DOSSIER : Le cinéma et ses conjurations
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Entrevue avec Henry Quinson (Partie 2)

Par Mathieu Li-Goyette
Partie 1 | Partie 2

Panorama-cinéma : Dans les quatre ou cinq dernières années, il y a eu énormément de films qui ont traité de la religion de façon directe ou indirecte. Que ce soit dans le sujet ou dans la structure du scénario. Pensez-vous qu'aujourd'hui, nous avons autant besoin de la foi au cinéma?

Henry Quinson : C'est vrai. C'est une très bonne question. Mon sentiment général, c'est que dans nos pays occidentaux - en France comme au Québec, il y a une forte sécularisation contre l'église catholique -, je  crois que, contrairement à certains chrétiens, cela s'exprime historiquement. Je crois que c'est la mort d'un christianisme rural, à la fois dans son style de vie et dans sa pensée, qui n'a plus rien à dire à l'homme urbain d'aujourd'hui. Ça ne sert plus à rien de prier pour avoir de la pluie demain pour les récoltes, car on va sur internet et on regarde, on s'adapte. Je ne sais pas si, consciemment, les gens se rendent compte de tout ce que ça représente. Pour autant, il reste une question fondamentale pour l'homme qui est celle du mystère de l'existence en plus d'une question éthique que l'on devra toujours se poser : comment se comporter pour être un être humain? Il est culturel, historique, ce n'est pas une fourmi faisant toujours le même geste instinctif.


Les moines de Xavier Beauvois

Les grands référents religieux qui donnaient du sens à l'existence, une fois débarrassés d'eux, on s'aperçoit que le monde, même s'il doit entrer dans un athéisme total - pourquoi pas - nous oblige toujours à définir ce qu'est l'homme. Je pense qu'aujourd'hui, le retour à travers les oeuvres d'art de ces questions religieuses et spirituelles vient d'un vide. Dans les vingt ans qui s'annoncent, il y a véritablement un boulevard pour les artistes se déclarant ouvertement d'une certaine spiritualité... Même s'il faut se méfier, car c'est bien une pensée de Pascal qui dit que l'on a jamais autant tué qu'au nom de Dieu. Et justement, Des hommes et des dieux est un film naturaliste qui regarde le monde tel qu'il est. La réalité, c'est que dans l'histoire humaine, il y a toujours eu des dieux et des religions.

Panorama-cinéma : Tenterait-on de s'extirper un nihilisme trop à la mode?

Henry Quinson : Je pense que l'art, après une période de nihilisme assumée, revient vers la question spirituelle et, éventuellement, la question de Dieu. Ce que je trouve intéressant, c'est qu'aussi bien chez les écrivains qu'au cinéma, les artistes ne sont pas nécessairement intégrés à l'Église ou militants. De ce fait, lorsqu'ils sont honnêtes et cherchent véritablement à comprendre, ils parviennent à traiter de manière très intéressante de ces questions. Totalement étrangers à l'Église, les spectateurs ou les artisans du film ne sont pas nécessairement d'accords - faut-il rester ou ne pas rester? - mais ils voient que c'est un cas de conscience personnelle. Sans être des super-héros, ces moines sont fragiles, indécis et se sont posés les vraies questions que, finalement, n'importe quel être humain se serait posé. Il n'y a pas d'opposition entre les hommes et les dieux.

Panorama-cinéma : Enfin, on a dit qu'il y avait une certaine mystique dans le film de Beauvois, comme il peut y en avoir chez Dumont, Bresson, Rossellini. Croyez-vous que le cinéma a sa mystique?

Henry Quinson : Oui, j'y crois. Je considère qu'aujourd'hui, le cinéma est la dernière planète sur laquelle on peut prendre deux heures dans le noir où l'on projette de la lumière, ce qui est très mystique en soi. Ces salles sont les derniers oratoires. Elles sont chargées de toutes les thématiques de la mystique où l'on projette de la lumière dans le noir - il faut lire les écrits de St-Jean de Lacroix à ce sujet. Déjà, au niveau du cadre, du matériau et de l'art lui-même, je trouve ça renversant au niveau du potentiel mystique des moyens mis en oeuvre. Comme Xavier disait : « Je ne crois peut-être pas en Dieu, mais je crois aux frères. Lorsque la neige tombe une journée durant pour fondre le lendemain de leur enlèvement... Je suis peut-être un mécréant, mais j'ai mes limites! ». Et ça, c'est une foi en la providence qui n'est pas étrangère à l'effet cinématographique.


L'héritage de l'iconographie chrétienne

Il a d'ailleurs manifesté, durant le tournage, une grande sensibilité à ce sujet et il a développé la dimension amoureuse de cette spiritualité. Lorsqu'il demande à Michael Longsdale - c'est son idée - d'aller poser sa tête sur le Christ à la colonne du Caravage, lui, le médecin qui va en quelque sorte soigner la blessure de Jésus, soigner la blessure de Dieu infligée par les hommes, ça c'est dans la grande tradition mystique chrétienne. C'est du langage amoureux. Lorsqu'il filme le terroriste atteint à la côte comme le Christ l'a été, on voit bien le Christ, ici terroriste, être soigné de ses plaies infligées par une fausse conception du divin où l'on prendrait les armes pour tuer l'autre. Ce film, comme dans beaucoup de films avec des sujets non religieux, a une essence mystique. Pensons aussi à The New World de Malick où l'ouverture sur Wagner nous ramène à la découverte de l'homme par un autre homme. Il découvre sa commune humanité. Ce sont des thématiques très profondes qui ne sont pas nécessairement confessionnelles et posent la question de l'unité du genre humain.

On retrouve ça chez Saint-Paul disant : « Nous sommes un en Christ », qui est incompréhensible, car c'est de l'ordre de la mystique. Je trouve que le cinéma peut rejoindre ces phrases, qu'il est un outil extrêmement puissant parce qu'il va au-delà des mots, qu'il est métaphysique. Sans forcément dire les choses ou les faire croire, ce film montre la relation de ces hommes à Dieu. Quelque part dans cette théologie apophatique où Dieu n'est pas ça, ni ça, car on ne peut dire qui il est, une fois que l'on a passé deux heures avec ces moines, on sent quelque chose. Pour moi, tenter de cerner le sujet à partir de l'infini, c'est là la fine pointe de la démarche mystique.
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Article publié le 25 février 2011.
 

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