DOSSIER : Le cinéma et ses conjurations
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Black Films Matter (2)

Par David Fortin

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HOLLYWOOD SHUFFLE (Robert Townsend, 1987)

En détaillant la lutte futile d'un aspirant acteur noir dans le système hollywoodien, Robert Townsend parvient à souligner tous les problèmes associés au stéréotypage des personnages afro-américains par l’industrie (« Soyez plus noir », répète-t-on au protagoniste). Suivant le modèle parodique du « film à sketches », qu’on retrouvera quelques années plus tard de façon moins efficace dans le cinéma des frères Wayans, Townsend crée à la fois une une satire de l’industrie cinématographique et un hommage au pouvoir du cinéma. C’est avec des bons coups et de moins bons qu’on traverse les vignettes du films, truffées de gags parfois datés mais qui, dans l’essentiel, visent juste dans leurs tentatives de briser le moule réservé à la représentation des hommes noirs américains.

 

DO THE RIGHT THING (Spike Lee, 1989)  

Même si Spike Lee a frappé fort dès son premier long métrage, She's Gotta Have It (1986), dont on ressent l’influence jusque dans les comédies romantiques noires du début des années 2000, celui-ci ayant même fait l'objet d'une sérialisation sur Netflix en 2017, Do the Right Thing demeure son film le plus emblématique. Oeuvre ayant provoqué autant d’éloges que de craintes lors de sa sortie, Do the Right Thing ne laisse assurément pas indifférent et reste à ce jour l'un des films sur le racisme qui a eu le plus d’impact, un film admirable pour sa puissance d'évocation et pour toute la complexité avec laquelle il aborde les différentes facettes du sujet. Limitant l’action à un bloc de Brooklyn lors de la journée la plus chaude de l’été, Lee dévoile un microcosme multiracial où des tensions se créent lentement jusqu’à ce que tout éclate. Passant du portrait intime au portrait communautaire, l'auteur utilise des astuces techniques visuelles et narratives audatieuses et déstabilisantes qui accentuent la charge émotionnelle de la multitude des personnages et crée un dynamisme stylisé qu’on ne voyait alors que très peu dans le paysage cinématographique étasunien. La direction photo aux couleurs chaudes et contrastées de son collaborateur Ernest Dickerson aide aussi beaucoup à rendre l’expérience caniculaire palpable. Maintenant considéré comme l'un des grands classique du cinéma américain, Do the Right Thing a consacré Spike Lee comme l'un des cinéastes les plus éminents à émerger des années 1980.

 

TONGUES UNTIED (Marlon Riggs, 1989)  

Souvent insulaire et solitaire, le monde des hommes noirs homosexuels est caractérisé par le rejet d’une société dominante qui ne les comprend, ni n'essaie de les accepter, les laissant plutôt s'abîmer contre le double écueil du racisme et de l’homophobie. Le documentaire de Emmy Marlon Riggs donne à voir les joies et les douleurs particulières de ce monde en offrant un mélange de récits personnels, de poésie, de musique et de danse où se mélange la vie intime, politique et esthétique tout en explorant l'intersection de la culture noire et de la culture homosexuelle.

 

SIDEWALK STORIES (Charles Lane, 1989)  

Oeuvre particulièrement singulière dans le paysage cinématographique afro-américain, Sidewalk Stories se veut une variation du film The Kid (1921) de Charlie Chaplin, dont il reprend la trame de base, allant même jusqu’à proposer un film muet en noir et blanc. Sous ses faux airs de burlesque à la Charlot par contre, le film se révèle tranquillement comme un drame social et une poignante étude de milieu. Gagnant du Grand prix du jury au Festival de Sundance en 1990, ce premier long métrage du réalisateur Charles Lane a malheureusement pâtit d'une distribution très limitée, et n'a été que très peu vu jusqu’à ce jour. Avec son ton doux-amer et son approche innhabituelle, Sidewalk Stories constitue pourtant un hommage touchant au cinéma d’un autre temps, doublé d’une comédie dramatique particulièrement à-propos sur le thème de la résilience afro-américaine.

