Presque tout de suite après avoir complété mon bac à Vancouver, je suis retournée vivre chez mes parents à Calgary pour commencer à rembourser mes prêts étudiants. Évidemment, j’ai vu cela comme une régression puisque personne n’a envie de retourner vivre avec ses parents après avoir vécu quatre ans par soi-même, avec des amis, dans une ville plus cool que sa ville natale. J’ignorais que mon retour me rapprocherait de la Quickdraw Animation Society (QAS), l’un des deux seuls centres d’artistes autogérés (ARCs) dédiés à la production d’animation indépendante au Canada. En visitant la QAS pour la première fois et en participant à une visite guidée organisée par nul autre que le maître de la gravure sur pellicule, Richard Reeves, qui est aussi l’un des plus généreux animateurs que j’ai jamais rencontrés, je savais bien que j’étais dans un endroit spécial. Leur espace contient des studios collectifs et privés, une chambre noire, une bibliothèque, et tout l’équipement technique nécessaire pour créer presque n’importe quel type d’animation. Mais, au-delà de l’espace physique, on ressentait une atmosphère accueillante et inclusive. Peut-être que revenir à Calgary n’était pas une si mauvaise chose après tout… Je me suis vite inscrite à des cours et j’ai rencontré la directrice générale, Sharon Adams, puis d’autres employés et d’autres membres sympathiques de la QAS, si bien qu’après un an de participation, j’ai commencé à y travailler à titre d’administratrice et de directrice de projets pour le programme Jeunesse, un poste que j’ai occupé durant près de trois ans. C’étaient mes premières années de pratique, des années formatrices qui m’ont permis de trouver mon groupe d’appartenance et d’apprendre la valeur du communautarisme, une leçon aussi importante que l’apprentissage de la production dans n’importe quelle institution pédagogique officielle.
J’ai eu la chance d’interviewer à la fois Peter Hemminger, le directeur général actuel de la QAS et Myfanwy Ashmore, la directrice générale actuelle de la Toronto Animated Image Society (TAIS), un autre centre d’artistes autogéré dédié à l’étude et à la promotion du cinéma d’animation indépendant via des activités de production, des projections, des ateliers et des expositions. Je les ai questionnés à propos du développement communautaire, de la façon dont leurs communautés se sont construites au fil du temps, et des manières de construire nos propres communautés si nous ne vivons pas à Calgary ou Toronto, et n’avons pas accès à ces deux centres rares et précieux.
Anne Koizumi : Quel est le rôle d’un centre d’artistes autogéré dans la construction et le maintien d’une communauté d’animation inclusive ?
Peter Hemminger : Je crois que ça dépend beaucoup du contexte où le centre d’artistes opère. Dans le cas de la Quickdraw, Calgary n’a jamais vraiment eu d’industrie d’animation professionnelle. L’ONF n’avait pas de studio de production ici, aucune de nos institutions scolaires n’offrait de programme d’animation et la présence des studios a toujours été rare. C’est dans ce contexte que la Quickdraw a vraiment défini son rôle comme celui d’offrir aux gens une plateforme vers un médium artistique qui semble parfois inaccessible.
Dans le passé, cette mission était liée aux équipements. À l’époque analogique, créer un court métrage d’animation d’allure professionnelle nécessitait l’usage d’énormes supports à caméra Oxberry qui étaient beaucoup trop chers pour les moyens des animateurs individuels, émergents ou établis, alors il y avait des avantages collectifs évidents à rendre de tels équipements disponibles et abordables. Mais même à cette époque, développer la communauté était très important. Le travail d’animation ayant toujours été aliénant de nature, le simple fait de fournir un espace où les gens peuvent se rassembler, discuter de leur travail, projeter les films qu’ils aiment et tisser des liens avec les gens, particulièrement ceux qui sont éloignés des grands centres de l’animation, peut constituer un véritable fil d’Ariane pour les artistes qui tentent de bâtir leur pratique.
