... OU COMMENT LE CINÉMA N'EST DEMEURÉ QU'UNE CINÉPHILIE
Que l’année ait été féconde en réalisations, découvertes et surprises, personne ne pourra le nier. Mais qu’elle ait confirmé la stagnation du discours critique et de tout ce qui entoure le cinéma (ses engagements, ses milieux, sa portée) ne fera pas l’unanimité. Les efforts semblent avoir été vains en ce qui concerne le milieu du cinéma québécois. L’avancée trop rapide des technologies numériques a quant à elle coupé l’herbe sous le pied des exploitants et de certains cinéastes. Tourner en pellicule n’aura jamais été autant un luxe, faire projeter son film dans son format d’origine n’aura jamais été une entreprise aussi périlleuse, au point où la lettre de Terrence Malick aux projectionnistes en mai dernier a su faire jaser d’elle beaucoup plus que ce qu’elle dissimulait dans les faits et ce qui est au coeur même de l’année 2011 : l’échec de l’élévation d’un discours et d’une prise de conscience sur le cinéma pendant que les films et leurs créateurs, eux, vont de l’avant.
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Un retour à double tranchant |
Guerre de clochers
La cinéphilie montréalaise s’est en effet empressée de crier victoire à l’annonce de la résurrection d’Excentris. Un retour à la normale, popcorn et gâteries « de luxe » en plus, a néanmoins confirmé que des ficelles étaient tirées et qu’un favoritisme gênant entourait le bâtiment de Langlois. En recevant sa subvention exceptionnelle auprès de l’État, l’Association du cinéma Parallèle a court-circuité les cinémas du Parc et Beaubien qui, faute de moyens, pâtissent d’équipement en retard et de salles n'ayant pas le cachet de celles sur le boulevard Saint-Laurent. Parce que le complexe à la fine pointe de la technologie a d’abord été construit par un mécène, parce que celui-ci a ensuite eu l’idée farfelue d’en faire une salle tous azimuts où le cinéma n’aurait plus raison d’être (à l’exception privilégiée de la dizaine de jours consacrés au Festival du Nouveau Cinéma), l’ampleur de son projet nécessitait des fonds tout aussi importants pour la racheter et la léguer à un organisme à but non lucratif. Maintenant, l’Excentris a rouvert, avec les concessions que l’on connaît, et les autres salles de cinéma répertoire de la province demeurent prisonnierères de problèmes techniques majeurs les éloignant jour après jour de la concurrence des multiplexes. La fondation de l’Association québécoise des cinémas d'art et d'essai en août dernier (dont est exclu l’Excentris), en dit long sur la guerre de tranchées qui vient de débuter.
Montréal a donc gagné trois salles en 2011. Deux salles spécialisées ont aussi confirmé leur importance, soit le Blue Sunshine pour le psychotronique et l’initiative du centre Segal pour l’expérimental, pendant que la Cinémathèque québécoise, après avoir vu son directeur de la programmation Pierre Jutras prendre sa retraite, n’a eu dans ses rangs pour le remplacer qu’une Diane Poitras qui n’aura pas fait long feu sous le règne controversé de Yolande Racine, la directrice de l’institution. En plus de la démission de la toute nouvelle directrice de la programmation, des changements fréquents au sein du personnel nous a fait nous interroger à plus d’une reprise quant à ce qui se tramait à la cinémathèque. Heureusement, Racine a décidé de quitter son poste et c’est un nouveau visage qui prendra sous peu le lourd mandat de restaurer la gloire d’antan de l’organisme. Après une rétrospective remarquée sur le cinéma japonais et des cycles impressionnants sur les cinémas nationaux, le cinéma de genre et l’histoire du cinéma d’animation, ce n’est définitivement pas le talent qui fait défaut au sein de l’équipe mise en place depuis l’ère Jutras, mais bien les fonds pour renouveler une collection basée uniquement sur des donations et non des achats subventionnés.
