:: Mateo Zoryan dans The Fabelmans (Steven Spielberg, 2022) [Universal Pictures]
Pour écrire sur mon 2022, je dois partir du cinéma d’horreur, en particulier celui des années 1980, que j’ai regardé de façon compulsive dans les derniers mois. Avec le cinéma hongkongais (les productions de la Shaw, les films de Tsui Hark, John Woo, Sammo Hung, Jackie Chan, Corey Yuen...), ce fut cette année mon principal plaisir cinéphile. Je pourrais spéculer sur mon détachement par rapport au contemporain (relatif, puisque j’ai apprécié plusieurs moments en salle), mais il me semble plus productif de se tourner vers mon enthousiasme, même s’il est nostalgique. En outre, les dernières années pandémiques nous ont faire prendre conscience d’un changement déjà en cours : l’interpolation de plus en plus prononcée de l’histoire du cinéma dans notre contemporain. Durant le confinement, parce qu’on n’avait peu ou pas accès aux films produits dans l’année, il nous fallait, au moment de la rétrospective, témoigner de cette difficulté en se repliant sur ce qu’a été réellement notre cinéphilie, une aventure personnelle menée depuis notre salon. Or, cette facilité d’accès au passé n’avait rien de nouveau, mais devenait tout d’un coup salutaire, pour le pauvre cinéphile devant faire son deuil temporaire de la salle obscure.
Je n’ai pas réussi (ou je n’ai pas voulu) délaisser ces habitudes acquises en confinement. Le passé était un refuge, d’autant plus que le cinéma d’horreur des années 1980 ne saurait être plus éloigné de celui d’aujourd’hui. Je ne parle pas ici des grands noms du genre, les John Carpenter, George Romero ou autres Tobe Hooper, dont je connaissais déjà très bien les œuvres. J’ai passé mon temps plutôt avec des films quasi anonymes qui se contentent de répéter une formule avec plus ou moins de compétence, un amateurisme compensé par un enthousiasme et souvent une inventivité, du moins une débrouillardise, qui se manifestent entre autres dans les scènes de mise à mort et les divers effets spéciaux créés avec les moyens du bord. Je me suis gavé de Motel Hell (Kevin Connor, 1980), Hell Night (Tom DeSimone, 1981), Terror Train (Roger Spottiswoode, 1980), Curtains (Richard Ciupka, 1983), The Burning (Tony Maylam, 1981), Pieces (Juan Piquer Simón, 1982), et autres Silent Night, Deadly Night (Charles E. Sellier Jr., 1984), des titres bien connus des amateurs du genre, parmi les premiers qui s’imposeront pour celle ou celui qui cherche plus loin que les inévitables Halloween (1978), Friday the 13th (Sean S. Cunningham, 1980) et autres Nightmare on Elm Street (Wes Craven, 1984). Puis, toujours affamé, je me suis dirigé vers des avenues plus obscures, les Island of Blood (William T. Naud, 1982), Evil Laugh (Dominick Brascia, 1986), The Final Terror (Andrew Davis, 1983), New Year’s Evil (Emmett Alston, 1980) ou encore Don’t Open Till Christmas (1984) (oui, mon temps des Fêtes a été sanglant), pour en rester dans les slashers (sinon la liste serait trop longue).
:: Jamie Lee Curtis dans Terror Train [Astral Bellevue Pathé]
:: Kelly Baker dans Don't Open Till Christmas [Spectacular Trading International]
:: Blood Beat [Huskypup Film Productions]
Il y a certes un confort dans la reconnaissance des codes et des conventions, dans le fait de retrouver une esthétique aimée, mais ce qui me ramenait à ces films est plutôt l’impression que le geste de filmer qui les soutient est empreint d’amour envers le cinéma. Peu importe que bien de ces cinéastes, n’ayant jamais eu le droit à une seconde chance, espéraient sans doute obtenir un succès inattendu à la Friday the 13th. Ces velléités commerciales brouillent rarement leur plaisir contagieux de tenir une caméra entre les mains. Je ne sais pas quoi penser d’un film comme Blood Beat (Fabrice-Ange Zaphiratos, 1983), avec son fantôme de samouraï meurtrier à Noël (toujours), ses scènes de poltergeist, ses images polarisées et ses effets visuels colorés traduisant des combats psychiques. C’est à la fois extrêmement brouillon, terriblement cheap, mais particulièrement jouissif tant ça ne ressemble à rien d’autre : le cinéma est aussi capable de ça, pour le meilleur et pour le pire. J’ai reçu le film comme une masse brute de possibilités — mal explorées, jamais vraiment exploitées, mais des possibilités tout de même.