Le numérique a rendu les choses beaucoup plus accessibles, ce qui a un peu changé nos priorités. Ça reste toujours relatif — les tables à dessin haut de gamme et les licences d’exploitation périodiques des logiciels restent toujours hors de la portée de nombreux artistes, alors il y a toujours beaucoup de mérite à offrir ce genre de ressources — mais les approches artisanales et les applications gratuites tendent à amoindrir les barrières techniques d’antan. Dans les circonstances, ce sont les aspects communautaires et didactiques des centres d’artistes autogérés qui prennent de la valeur. Il n’existe toujours pas de programme d’animation à Calgary, et les grosses écoles d’animation sont si dispendieuses et orientées vers une sorte de modèle industriel standardisé, que nous sommes toujours fiers de pouvoir offrir une façon à quiconque est désireux et dédié d’apprendre les rudiments et les compétences nécessaires pour commencer à faire leurs propres films. Dans ces cas-là, notre rôle est simplement d’être accueillants, encourageants et disponibles.
Une chose que j’aime à la Quickdraw, c’est qu’on envisage toujours le développement communautaire à long terme. Encore une fois, je crois que ça se résume à un manque d’infrastructures dédiées à l’animation à Calgary, mais il semble que nous avons toujours envisagé le développement communautaire comme l’idée de planter des graines qui prendraient beaucoup de temps à porter fruit. Les programmes jeunesse ont toujours été une priorité pour la Quickdraw, et cela ne consiste pas qu’à montrer des films d’animation aux enfants, mais à leur montrer comment animer, et les aider à comprendre que c’est un art accessible à tous, et pas seulement quelque chose que les gens font dans des villes lointaines. Je suis toujours surpris de voir combien de nos employés, de nos cadres et des membres de notre communauté ont goûté pour la première fois à l’animation à l’âge de huit ans, dans le cadre d’un de nos cours pour enfants, et comment ils sont désormais dédiés à faire profiter les autres de cette expérience.
Je pourrais m’attarder longtemps sur le sujet, mais je crois que l’important, c’est que toutes nos décisions, des films que nous programmons durant nos festivals aux cours que nous enseignons, aux bourses que nous offrons, servent avant tout à fournir une plateforme vers l’animation. La Quickdraw a été fondée comme un espace de bricolage, avec une approche improvisée de la résolution de problèmes. Nous avons plus de ressources maintenant, mais c’est toujours le même esprit qui nous habite : rassembler les gens, démarrer des projets dès que possible, continuer à s’encourager les uns les autres, et de bonnes choses vont arriver.
Myfanwy Ashmore : À la TAIS, nous utilisons un modèle de soutien à la production intégré, que nous avons développé au fil des ans pour la programmation du centre, afin d’offrir du soutien aux artistes à toutes les étapes de leur carrière. Ceci inclut un accès abordable à la réservation des studios et à des équipements professionnels externes, des cours et des ateliers, des résidences payées, des conférences d’artistes accessibles gratuitement au public et aux membres, et des projections payantes de films en provenance d’animateurs indépendants et d’animateurs établis d’origine locale, régionale ou internationale.
Chaque année, nous présentons des programmations avec jurys à l’occasion de notre Showcase [Annual TAIS Animation Showcase], qui en est maintenant à sa 16e année. Notre sélection est généralement composée de films d’animation d’une durée variant de 5 à 10 minutes, en provenance d’artistes régionaux ou internationaux. Tous les artistes reçoivent des compensations pour les projections telles que prévues par les règles du CARFAC et du IMAA. Nous organisons aussi notre compétition Anijam dans le cadre du programme Showcase, où des animations de 10 secondes, soumises autour d’un thème ouvert à tous, sont aboutées sur une seule bobine, présentée lors de notre Showcase. Le vainqueur de l’événement est invité à la résidence de la compétition Anijam, qui inclut un prix en argent et trois semaines de temps de studio et de support technique à la TAIS, afin de créer une œuvre qui sera projetée lors de l’édition suivante du Showcase. Les participants à l’Anijam sont souvent des artistes émergents, étrangers à l’animation ; il s’agit donc d’une parfaite porte d’accès vers la TAIS.
