FRANCES HA
Noah Baumbach | États-Unis | 2012
Noah Baumbach, le maître derrière des perles comme
The Squid and the Whale et
Greenberg, signe avec
Frances Ha un autre grand portrait contemporain paraissant aussi essentiel qu’authentique. Collaboration au scénario entre le réalisateur et l’actrice Greta Gerwig, l’essai s’inscrit parmi ces rares initiatives parvenant à recapturer l’essence d’un cinéma typiquement newyorkais avec autant d’aisance que de subtilité. À une époque où la jeunesse est souvent abordée comme une carcasse vide et sans intérêt, Baumbach et Gerwig nous introduisent pour leur part à un véritable être humain défini par des objectifs précis et des convictions profondes. Le véritable triomphe de
Frances Ha se situe néanmoins dans la mise en scène discrète et éthérée de l’Américain. S’effaçant sous ses sublimes images en noir et blanc, ce dernier laisse tout le soin à sa tête d’affiche de faire évoluer chaque séquence de la manière la plus naturelle qui soit. Les personnages de Baumbach prennent alors vie sous nous yeux et nous offrent quelques-uns des moments de cinéma les plus majestueux et réconfortants de 2013.
Texte :
Maxime Monast
THE PLACE BEYOND THE PINES
Derek Cianfrance | États-Unis | 2012
Tragédie en trois actes sur l'Amérique (décidément!),
The Place Beyond the Pines a l'apparence des grandes pièces de Sophocle : ces longs plans d'ensemble qui surplombent la route, comme si du ciel pouvait à tout moment trancher ces épées de Damoclès que sont la société et la génétique. « Handsome » Luke (Ryan Gosling), pilote hors pair qui loue ses talents à un cirque ambulant, braque des banques pour subvenir aux besoins du fils qu'il vient de rencontrer. À ses trousses, Avery (Bradley Cooper), agent de police fils d'un juge à la Cour Suprême, lui-même parent d'un nouveau-né. Le triomphe de l'un sera la mort de l'autre et cet héroïsme bâti sur un mensonge sera responsable du sort de leur fils respectif. Plus qu'un grand film sur l'héritage,
The Place Beyond the Pines est aussi une imposante fresque fordienne où pâlissent les symboles et fleurissent les discours. Les répétitions, d'ordre visuel et sonore, thématique et symbolique, rythment la fulgurante mise en scène de Derek Cianfrance qui confirme, après
Blue Valentine, être un remarquable tragédien américain.
Texte :
Élodie François
PAIN & GAIN
Michael Bay | États-Unis | 2013
On l'entend déjà: « Michael Bay dans un top 10! ». Il n'y a pourtant rien d'hérétique ici, c'était seulement une question de temps. Étrangement boudé chez lui et par la critique française qui, en matière de cinéma américain, pense séparer le bon grain de l'ivraie,
Pain & Gain a toutefois prouvé ce que nous avions toujours osé croire : Michael Bay est un grand metteur en scène. Petite bombe de couleurs acidulées qui sent le sel et l'argent,
Pain & Gain révèle l'intelligence de son auteur à chaque gros plan sur l'expression candide de Wahlberg congestionné d'effort (physique ou mental), à chaque arrêt dans le temps comme une meurtrière postmoderne depuis laquelle Bay érecte un cinglant doigt d'honneur. Stupidifier le dogmatisme américain en en singeant jusqu'à sa devise («
In God we trust» devient «
I believe in fitness»), il ne fallait rien de moins que l'artificier du cinéma hollywoodien pour révéler avec cette insistance toute fanfaronne la facticité de l'American Dream.
