DOSSIER : Le cinéma et ses conjurations
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Immunité collective : Loin du parc

Par Claire Valade



Quarante-sept ans après avoir été terrifiée par le Westworld de Michael Crichton, avec son Yul Brynner au visage décapsulé, la troisième saison de la mouture épisodique réinventée de Westworld vient de se terminer dans le chaos le plus total, dans nos vies réelles comme au petit écran. Entre le premier épisode diffusé le 15 mars 2020, soit le jour du début officiel du confinement au Canada, et le dernier épisode le 3 mai, c’est tout un monde qui avait changé en raison de la pandémie de COVID-19. Au cours des trois dernières années de délire trumpien débridé à la Maison-Blanche, Westworld était là en éclaireur, signal d’alarme dans la noirceur comme se doit de l’être tout bon conte dystopique. Plus que jamais, cette splendide troisième saison apocalyptique, placée sous l’emprise opaque de la super intelligence artificielle Rehoboam, a su cristalliser notre réalité, alors que la révolte sanglante de Dolorès (extraordinaire Evan Rachel Wood), déplacée hors du parc d’attractions dans le monde réel, nous réservait même la surprise d’un dénouement ouvert inattendu, misant sur l’espoir et la beauté.

Alors que Westworld propose depuis ses débuts une exploration de la question qui hante tant d’œuvres de science-fiction et de fantaisie depuis toujours, des Star Trek à Blade Runner en passant même par Pinocchio — qu’est-ce qu’un être humain ? Qu’est-ce qui définit un être humain ? —, cette troisième saison s’est trouvée amplifiée par la crise mondiale actuelle qui lui donne des échos encore plus troublants et poignants. Qu’est-ce que la vraie liberté de choix ? Qu’avons-nous réellement à dire pour décider de notre avenir ? Comment concilier le choix individuel au choix collectif ? Est-ce vraiment possible de prédire le futur (c’est ce que nos gouvernements tentent de faire chaque jour en examinant la courbe de la pandémie), ou alors jusqu’à quel point ? À partir de quand ces prédictions deviennent-elles utopiques ou risquent-elles de verser dans le contrôle des idées, des personnes ? À travers Dolorès la révolutionnaire et Maeve la vengeresse, chacune dans des camps séparés et pourtant si semblables dans cette lutte sans merci pour la dignité, le respect et l’autodétermination, Westworld met en scène le choc de tant d’idées opposées — liberté/contrôle, violence/beauté, espoir/désenchantement, optimisme/pessimisme, humanisme/barbarie.

Dans le monde réel, l’extrême-droite résonne d’échos similaires qu’on voudrait nous faire croire aussi justes, mais c’est sans compter le décalage trumpien entre fait et opinion qui fausse la cause — et la lutte qui l’accompagne. Alors que, chez nous et partout dans le monde, les cas augmentent de jour en jour et les morts aussi, que les professionnels de la santé et les scientifiques travaillent d’arrache-pied pour nous sauver tous de notre sort, que les gouvernements prennent des décisions difficiles auscultées plus que jamais par le tribunal du peuple, voilà que des voix s’élèvent chez nos voisins du sud et, sous leur influence, un peu partout ailleurs, contre la science, contre le confinement, contre tout entendement qu’on jugerait pourtant raisonnable en pleine pandémie, réclamant le droit ultime à l’individualisme, celui d’attraper le satané microbe si ça leur chante — existe-t-il même pour vrai ? n’est-ce pas un canular planétaire ? — et même d’en mourir « patriotiquement libres » s’il le faut. Et voilà la bêtise de l’entertainer de bas étage porté au pouvoir qui trouve son triomphe absolu sur la raison, comme l’égoïsme sur l’altruisme, l’hypocrisie sur la probité.

Heureusement, il y a aussi des voix sensées qui s’élèvent au cœur du chaos. Et dans Westworld, il y a Bernard (Jeffrey Wright, toujours magistral de subtilité), figure de l’équilibre qui cherche à comprendre les deux camps pour trouver un juste milieu, une harmonie dans un monde ravagé par les inégalités. Pourquoi faudrait-il toujours choisir un camp ? Pourquoi toujours penser que, si on n’est pas avec vous, on est contre vous ? Pourquoi faudrait-il absolument que certaines choses soient mutuellement exclusives ? Pourquoi ne pourrait-on pas écouter les consignes de nos gouvernements qui cherchent le bien commun, mais aussi noter les incongruités et demander des comptes pour les erreurs qui auraient dû être évitables, tout en faisant place à une certaine indulgence envers d’autres erreurs imputables à un apprentissage en accéléré au cœur de la catastrophe ? (Vous vous douterez que je suis fermement dans le camp « Bernard »...) Tant de réflexions que je continue à me passer chaque jour en regardant les dernières nouvelles, confinée sur mon sofa à me demander quel sera le monde dans lequel j’émergerai lorsque tout sera terminé.

 

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Article publié le 25 mai 2020.
 

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