:: Sand Fortress (Constant Yen, 2021), "Best Anijam" et "Best Anijam Audience Choice", TAIS Anijam 2021 [Constant Yen]
Nous faisons chaque année un appel à soumissions pour notre programme de résidence artistique, mais aussi pour nos micro-résidences, où les artistes sont sélectionnés par un jury pour venir créer une nouvelle œuvre à la TAIS. Les artistes reçoivent une redevance de 1000-6000$ (dépendant du financement) et obtiennent du temps de studio et du support matériel. Les résidences durent de trois semaines à trois mois et incluent une conférence d’artiste ouverte au public.
Notre programme Studio Skills (techniques de studio) aide à développer les talents d’animation des artistes. Nous offrons des ateliers d’animation et des cours de niveau débutant, intermédiaire et avancé, pour lesquels nous engageons des artistes comme professeurs. Généralement, nous avons aussi quelques espaces subventionnés pour les gens qui en ont besoin et nous essayons de les laisser à un prix abordable ; nous les offrons parfois même gratuitement.
Nous formons des partenariats avec diverses organisations pour amener l’animation partout à Toronto grâce à des ateliers, des projections et d’autres efforts de sensibilisation, pour partager notre amour de l’animation indépendante, pour valoriser, inclure et supporter les voix de toute la région métropolitaine torontoise. En 2021, nous avons présenté douze œuvres en provenance d’artistes émergents et racisés, projetées à l’extérieur dans le cadre de #ShowLoveTO, en collaboration avec BigArtTO. Nous avons aussi organisé une série d’ateliers d’animation pour personnes âgées via l’Animation Project, en collaboration avec North York Arts, culminant par une grande projection, et nous nous sommes affiliés à Sketch pour organiser des ateliers d’animation pour parents LGBTQ2+ mal logés de moins de 30 ans.
AK : Comment les animateurs et les communautés d’animateurs qui sont passés par chez vous ont-ils changé ou évolué au fil des ans ?
MA : Plusieurs personnes développent une connaissance plus approfondie de l’animation à travers nos collaborations, inspirées par des expériences d’animation relativement commerciales. Nous adorons motiver les gens à créer de nouvelles œuvres, de nouvelles façons de travailler, et à explorer les techniques qui les ont amenés à la TAIS, afin de faire résonner leurs propres expressions et leurs voix indépendantes.
Nous avons découvert qu’il existe encore une passion pour l’animation à la main et pour les décors et les marionnettes de stop motion faits à la main, et c’est quelque chose que les gens explorent dans nos studios. Les artistes aiment aussi combiner les technologies numériques plus récentes et les techniques d’animation classiques, et continuent à faire des expériences, pourvu qu’ils aient du temps, de l’espace et du soutien. Le temps et l’argent manquent de plus en plus aux artistes avec la montée des coûts à Toronto, et c’est le cas pour la TAIS également. Nous attaquons ce problème en offrant des coûts de location abordables, et grâce à des choses comme notre programme Studio Support, qui propose un accès trimestriel à nos studios à des artistes sous-payés et sous-employés. La communauté des animateurs indépendants recoupe souvent le monde des centres d’artistes en arts visuels et en arts médiatiques, mais en demeurant unique, même si j’ignore comment décrire ce qui les rend si uniques — c’est une communauté très sympathique, l’animation étant une façon parfaite d’aborder des sujets difficiles avec humour, alors ça, ça entre peut-être en jeu.
