en montage ou bien est-ce aussi quelque chose que tu as appris en le pratiquant ?
KM : J’ai dû apprendre à faire du montage pour pouvoir faire mon premier film... C’est pas mal ça qui est arrivé. Et j’ai aimé ça. J’aime faire du montage. C’est comme avoir un gros morceau d’argile, puis le modeler jusqu’à ce que tu obtiennes une belle forme. Je trouve que c’est un bel exutoire créatif. Alors, oui, j’aime faire cela mais, non, je n’ai pas de formation. C’est pour ça que je fais des erreurs. (rires)
MLG : D’où vient, en fait, ton sens du rythme ? Tes films sont extrêmement rythmés, et, en même temps, on est toujours dans une sorte de clarté à travers le rythme. Comment en es-tu venue à développer cette esthétique ? Est-ce que c’est en t’appuyant, par exemple, sur de la musique ou, disons, en travaillant une certaine métrique du montage ?
KM : C’est la musique ! Souvent, j’utilise la musique comme une sorte d'arrière-plan, car je crois vraiment au rôle de la musique dans un film. Je pense que ça relève vraiment les choses, ça relève l’émotivité des images et ça crée de la tension en même temps, alors c’est important pour moi de trouver un morceau de musique qui fonctionne bien. Je l’essaie sur quelques images et, si je sens que ça peut fonctionner, je vais littéralement bâtir le montage sur le rythme de la musique.
:: Little Berlin (Kate McMullen, 2020)
MLG : Little Berlin est un film qui est particulièrement recherché ; il y a beaucoup d’écriture au niveau de la voix off, de la manière dont ç’a été narré, beaucoup plus que dans tes précédents. Est-ce que c’est un film qui a ouvert une nouvelle dimension pour toi au niveau de l’écriture ? Est-ce que ça a représenté un plus grand défi de te reposer non seulement sur le montage et les images, mais aussi sur la profondeur du texte ?
KM : Pour être honnête, ce film-là s’est écrit un peu tout seul, dans le sens où il s’agit d’une histoire plutôt linéaire, où les gags émanent naturellement du contexte. (rires) Je trouve cela très difficile d’écrire. De tout le processus, c’est la partie que je trouve la plus difficile, alors quand ça marche bien, c’est très gratifiant. Mais ce n’est pas la chose la plus difficile que j’ai écrite, je dirais (contrairement à quelque chose sur lequel je travaille présentement). La simplicité du récit de Little Berlin faisait en sorte que la narration n’était pas si difficile à résoudre.
MLG : À quel moment dans le tournage, dans l’écriture, est venue l’idée de faire narrer tout ça par Christoph Waltz ?
KM : Oui, ça c’est mon producteur. Dès le début, tout ce que j’avais, c’était la voix off. Je n’avais pas un script complet, ni même un scène-à-scène. J’avais seulement la narration en voix off et mon producteur l’a lu, puis il m’a dit : « Tu sais qui serait vraiment bon ? Christoph Waltz ! » Et puis, j’étais comme : « Ouais, ouais, elle est bonne ! Ça serait incroyable. » Évidemment, je n’ai jamais cru qu’il allait le faire, mais malgré tout, c’est devenu une sorte de fantasme dans ma tête, que ce serait la voix de Christoph Waltz, alors, lorsque j’étais coincée dans un champ, au milieu du pays de Galles, avec la pluie qui tombe à flot et que c’était juste l’enfer, je me poussais pour faire des heures supplémentaires et aller chercher tous les plans nécessaires parce que, dans ma tête, je pensais seulement à Christoph Waltz ; ça devait être à la hauteur de Christoph Waltz. Et ça m’a fait travailler plus fort. Puis, à la fin du montage, nous avions un montage presque final, puis la question est revenue : « qui va faire la narration ? » Et on s’est dit : « essayons donc ! C’est quoi la pire chose qui peut nous arriver : qu’il ne nous réponde pas ? Qu’il dise non ? Quoi de pire ? » C’était au milieu de la pandémie, alors on se disait qu’il n’avait peut-être rien à faire. On lui a donc envoyé un teaser du film, et dans le teaser, on a également mis des plans de moi dans le champ, qui essaie de motiver les vaches à bouger. Évidemment, les vaches ne bougeaient pas du tout… On a mis ces plans-là dans le teaser pour qu’il voie comment nous avions travaillé fort, comment nous n’avions pas de budget… Nous avons envoyé le teaser à son agente à Berlin et, le jour suivant, elle nous a répondu en nous disant : « Christoph trouve le projet absolument charmant et il aimerait le faire. Est-ce que vous pourriez venir à Berlin la semaine prochaine ? » (rires) Ce qui est fou parce qu’on était au milieu du confinement et qu’aller à Berlin était difficile, mais nous nous sommes débrouillés et c’était juste magique. Nous avions une heure avec lui et ce fut une heure inoubliable, vraiment, vraiment merveilleuse.
MLG : À travers tes films, comment isoles-tu les éléments symboliques, les éléments iconiques qui vont te servir après à représenter l’époque, l’histoire, le pays ? Tu parlais tout à l’heure du fait que tu lisais beaucoup sur l’histoire en général, mais comment, à travers ces choix que tu fais au niveau iconographique, qui sont des choix d’images très connotées, très chargées, négocies-tu intérieurement la notion de cliché ?
KM : Ça, c’est vraiment une question astucieuse et difficile… Tu as raison : il y a quelque chose là. J’imagine que, plus quelque chose devient iconique, plus elle devient connotée et c’est ça qui rend les choses intéressantes, non ? C’est que tu peux en tirer plusieurs choses, mais j’aimerais réfléchir à cela plus en profondeur… Je pense que ça passe beaucoup, encore une fois, par le rythme que je donne aux images. Une image très chargée, si elle passe rapidement, ou au bon rythme, je crois que ça peut l’alléger. Et c’est vrai qu’en contrepartie, un bon montage, ça peut tout changer. En même temps, si on passe trop de temps sur un truc, ça devient trop lourd, ça prend presque trop de sens et ce n’est pas ce que je vise non plus.
:: Little Berlin (Kate McMullen, 2020)
MLG : Est-ce que tu vises le long métrage et, si tu vises le long métrage, est-ce que tu envisages d’ajuster cette forme ou d’essayer de te donner le défi de la maintenir sur une longue durée ?
KM : (rires) Bang ! Bang ! Bang ! Bang ! Pendant deux heures ! En fait, j’aimerais bien faire un long métrage un de ces jours. Certainement. Mais, je crois que j’ai beaucoup de choses à découvrir et à apprendre avant de me rendre là. Et je crois que certaines des choses qui font partie de ma marque de commerce sont là seulement parce que je manque d’argent, parfois, pas tout le temps, mais ça fait partie de la chose. Et je crois qu’il y a tellement d’autres manières de faire, d’autres aspects du cinéma que j’aimerais explorer… Je crois que les choses qui m’importent ont trait à un certain engagement, à quelque chose de plus profond, de politique ; mon cinéma est généralement politique. L’humour, c’est important aussi. Je crois que, si je commence à me prendre trop au sérieux, tout va s’envoler en fumée. Et puis, il y a la couleur et une forte imagerie qui sont aussi importantes pour moi. Alors, si je peux garder ces trois choses-là au cœur de mon travail, puis grandir en même temps et développer quelque chose de plus mature, je serai très fière de moi.
kate mcmullen |
transcription et traduction : Olivier Thibodeau | photo : Mathieu Li-Goyette
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