Texte :
Élodie François
ZERO DARK THIRTY
Kathryn Bigelow | États-Unis | 2012
Grand cru qu'aura été 2013 pour les femmes au cinéma. Sculptrices, névrosées, pianistes, peintres et militaires, elles ont lutté contre des hommes, des frères, des maris et des supérieurs pour s'imposer et changer le monde. Pour Bigelow, après le comeback inattendu de
The Hurt Locker, il fut question de la « plus grande chasse à l'homme de l'histoire », celle du leader d'Al-Qaeda. Scandales s'en suivent : fuites du bureau du secrétaire de l'État, témoignages d'un membre des SEAL, intervention de la mécène Megan Ellison; toute la quête de l'héroïne incarnée par Jessica Chastain, cette femme encombrée par l'administration masculine, rappelle le tournage de
Zero Dark Thirty. Rejetée par l'establishment, la cinéaste réalise enfin son film dans la foulée de l'assassinat, recréant l'intervention fictive quelques mois à peine après le présidentiel «
We got him ». Quête de la vérité, clinique de l'autocritique, thriller d'espionnage, le film de Bigelow est tout ceci à la fois, offrant l'une des premières synthèses perspicaces sur la guerre au Moyen-Orient et, avec elle, une mise en garde pour le sombre siècle à venir.
Texte :
Mathieu Li-Goyette
THE ACT OF KILLING
Joshua Oppenheimer | Danemark | 2012
Si l’Histoire est nécessairement écrite par les vainqueurs, peut-elle alors excuser les actes les plus barbares? Voilà la question – et le dur constat – à laquelle nous confronte le troublant
The Act of Killing de Joshua Oppenheimer. Le cinéaste américain accompagne ici un ancien bourreau ayant participé activement à la chasse aux communistes ayant fait entre 500,000 et un million de victimes en Indonésie au milieu des années 60 – le principal intéressé ayant personnellement assassiné environ un millier d’individus. Il peut évidemment s’avérer difficile d’éprouver le moindre remord lorsque les gestes perpétrés, aussi inhumains et cruels puissent-ils être, sont salués encore aujourd’hui par une instance politique toujours très influente n’hésitant pas à élever les coupables au rang d’héros de la nation. Assurément l’un des documentaires les plus perturbants sur les travers de la nature humaine qu’il nous ait été donné de voir,
The Act of Killing s’interroge de brillante façon sur le sens pouvant être conféré aux pires atrocités, à savoir comment celles-ci peuvent facilement être tournées en actes héroïques sans conséquences pour leurs instigateurs. Tout dépend au final de quelle version des faits sera retenue par l’Histoire.
Texte :
Jean-François Vandeuren
LIKE FATHER, LIKE SON
Hirokazu Kore-eda | Japon | 2013
On n’avait pas vu Hirokazu Kore-eda, véritable successeur de Yasujiro Ozu et maître du
gendai-geki contemporain, si sensible et juste depuis
Still Walking. Suite aux explorations plus restreintes de la société japonaise dans
Air Doll et
I Wish, deux films tout de même excellents sur la solitude, l’aliénation, l’enfance et la distance, Kore-eda retourne au grand mélodrame familial, relatant avec un tact et une empathie magistrale l’histoire de deux familles (l’une riche, citadine, l’autre de classe moyenne et vivant d’une boutique dans une ville de campagne) découvrant que leurs fils ont été échangés à la naissance. Abordant d’énormes thèmes sociaux et universels, la mise en scène de Kore-eda en demeure une de l’infiniment personnel, sublimant le quotidien en de splendides espaces baignés de lumière et une caméra flottante, éthérée et sympathique, foncièrement humaniste, ne pénétrant jamais et laissant les sentiments percer par la force des choses. Autrement dit, d’une honnêteté intellectuelle inébranlable,
Like Father, Like Son marque le retour du Kore-eda de
Nobody Knows, crève-coeur attentionné et grand observateur de l’enfance et de la société japonaise moderne dans ses plus beaux moments et ses plus petits gestes, devenant révélateurs d’énormes enjeux nationaux.
Texte :
Ariel Esteban Cayer
AMOUR
Michael Haneke | France | 2012
Amour est une oeuvre magistrale. De celles qui, comme
Ikiru (Akira Kurosawa), éveillent les tréfonds de l'être et en questionnent les angoisses les plus secrètes. Il faut une maîtrise exceptionnelle pour étreindre de tels sujets: vivre, aimer, mourir; et une grande humanité pour les relâcher. Haneke fait preuve des deux. On ne savait pas à quoi s'attendre et la chose peut surprendre de la part du cinéaste que l'on désigne être le plus froid, le plus stoïque. Mais Haneke, pourtant si doué pour faire mal, n'oublie jamais sa caméra au chevet de Riva. L'inexorable dépérissement du corps et son humiliant travail, tout cela, comme le dit Trintigniant dans un grand moment de cinéma, ne mérite pas d'être montré. Ce qu'
Amour fait – précisément – est de montrer tout le reste, sans fard ni excès, à la juste mesure... on ne s'attendait à rien de moins.