Nous essayons de garder le contact avec les artistes qui ont produit des œuvres pour la TAIS, même s’ils demeurent très loin. Avec notre modèle de support à la production intégré, nous invitons les artistes qui ont produit des œuvres pour nous à organiser des ateliers et à donner des conférences pour célébrer leur dur labeur. Alisi Telengut, par exemple, a été la première artiste canadienne en résidence chez nous ; en 2019, elle a passé trois mois à la TAIS, où elle a créé The Fourfold (2020), une courte animation inspirée par les croyances animistes ancestrales et les rituels chamaniques de la Mongolie et de la Sibérie, une exploration de la cosmogonie et de la sagesse autochtones. The Fourfold a depuis été nominé pour plus de 13 récompenses et a été projeté dans plus de 100 festivals et galeries. En 2021, nous avons ramené Alisi (en ligne) à la TAIS pour projeter son œuvre et animer un atelier pour notre communauté, mais aussi pour célébrer son incroyable réussite.
:: The Fourfold (Alisi Telengut, 2020) [Vidéographe]
PH : Le genre d’animateurs et de communautés qui passent par la Quickdraw change beaucoup au fil du temps. Pendant de longues périodes, comme vers la fin des années 90 et le début des années 2000, la QAS était un véritable centre de production. Durant ces périodes, nous accueillons des artistes établis, qui connaissent bien les rouages du financement, et le rôle de la Quickdraw se rapproche de celui d’un centre de location et d’espace de rencontre. À d’autres moments, notre communauté est surtout constituée d’artistes émergents, et ce sont nos programmes pédagogiques et notre aide au financement qui sont plus en demande.
Évidemment, il y a toujours à la Quickdraw un mélange d’artistes à différents stades de leur carrière ; c’est le ratio qui change avec le temps. Mais c’est très satisfaisant d’avoir été là assez longtemps pour voir la progression individuelle de chaque artiste. Voir quelqu’un comme Tank Standing Buffalo débarquer chez nous, curieux d’apprendre à faire de l’animation, appliquer pour l’une de nos bourses afin d’apprendre les principes de base, puis s’installer chez nous pour les années suivantes et se bâtir un portfolio d’œuvres qui l’ont amené jusqu’au TIFF, où il présente cette année son dernier court métrage — c’est incroyable quand tout fonctionne comme ça.
:: Canto XIII (Tank Standing Buffalo, 2019) [QAS]
Une chose qui n’a pas beaucoup changé et qui complexifie les choses, c’est que Calgary a toujours peiné à retenir les artistes de toutes disciplines, et l’animation n’est pas une exception. Il n’y a simplement pas assez d’opportunités ici pour faire carrière en animation, de sorte que certaines connaissances quittent constamment la communauté plutôt que d’y entrer et de l’enrichir. D’un autre côté, cela permet à chaque génération de redéfinir ce que c’est que d’être animateur à Calgary, mais cela signifie aussi que la communauté doit repartir à zéro à intervalles de quelques années — avec une poignée d’irréductibles pour raccorder les différentes générations.
AK : Comment parvenez-vous à redéfinir les communautés ? Les centres d’artistes pourront-ils étendre le concept de communauté du niveau local au niveau national avec l’avènement des rassemblements communautaires en ligne ?
PH : Je ne sais pas si nous redéfinissons les communautés, mais il faut certainement redéfinir constamment les façons de servir la communauté. Comme je l’ai mentionné plus tôt, la raison d’être de la Quickdraw est liée au contexte social — nous sommes là parce que Calgary ne possède pas vraiment les infrastructures nécessaires pour soutenir une communauté d’animateurs. Nos événements en ligne nous ont donné la chance de rejoindre un auditoire plus large, et nous sommes heureux que notre festival, GIRAF, ait été diffusé à travers l’Alberta en 2020 et à travers tout le Canada en 2021, mais nous ne voulons pas que cet auditoire plus large nous distraie des besoins de nos animateurs d'ici, à Calgary. Alors, chaque fois que nous planifions un événement, même les événements en ligne accessibles à un public plus large, l’objectif principal est toujours de servir notre communauté locale.
