DOSSIER : Le cinéma et ses conjurations
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Entrevue avec Adam Elliot

Par Louis Filiatrault

Présenté au Festival du Nouveau Cinéma il y a quelques semaines, récompensé aux festivals d'Annecy et Ottawa dans les mois précédents, le film d'animation Mary and Max se précipite vers la fin de l'année avec le vent dans les voiles. Homme très occupé par les temps qui courent, le réalisateur Adam Elliot a accepté de nous accorder un rare entretien. Nous en profitons pour nous enquérir de son processus créatif, ainsi que des enjeux particuliers qui accompagnent une production de moyenne ampleur telle que la sienne.

Panorama : Mary and Max semble conjuguer l'esprit du cinéma indépendant et les ressources d'un film d'animation pour grand public. Comment avez-vous géré la plus grande échelle de ce projet?

Elliot : Puisqu'il s'agissait de mon premier long-métrage suite à ma récompense aux Oscars, nous savions que les valeurs de production devraient s'ajuster en conséquence. Nous savions que le film ne pourrait pas avoir l'air brouillon, mais nous voulions en même temps qu'il conserve une apparence très tactile ; que les empreintes se voient sur la plasticine et que le public sache instantanément que ce qu'il voyait n'était pas une création numérique. Nous avons donc mis beaucoup de soin dans les détails, les décors, les personnages... Mais aussi dans l'histoire, qui est pour moi la chose la plus importante. Tous mes films sont inspirés de personnes réelles, et celui-ci est modelé d'après mon véritable correspondant new-yorkais, avec qui j'échange depuis vingt ans. Ce fut aussi un film très difficile à faire car nous ne disposions que de huit millions de dollars, ce qui est très peu pour un long-métrage d'animation. Nous devions donc réaliser un film de huit millions qui semblerait en avoir coûté cent...

Panorama : Vous avez évoqué votre inspiration pour le récit du film. Avez-vous effectué des recherches particulières [sur le syndrome d'Asperger], ou votre approche du sujet fut-elle plus intuitive?

Elliot : J'ai surtout commencé par relire toutes les lettres de mon correspondant. Bien que j'aie changé son nom, celui-ci est très similaire à Max ; il est obèse, athée malgré ses racines juives, et il est aussi autiste. Mais j'ai également beaucoup lu, je devais en savoir beaucoup plus sur ce que le syndrome représentait.

Panorama : Vous avez donc fait comme Mary, en quelque sorte.

Elliot : Oui! Et c'est pourquoi j'ai inséré cela dans le film. J'aime prendre des risques, me donner des défis. J'aime voir des films qui osent et nous font découvrir des sujets méconnus. Et il y avait bien sûr le risque que mon ami se sente trahi ou mal représenté...

Panorama : Comme ce qui arrive dans le film.

Elliot : Exactement! Mais il a été merveilleux. J'ai été très transparent avec lui dès le début. Il a lu le scénario, j'ai obtenu sa permission... Mais je ne l'ai encore jamais rencontré.

Panorama : Ah bon! Mais un jour...

Elliot : Oui, bientôt je l'espère.

Panorama : Vous avez abordé tout à l'heure l'étrangeté de votre film dans le paysage de l'animation populaire... Comparativement aux grandes productions d'aujourd'hui, Mary and Max apparaît en effet plutôt incongru, tout spécialement au niveau du ton et de l'humour. Avez-vous eu de la difficulté à trouver les canaux appropriés pour le distribuer?

Elliot : Oui. Dès le premier jour, ce fut un film très difficile à financer, à réaliser, à vendre... Ce fut un film très difficile! Mais comme j'écris très intuitivement, je ne me soucie pas trop de la mise en marché, des éventuelles recettes du film... Je me contente d'écrire des histoires sur ma famille et mes amis, et comme il se trouve que je choisis de les réaliser en animation, je dois me croiser les doigts par la suite en espérant que le film se vende! Mais voilà ce qui est étrange: les critiques ont été bonnes, les gens qui finissent par voir le film l'aiment beaucoup... au fond, les seuls qui semblent ne pas l'aimer, ce sont les distributeurs! Bien sûr, un seul regard au synopsis, qui traite de l'amitié entre un homme de quarante ans et une fillette de huit ans, suffit à effrayer bien des gens. D'autant plus que j'y référais d'abord comme une histoire d'amour...


MARY AND MAX d'Adam Elliot

Panorama : Mais ce l'est, dans un sens.

Elliot : Oui! Et les gens s'exclamaient: « Quoi! » Mais l'amitié comporte une part d'amour, c'est impossible à nier. Bien entendu, ceci n'est pas un film de Disney, mais un film pour adultes...

Panorama : Une autre façon dont votre film se démarque est dans la manière dont vous racontez son histoire. Votre emploi du montage et de la voix off est remarquable. Quelles sont les raisons qui vous ont poussés à narrer le film comme vous l'avez fait?

Elliot : Comme je l'ai dit, j'aime me lancer des défis. J'aime faire les choses différemment. Quand j'étais à l'école de cinéma, on nous enseignait à faire des films qui étaient originaux, qui repoussaient les limites de la forme. Tant de films d'animation suivent une formule prévisible... Quand je travaillais sur le scénario et que j'informais les investisseurs que le film serait entièrement narré, on me disait: « Tu ne peux pas faire un film comme cela! ». Je leur répondais: « Mais pourquoi pas? ».

Panorama : Vous avez bien fait de tenir votre bout! La voix et l'image se complètent parfaitement.

Elliot : Eh bien, j'aime mettre les gens dans le tort. Et je suis conscient que tant de narration peut être difficile à absorber, surtout dans un film d'animation, mais je tenais à cette intégrité. Pour être franc, je fais du cinéma pour des raisons très égoïstes, et j'essaie donc de faire des films auxquels je voudrais assister moi-même. Malheureusement, il me faut employer 120 personnes durant cinq ans pour le faire. Parfois je voudrais n'être qu'un simple pâtissier...

Panorama : Est-ce beaucoup de gens pour un projet de cet envergure?

Elliot : Oui et non. Si vous comparez aux studios Pixar...

Panorama : Oui, c'est quelque chose d'autre.

Elliot : Notre équipe demeure donc tout de même assez petite. Et je n'ai aucunement l'intérêt d'aller travailler à Hollywood, car j'ai la certitude qu'il est possible de disposer de trop de moyens. Je préfère conserver mes projets dans une tranche financière confortable, où il n'y a pas autant de pression commerciale. Et je suis franchement déterminé à écrire et réaliser mes propres films ; je ne suis pas intéressé à effectuer le travail des autres. De toute façon, mes films prennent tellement d'années à faire que je préfère rester maître de mon temps. Être un gros poisson dans une petite mare, pourrait-on dire.

Panorama : Qu'en est-il de votre prochain projet?

Elliot : Je travaille sur un seul scénario à la fois, et je dois les laisser mûrir longuement. J'ai aussi besoin de me mettre en colère lorsque je suis en phase d'écriture, et l'un de mes amis a récemment fait quelque chose qui m'a bouleversé. Je suis donc fasciné par son cas, et je pourrais passer quelque temps à y réfléchir. J'ai aussi besoin d'amasser vingt millions de dollars entretemps, alors si vous connaissez quelqu'un!

Panorama : Pas pour le moment, mais peut-être un jour, qui sait?

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Article publié le 13 novembre 2009.
 

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