Manifestations et essoufflements
C’était il y a bientôt deux ans. Deux mouvements aux mandats engagés se créaient à quelques mètres de distance, entre la salle Fernand-Séguin de la cinémathèque et les salles de l’ONF : Le comité du visible et À tout prendre. Le premier, un regroupement ayant eu comme première mission de faire le point sur ce qui se tramait entre les murs d’un Office National du Film en plein changement, est mort dans l’oeuf. 2011 aura confirmé sa disparition. Même si de ce mouvement citoyen, en passant par le dossier consacré à la question dans un 24images de l’automne 2010, une conscientisation collective semblait se propager tranquillement, d’autres histoires sont venues flouer la suite des choses. Impossible de savoir aujourd’hui ce qu’il en est exactement. Impossible d’y voir autre chose qu’une tentative avortée d’on ne sait trop quoi pour stopper la grogne contre la fermeture des studios et la numérisation sauvage des archives de l’organisme d’état.
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Les bâtiments de l'ONF : toujours là, mais pour combien de temps? |
De son côté, le collectif des cinéastes indépendants À tout prendre a gagné du gallon et représente peut-être la seule et unique bonne nouvelle politico-cinématographique au Québec. Une bonne nouvelle sans piège, sans d’autres vertus que celles de défendre la maigre enveloppe de 800 000$ allouée annuellement par Téléfilm Canada pour le financement du cinéma indépendant et de poursuivre ses missives contre le FMC (Fonds des Médias du Canada) en ce qui concerne la discrimination fédéraliste et arriérée du programme Point of View : une enveloppe de 1 500 000$ pour le documentaire unilingue anglophone. Des fonds servant principalement à épargner aux créateurs l’obligation de se trouver un télédiffuseur avant d’entamer la production de leur film et qui, comme les autres fronts d’À tout prendre, revient à donner aux réalisateurs « à petits budgets » d’ici une véritablement indépendance créative.
Dans la foulée d’une attention de plus en plus grande du cinéma envers les nouveaux médias et ses méthodes de diffusion, la création indépendante s’est trouvé un nouveau terrain de jeu avec le lancement du projet Épopée.me de Rodrigue Jean. À l’heure où les dernières caméras 35mm sortaient des usines et qu’il fallait déjà prédire la disparition complète des projections pellicules en salles, Jean et les participants au projet ont embrassé d’emblée les possibilités d’Internet tant en ce qui à trait de l’élargissement de la diffusion des films qu’à la manière de les montrer. Non par dépit (comme la VoD), mais par choix, Épopée.me est venu concilier les derniers retranchements du cinéma d’auteur avec une technologie que les puristes, les cinéphiles, craignaient depuis trop longtemps.
Faire des vagues
Ce qui ressort de ces quelques constatations rédigées rapidement, c’est le cruel retard de la cinéphilie et de la critique par rapport au cinéma lui-même et à ceux qui le créent; comme s’ils allaient nous attendre. La cinéphilie et l’écriture qui gravite autour d’elle se sont paresseusement contentées d’être ce qu’elle est en invalidant du même coup la somme des efforts mis de l’avant par les artistes du film. On a préféré canoniser trop rapidement une « nouvelle vague québécoise » dans les Nouvelles vues du cinéma québécois de Trahan (ce professeur québécois qui avait écrit sur notre cinéma dans les Cahiers l’an dernier), on a préféré se réjouir inconsciemment du retour de l’Excentris (un lieu hautement plus « sérieusement cinéphile » que le Beaubien de Rosemont ou le du Parc avec ses projections DVD). On a préféré se plaindre du FFM sans jamais y mettre les pieds. Cracher sur Cinemania en dépit des progrès évidents que le festival a risqués en dépit de son public cible plus classique et vieillissant. Le retour du critique George Privet via un blogue semble avoir fait rentrer quelques absurdités dans l’ordre, mais il reste encore bien à faire pour que, lors de l’année 2012, le cinéphile soit à la hauteur de l’oeuvre qu’il regarde. Qu’il ait cette maturité qui, au moindre scandale et à la moindre mise en boîte d’un auteur, risque de céder le pas au consumérisme élitiste. Qu’il ait la maturité, en 2012, de faire du cinéma autre chose qu’une cinéphilie.