Cela dit, l’augmentation des événements en ligne nous permet d’ouvrir la communauté à des artistes internationaux plus facilement que jamais. Nous travaillons présentement sur un projet qui implique d’enregistrer des entrevues avec environ 20 animateurs différents à propos de leur travail, et nous pouvons coordonner tout ça par Zoom. Il y a à peine trois ans, cela nous aurait paru comme un énorme casse-tête logistique, mais maintenant, c’est surtout une question d’horaires — ça reste parfois encore compliqué, mais c’est tellement plus facile. Même chose pour les artistes invités dans le cadre de notre festival. Tant que le GIRAF est en ligne, nous n’avons pas à nous préoccuper des billets d’avion, des réservations d’hôtel et de la difficulté pour les artistes de réserver une semaine complète dans leur agenda rien que pour venir parler à notre festival pendant une heure et demie.
:: Bande-annonce du meilleur de la 16e édition du festival GIRAF de la QAS
D'un autre côté, cela veut dire que les relations que nous développons avec ces artistes sont moins profondes. Ils n’ont pas l’occasion de passer du temps avec les gens de notre communauté, ou de découvrir les ressources que possède la QAS. Lorsque nous invitions des artistes par le passé, nous restions en contact pendant plusieurs années, et il est dur d’ignorer combien d’opportunités en or proviennent de ces rencontres. Je ne suis pas sûr que ça arrivera si souvent avec des rassemblements en ligne.
MA : Je ne crois pas que nous les redéfinissons. Les communautés sont en constante évolution et c’est le devoir de la TAIS d’évoluer également, pour refléter les besoins de la communauté, et non le contraire. Travailler avec notre communauté, ou toute autre communauté voisine ou étrangère, requiert un engagement continu au dialogue, à la rétroaction, à la reconnaissance de nos forces et à reconnaître où des changements sont nécessaires.
La TAIS possède déjà une certaine présence internationale grâce à l’événement Showcase, mais nos ateliers ont toujours eu une visée locale. Nous avons transféré avec succès nos cours et nos ateliers sur internet au début de la pandémie, ce qui a initialement stimulé la participation internationale. Mais nous avons constaté que l’intérêt s’est estompé alors que la pandémie perdurait et que la déprime s’installait. Toronto a été très affectée par les mesures sanitaires avec la plus longue période de fermetures et de restrictions au pays (360 jours !), et il était difficile de rester enthousiaste à une époque où les artistes éprouvaient une telle isolation et une telle ruine financière.
La TAIS a toujours été un centre communautaire, avec de nombreux artistes travaillant côte à côte, débarquant soudainement, allant, venant dans les studios et les ateliers, assistant aux conférences artistiques, prenant une bouchée pendant les projections en discutant et en riant. C’est pourquoi il fut si difficile de traverser la pandémie et de reproduire la même effervescence sociale en ligne, malgré des efforts parfois fructueux. Notre but était vraiment de supporter nos membres au cours de cette période étrange et chaotique. Nous avons offert l’accès gratuit aux ateliers pour nos membres durant la première année de fermetures puisque nous savions que les artistes ne pouvaient pas accéder à notre espace, et nos cours étaient super abordables. Nous avons ainsi généré plus d’intérêt international, puisque les gens pouvaient accéder à nos ateliers en ligne. Mais nous avons toujours privilégié le modèle du centre communautaire et, bien que nous adorons nos fans internationaux, organiser nos ateliers exclusivement en ligne n’est pas quelque chose que nous envisageons, sauf lorsque c’est nécessaire, étant donné notre personnel restreint.
En mars 2020, alors que commençait le premier confinement, nous avons créé un serveur Discord qui nous a beaucoup aidé à connecter les gens, mais c’est quelque chose qui s’essouffle aussi. Nous avons projeté notre Showcase en ligne en 2020 et même si ce fut un succès en termes d’affluence (équivalente aux éditions en personne), l’événement n’était pas aussi branché sur la communauté ni aussi amusant. En octobre 2021, nous avons organisé un Showcase live étendu sur trois jours avec deux grosses projections dans le Paradise Theatre récemment rénové (quelle salle magnifique !) — une représentation gala et une projection matinale dédiée aux artistes locaux, et nous avons eu un plaisir fou. À 50% de la capacité, nous avons fait salle comble avec des listes d’attente en plus, et tout le monde était super reconnaissant de pouvoir profiter de cette occasion de se voir en personne.
