DOSSIER : Le cinéma et ses conjurations
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Total Recall (2012)
Len Wiseman

Elle est où, la manette?

Par Guillaume Fournier
Vous ne le saviez peut-être pas encore, mais depuis quelque temps, il n’est plus possible de filmer le futur de façon nette. C’est comme ça. Le futur, tel que nous le concevons maintenant, est surchargé de lumière et nos caméras ne peuvent plus le saisir sans qu’un ou plusieurs rayons ne viennent traverser leurs lentilles de façon complètement « inattendue » et « aléatoire ». Et contrairement à ce que vous pensiez encore, cela n’arrive pas qu’à Michael Bay ou J.J. Abrams : cela arrive aussi à plein d’autres réalisateurs, à Len Wiseman, par l’exemple. Et ce n’est pas parce qu’il ne sait pas filmer, le jeune homme. Ah ça, non : il sait comment s’y prendre pour tourner des images. Même que c’est pour cette raison incroyablement lumineuse que nous commençons à soupçonner qu’il ne s’agit peut-être pas - tenez-vous bien - d’un hasard, s’il a placé des flares dans pratiquement tous les plans de son nouveau film. Nous pensons qu’il a peut-être agi de la sorte parce qu’il trouvait ça cool, ou peut-être même parce que cela lui permettait de détourner l’attention du spectateur des images de synthèse pas toujours convaincantes qui tapissent la quasi-totalité de son film… Mais, au fond, allez donc savoir pourquoi.

Toujours est-il que le temps béni où nous découvrons ce très attendu remake du Total Recall de Paul Verhoeven est enfin venu. Découvrons… déjà le grand mot : ce film-ci n’est pas tellement différent de l’autre, finalement; disons donc « redécouvrons ». Nous redécouvrons le pauvre Douglas Quaid (Colin Farrell) qui, confus comme autrefois, fait des rêves qui le troublent. Sa femme, la très énergique Lori (Kate Beckinsale), tente de le rassurer, mais le pauvre Douglas n’en reste pas moins chamboulé par la véracité de ses songes. En se rendant au travail - une ballade assez banale, qui le voit traverser la terre de bout en bout par son noyau… -, il est intrigué par une publicité de la compagnie Rekall, qui se spécialise dans l’implantation de souvenirs dans la mémoire de ses clients. Intrigué, il se rend sur place, où on lui propose de lui implanter les fausses mémoires d’un agent secret destiné à sauver « la colonie » de « la mère patrie ». Mais la procédure tourne à la catastrophe lorsque des agents pénètrent dans le laboratoire et tentent de l’arrêter. Retrouvant des réflexes qu’il ne savait pas posséder, Douglas résiste, s’évade et retourne à son appartement miteux, où l’attend sa femme, armée jusqu’aux dents.

Le reste de l’histoire est déjà bien connue des aficionados du très iconoclaste Paul Verhoeven. En termes d’adaptation, les scénaristes Kurt Wimmer et Mark Bomback se sont surtout attardés à redéfinir l’univers dans lequel se situe le récit plutôt que de chambouler complètement la structure narrative de la version originale. Une décision qui se révèle judicieuse, en définitive, puisqu’elle permet aux scénaristes de tirer profit des qualités narratives évidentes du premier et de mettre en place un univers dystopique plus cohérent. En situant son histoire dans un univers post-apocalyptique où la très grande majorité de la terre est devenue inhabitable à la suite d’une guerre chimique, ce nouveau volet assume mieux sa filiation avec le sous-genre du cyberpunk, même s’il n’appuie pas sur cette idée aussi fortement que nous l’aurions souhaité.

C’est que le cyberpunk, dans ses formes les plus assumées, possède énormément d’affinités avec le film noir. Même si l’on sent la volonté des scénaristes de faire des clins d’oeil au genre - décors urbains, univers corrompu, complots, amnésie du personnage principal, femme fatale (dans tous les sens du terme) -, ils ne s’engagent jamais complètement dans cette voie, qui aurait très certainement permis au film de s’élever au-dessus de son prédécesseur, ou d’exprimer de toutes nouvelles préoccupations plus intéressantes, ou plus en harmonie avec les véritables thématiques (négociation avec la « réalité », recherche absolue de la réalisation des fantasmes, recherche du bonheur par les « paradis artificiels »)  abordées dans We Can Remember It for You Wholesale, la nouvelle de Philip K. Dick ayant inspiré les deux adaptations.

En empruntant la voie facile et en se contentant de livrer le blockbuster anticipé, les créateurs de ce remake ont évidemment craché sur l’opportunité de se distinguer de l’original et, par le fait même, de justifier l’existence de leur entreprise. À certains égards, on sent même qu’ils se sont trompés de médium dans leur réalisation et que, s’ils en avaient eu l’opportunité, ce n’est pas d’un film dont ils auraient accouché, mais d’un jeu vidéo.

En effet, les influences vidéoludiques sont évidentes et pullulent littéralement à travers les 118 minutes que dure ce Total Recall. Dommage que nous n’ayons jamais trouvé la manette que nous cherchions désespérément dans la  salle de cinéma, puisque l’impression demeure que ce projet aurait était parfait pour une adaptation extrêmement jouissive. À commencer par les séquences d’actions - toutes en hauteur, ou presque -, qui rappellent certains des meilleurs niveaux de Uncharted; l’univers, qui rappelle Fallout et combien d’autres jeux post-apocalyptiques du même genre; les décors urbains « techno-désastreux », qui pourraient être tirés de n’importe quel épisode de Mass Effect, Gears of War ou Deus Ex; la « quête mnémonique », qui est une prémisse à tellement de jeux qu’il serait complètement futile de vouloir les comptabiliser…

La structure même du scénario, qui alterne les séquences explicatives aux séquences d’actions tournées à vive allure, rappelle de façon plutôt confondante la structure narrative de très nombreux jeux. Tellement que nous serions presque tentés de parler de niveaux plutôt que de séquences; mais non, ce ne serait pas juste, quand même… Car cela impliquerait de discuter encore plus longuement de ce que ce Total Recall n’est pas, ce que nous faisons depuis déjà assez longtemps. Mais tout de même, les remakes soulèvent toujours, de par leur nature profonde, des questionnements d’adaptation de ce type… Et la vraie malhonnêteté, ce serait de les ignorer bêtement, juste pour le principe.

Mais cela dit, on ne peut que rester sur notre faim devant ce remake aux ambitions mineures, qui se refuse toujours à aller jusqu’au bout de ses intentions. Alors qu’il avait l’opportunité d’offrir une réflexion intéressante sur la subjectivité de la conscience ou d’élaborer une critique stimulante sur les prétentions que les humains entretiennent sur le réel - qu’il avait, en ce sens, l’opportunité d’offrir des réflexions différentes de celles déjà présentes dans The Matrix ou Inception, par exemple -,  Len Wiseman s’est contenté de livrer le blockbuster qu’on lui avait commandé et de tout faire exploser sur son passage. Dramatique? Pas complètement, non, parce qu’il s’exécute tout de même avec un certain talent, mais quand même, l’impression d’un rendez-vous raté n’en demeure pas moins bien présente, bien sensible, bien… réelle.
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Critique publiée le 4 août 2012.