Le cinéma est capable de ça : tout cinéphile connait bien ce plaisir de la découverte, comme si tout d’un coup l’objet de notre amour se transformait sous nos yeux. Je n’irais pas jusqu’à dire que ces films d’horreur ont changé ma conception du cinéma, mais ils m’ont rappelé à quel point il est important de laisser tomber nos (mes) réflexes de critique, faire fi de nos (mes) critères habituels (sur la maîtrise technique notamment), et à quel point le cinéma sait mieux que nous (moi) ce dont il est capable, ce que l’on ne peut pas apprécier si l’on se ferme d’avance à ces possibilités au nom d’une quelconque définition préétablie. En outre, la petitesse de ces films, leur modestie, leur absence de prétention, sauf celle de faire gicler le sang de façon divertissante, est particulièrement rafraichissante à un moment où tout ce qui se trouve sur le grand écran fait preuve soit de moyens démesurés, soit d’une ambition artistique sérieuse, ce qui ne laisse guère de place à celles ou ceux qui voudraient faire un « simple » film de genre (je parle ici uniquement de ce que nous pouvons voir en salle, il existe bien un réseau de distribution sur le web permettant à des « petits » film de circuler). Cela explique en partie pourquoi j’ai préféré X (2022) à Pearl (2022), en cette année marquée par le retour en forme de Ti West : le premier est un pastiche aussi élaboré que le second, mais il reste près des conventions du slasher. Surtout, le pastiche de Pearl n’est pas exempt d’une ironie qui dilue ce qui se présente comme un hommage envers un Hollywood passé, de même que son esthétique atypique tend à mettre de l’avant la patte de l’auteur (et la singularité de son actrice) aux dépens de ce qui, dans X, apparait plus franchement comme une déclaration d’amour envers le cinéma d’exploitation des années 1970 dans sa forme la plus crade.
:: Mia Goth dans Pearl // dans X [A24]
Ce détour par l’horreur m’a permis de mieux cerner ce qui m’avait attiré dans les films de 2022 que j’ai retenus : Michael Bay qui s’amuse comme un gamin avec ses drones dans Ambulance (2022) ; George Miller qui nous partage son amour du récit dans Three Thousand Years of Longing (2022) ; Alain Gomis qui s’indigne du traitement de Thelonious Monk dans Rewind and Play (2022), ce qui en même temps traduit son affection profonde pour le pianiste ; Kyle Ball qui expérimente dans Skinamarink (2022), jouant avec son médium pour inventer milles manières de nous terrifier ; Quentin Dupieux et sa liberté malicieuse qui brille dans Incroyable mais vrai (2022) et (surtout) dans l’hilarant Fumer fait tousser (2022) ; Graham Foy qui nous amène dans le monde doucement onirique de son beau premier film, The Maiden (2022), Hong Sang-soo qui clôt son The Novelist’s Film (2022) sur l’une des plus émouvantes déclarations d’amour qu’il m’a été donné de voir ; Terence Davies qui nous offre un autre (auto)portrait d’artiste mélancolique dans Benediction (2021), réflexion prenante sur le pouvoir de l’art, autant d’exemples de cinéastes qui prennent plaisir à filmer. Même des films moins réussis sont rachetés parce qu’ils témoignent d’un semblable entrain : Avatar : The Way of Water (2022), sans grand intérêt sinon celui de retrouver un James Cameron fasciné par ses gadgets technologiques et par ce qui se cache sous la mer, ce qui est déjà beaucoup, ou Glass Onion (2022), nettement inférieur à Knives Out (2019), mais qui continue de témoigner du dévouement sincère de Rian Johnson envers le whodunnit et sa volonté de réaliser des crowd-pleasers intelligents.
Et il y a, enfin, le The Fabelmans (2022) de Steven Spielberg, un film très inégal, maladroit, ce qui n’a rien d’étonnant de la part d’un cinéaste qui utilise le cinéma pour fuir la triste réalité du monde : quand il essaie d’aborder cela de front, en traitant du thème autobiographique traversant de façon évidente tout son cinéma (le divorce de ses parents), il ne peut que trébucher sur ses propres faiblesses. Mais comment ne pas être ému par les premières scènes, de l’enfant s’émerveillant devant le déraillement de train dans The Greatest Show on Earth (Cecil B. DeMille, 1952), qu’il essaiera ensuite de reproduire chez lui avec ses jouets ? Ou encore par cette finale, avec ce casting génial de David Lynch en John Ford, conseillant le jeune Spielberg cinéaste en devenir, suivi d’un dernier plan parfait, qui ne saurait mieux résumer tout ce que le cinéma peut donner, le monde qui s’ouvre subitement à nous ?
« Le plus grand spectacle au monde », le choix de ce film n'est pas anodin, bien sûr, son titre traduit parfaitement la vision du septième art de Spielberg. Et depuis leur relative petitesse, leur caractère fauché, broche-à-foin mais enthousiaste, c’est aussi ce que m’ont rappelé ces films d’horreur des années 1980, que le cinéma peut être le plus grand spectacle au monde, jusque dans nos salons.
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