Il semble maintenant que les membres de la TAIS à Toronto ont envie de retourner voir les choses en personne, dans les studios, de créer avec leurs mains et d’apprendre au contact d’autrui. Nous essayons de recréer tout ça dans un environnement sécuritaire. Autant avons-nous été capables d’offrir d’excellents cours en ligne, nous savons qu’il s’agit d’une expérience qui devrait idéalement se faire en personne. Nous organisons présentement des ateliers en personne, qui débutent au mois de juin, les résidences d’artistes recommencent aussi, et nous avons bon espoir de pouvoir organiser une autre édition étendue live pour le 16e Showcase annuel de la TAIS en octobre 2022.
:: Projection du 11e Showcase annuel de la TAIS [TAIS]
AK : Qu’il s’agisse de mes premières années à la Quickdraw, des amitiés que j’ai développées avec d’autres animateurs durant des festivals de films ou de mes rencontres mensuelles d’aujourd’hui avec un collectif de femmes cinéastes asiatiques, c’est grâce aux gens que j’ai rencontrés en cours de route que j’ai su inspirer et encourager, partager des connaissances et des compétences, des idées et des innovations, de la nourriture et de la boisson, que j’ai orienté ma pratique et évolué en tant que cinéaste. Étant si impliqué·e dans le développement communautaire, quel conseil donneriez-vous à ceux et celles qui recherchent une communauté d’intérêt ou qui désirent construire leur propre communauté ?
MA : Les partenariats sont indispensables pour permettre à la TAIS de rejoindre diverses communautés, de connecter avec de nouvelles personnes, d’aider la communauté à grandir, à apprendre, et nous adorons y participer. Nous supportons la diversité jusqu’au cœur de notre organisation, et ça commence par le recrutement et le maintien d’un conseil d’administration multiethnique qui permet d’envisager la programmation sous un œil inclusif. Il y a beaucoup de bénévoles à la TAIS, qui ne possède que deux employés (en hausse depuis 2020 !), et notre conseil actuel est 100% bénévole. Nous comptons sur les volontaires pour faire bouger les choses ; faire partie d’un conseil est une expérience précieuse et concrète qui aide beaucoup le réseautage et la carrière, alors j’encourage les artistes émergents à participer à un conseil ou aux comités responsables de forger l’organisation. Les conseils ont aussi besoin de la participation de gens qui s’intéressent aux arts et possèdent des aptitudes tangibles comme la comptabilité et la levée de fonds. Il y a toujours une pénurie de collecteurs de fonds et de trésoriers ! Travailler pour une organisation artistique à but non lucratif peut être assez exigeant, mais aussi très spécial et gratifiant. J’encourage aussi les gens à former des collectifs, puisqu’il s’agit parfois d’une excellente manière de collaborer, d’organiser des événements, des projections et des expositions en profitant des ressources du groupe, de ses talents, ses idées, ses contacts, avec le potentiel de devenir des organisations à long terme comme la TAIS !
PH : Lorsque j’ai commencé à la Quickdraw, les choses étaient plutôt calmes. Avant mon arrivée, il y avait eu des conflits internes qui avaient un peu pourri l’atmosphère. C’est difficile à décrire, mais, même en ignorant tout des politiques internes, les studios ne m’apparaissaient pas comme des endroits où quelqu’un voudrait passer du temps. L’organisation possédait un incroyable bassin de ressources et une histoire de 30 ans, mais la communauté souffrait beaucoup.