Texte :
Élodie François
THE WOLF OF WALL STREET
Martin Scorsese | États-Unis | 2013
Sans contredit, 2013 aura été une année d'apocalypse et de décadence pour le cinéma américain qui a fait de la mort de la culture son sujet de prédilection, de
Spring Breakers à
Pain & Gain en passant par le prometteur mais pourtant médiocre
The Bling Ring de Sofia Coppola. Avec le brillant
The Wolf of Wall Street, le vétéran Martin Scorsese s'inscrivait à son tour dans cette mouvance, signant une critique acerbe du capitalisme débauché, machine déréglée réduisant les humains à l'état de bêtes sauvages assoiffées de pouvoir et d'argent; et si ce discours n'est pas nouveau chez Scorsese, il est ici exprimé avec une férocité et une lucidité qui sont absolument jubilatoires. Sa réalisation admirablement précise se révèle à l'image de son propos, implacable et parfaitement impitoyable – le maître Scorsese plaçant chaque dérapage spectaculaire de son récit au service d'un humour noir, certes, décapant, mais surtout douloureusement et tragiquement juste.
Texte :
Alexandre Fontaine Rousseau
12 YEARS A SLAVE
Steve McQueen | États-Unis | 2013
12 Years a Slave a confirmé qu’aucun sujet — pas même le plus classique — ne pouvait résister à Steve McQueen. Cinéaste de la chair, il a montré une fois de plus qu’il n’y avait de prison plus contiguë pour l’esprit que le corps, cette enveloppe filandreuse marquée par la couleur, le sexe et la nationalité. Dans chacun des plans, le spectre esclavagiste rôde, là au-delà de l'Amérique libérale d'Obama, toujours prêt à y revenir. Le grand coup de maître aura donc été d’entremêler l'historique et l'esthétique sans frasques, de pallier le classicisme du récit par une approche naturaliste où l’OEil caresse les marécages, où la musique wagnérienne d’Hans Zimmer transforme le travail aux champs en épopée agraire. Conjurant le lyrisme paysagé de David Lean comme l’intensité existentialiste de Louis Malle, McQueen confirme avec ce troisième opus en cinq ans que chacun de ses films sera un événement, que chacune de ses OEuvres, en dépit du sujet, repensera l’Histoire et redéfinira l’amour qu’une caméra peut avoir envers un acteur.
Texte :
Mathieu Li-Goyette
SPRING BREAKERS
Harmony Korine | États-Unis | 2012
Peu de cinéphiles auraient pu prévoir que l’oeuvre la plus significative sur le plan du discours et la plus accomplie au niveau de la forme nous proviendrait cette année de l’éclectique Harmony Korine. À travers une mise en marché, une distribution et une trame sonore qui auront servi à édifier le parfait canular cinématographique, l’Américain aura signé la critique la plus virulente de l’état d’une génération totalement désabusée. «
Pretend it’s a videogame », nous dit à un certain moment l’une des princesses Disney de Korine. Possiblement la réplique la plus symptomatique d’une jeunesse n’en ayant que faire des limites de la réalité, vivant de plus en plus d’excès sans oser penser aux conséquences. Si 2012 était l’année de la contestation, 2013 aura été celle où les escrocs et les tricheurs auront enfin été démasqués. Entre les courtiers dégénérés de Wall Street, Lance Armstrong et une génération voulant goûter sans effort au paradis matériel que leur vendent tous les jours des idoles tout aussi blasées, Korine se sera prêté au jeu de brillante façon, prétendant vouloir donner à celle-ci exactement ce qu’elle désire avant de lui renvoyer aussitôt sa propre vacuité en plein visage. Que le cinéaste ait pu tirer de pareille initiative un accomplissement technique aussi colossal et totalement conséquent face à ses ambitions s’avère suffisant pour justifier sa présence au sommet de l’impressionnante cuvée 2013.
Texte :
Jean-François Vandeuren