Ce que je retiens de cette expérience, c’est que les intangibles sont de loin l’aspect le plus important du développement communautaire. L’atmosphère qu’on retrouve dans une organisation, combien son ambiance est accueillante, à quel point elle est positive et encourageante, c’est ça qui détermine finalement si les gens vont vouloir y participer. Je ne dis pas que les ressources dont nous bénéficions n’attirent pas aussi les gens — évidemment, c’était un gros avantage de pouvoir reconstruire à partir d’une base si solide plutôt que de recommencer à zéro — mais tu peux avoir les meilleures ressources du monde sans avoir une communauté forte, comme tu peux avoir une communauté forte sans aucune ressource extérieure autre que l’enthousiasme et le soutien collectif.
Notre approche du développement communautaire consiste surtout à être amical et accueillant, et à essayer de comprendre où se situent les animateurs de Calgary dans leur développement et ce dont ils ont besoin. Au début, cela signifiait dire oui à presque chaque opportunité qui se présentait, ce qui était pratique pour montrer aux gens ce que faisait la Quickdraw, mais ce n’était pas viable pour une organisation aussi petite que la nôtre. Une fois que nous avons réalisé que nous allions nous épuiser, c’est devenu une question de s’assurer que tout ce que nous faisions serve le même but, et, pour nous, ce but était de faire travailler les animateurs. Nos événements ne sont pas tous liés à la production, mais ils ont tous pour but d’attirer les gens vers l’animation et de leur ouvrir la voie vers le médium. De cette façon, nous pouvons développer un plus vaste réseau d’amateurs occasionnels, mais il y a toujours des façons pour eux de s’impliquer plus à fond, et ces portes d’entrée sont essentielles à notre travail.
Nous sommes aussi chanceux, en tant qu’organisme canadien à but non lucratif généreusement financé par divers organes gouvernementaux, car nous n’avons pas besoin de nous assurer que tout soit rentable. Ceci nous donne la chance de véritablement supporter la communauté ; chaque fois qu’il y a un conflit entre l’approche la plus lucrative et la plus bienveillante, nous essayons de privilégier la bienveillance. On ne réalise pas combien d’interactions financières subtilement déshumanisantes les gens doivent subir avant de constater à quel point les gens apprécient même le plus petit geste d’empathie. Et c’est facile pour une organisation de tomber dans le piège voulant que le professionnalisme implique la déshumanisation des individus, mais dans ma tête, toute la raison d’être des organismes à but non lucratif au Canada est de créer un espace où on n’a pas à tomber dans cette logique.
Pour les gens qui commencent à construire leur propre communauté, mon conseil est de commencer petit. Trouvez deux ou trois autres personnes qui s’intéressent à votre travail, et commencez à travailler ensemble. Un petit groupe de personnes peuvent quand même se motiver les uns les autres, et l’une des bonnes choses à propos des collectifs, c’est que les gens de l’extérieur ne savent pas nécessairement combien de personnes sont impliquées, alors ils peuvent s’imaginer qu’ils sont plus gros qu’ils ne le sont vraiment. Si ce que vous faites est positif — si c’est coopératif, accueillant et participatif — cette énergie va transparaître et plus de gens voudront s’impliquer. Je sais que c’est assez vague, mais je crois vraiment que l’essentiel, c’est d’être bienveillant et pragmatique, et tout découle de là.
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Anne Koizumi est une cinéaste indépendante et une éducatrice en arts médiatiques basée à Montréal, Québec. Ses films ont été projetés sur la scène nationale et internationale aux Hot Docs, au Festival international du film d’animation d’Ottawa, à Annecy, au SFFIM, à Slamdance, au Norwich Film Festival et aux RIDM. Son plus récent film, In the Shadow of the Pines (2020), a remporté le prix du Meilleur court métrage d’animation au SFFILM et celui du Meilleur court métrage narratif lors de l’édition 2020 du Festival international du film d’animation d’Ottawa. Elle a dirigé des ateliers d’animation en volume au TIFF Bell Lightbox, dans des hôpitaux et des centres communautaires à travers Toronto et à la Quickdraw Animation Society à Calgary, en Alberta.
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