 

DAUGHTERS OF THE DUST (Julie Dash, 1991)  

Daughters of the Dust est le premier long métrage réalisé par une femme afro-américaine à obtenir une sortie en salle aux États-Unis (le Losing Ground [1982] de Kathleen Collins, recensé plus haut, n’ayant jamais eu de sortie en salle). À ce titre, il est considéré aujourd’hui comme l'un des films les plus importants des dernières années et un fier représentant du cinéma féministe. Le film dépeint le quotidien de trois générations de personnages féminins d’une communauté Gullah au début du 20e siècle, réunissant pour l'occasion leur musique, leurs danses et leurs contes folkloriques, enveloppés dans des images lyriques d’une grande beauté (le film ayant même remporté un prix pour sa direction photo au Festival de Sundance de 1991). Daughters of the Dust est une épopée matriarcale multigénérationnelle sur la préservation de la mémoire et la nécessité du changement, décrite par la cinéaste comme une version repensée, redéfinie et reconstruite de sa propre quête identitaire. Acclamé à sa sortie, le film souffre du même symptôme que plusieurs autres films de cette liste, en cela qu'il fut très peu distribué et fut donc presqu’oublié jusqu’à sa redécouverte récente, aidée par la sortie de l'album visuel de Beyoncé, Lemonade, qui s’inspire ouvertement de l’oeuvre de Dash. Cette dernière n'a malheureusement jamais réalisé un autre long métrage.

>> lire la critique de Ouennassa Khiari

 

BOYZ N THE HOOD (John Singleton, 1991)

En partie puisé dans le vécu du cinéaste John Singleton, ce drame urbain narrant les épreuves vécues par trois jeunes afro-américains issus du centre-sud de Los Angeles fut le premier film grand public à traiter de la violence des gangs dans les ghettos urbains des États-Unis, et a ouvert la porte à de nombreux films du même genre (Juice [1992], Menace II Society [1993], Fresh [1994], etc.). Boyz N the Hood se distingue par contre par son approche honnête et sensible qui réfléchit les divers problèmes vécus par la communautés de ce quartier, et qui humanise surtout tous ses personnages, tant les citadins ordinaires que les trafiquants de drogue. Le discours de Laurence Fishburn sur la gentrification fait d'ailleurs encore écho aujourd’hui. Boyz N the Hood marque aussi les débuts cinématographiques de Cuba Gooding Jr. et de Ice Cube, ainsi que du réalisateur John Singleton, dont le succès populaire et critique de l'époque l'amènera à devenir le premier Afro-Américain, et le plus jeune cinéaste tout court, à être en lice pour l'Oscar du Meilleur réalisateur.

 

BÉBÉ'S KIDS (Bruce W. Smith, 1992)

Basé sur le numéro éponyme du comédien Robin Harris, le long-métrage d'animation Bébé’s Kids de Bruce W. Smith roule sur des gags parfois hilarants (et parfois faciles) dans sa représentation des mésaventures de Robin (interprété par Faizon Love, qui prête sa voix au comédien décédé deux ans plus tôt), alors qu'il doit survivre aux enfants de Bébé, l'amie hédoniste de Jamika, sa nouvelle flamme. On passe de désordres mineurs à des poursuites de robots dans un grand parc d’attraction au sein de ce petit film sans prétention, qui s’avère l’un des premiers films d’animation réalisés par un Afro-Américain et à mettre en scène une distribution entièrement noire dans les rôles principaux, chose inédite pour un long-métrage d’animation jusqu’à tout récemment. On aime surtout y entendre la voix grave de Tone Lōc dans la bouche d’un bébé (Pee-Wee the O.G.), laquelle provoque un effet contrapuntique tout aussi improbable qu’hilarant.

 

TALES FROM THE HOOD (Rusty Cundieff, 1995)

Réalisé en pleine effervecence du film d’horreur anthologique, Tales from the Hood ancre ses quatre histoires surnaturelles dans la réalité de la communauté afro-américaine pour mieux montrer l'horreur réelle vécue par ses membres. À travers les récits fantastiques qu’un étrange propriétaire de centre mortuaire raconte à trois jeunes trafiquants de drogue, on touche à des sujets encore très actuels comme la brutalité policière, la violence domestique, le racisme institutionnel et la corruption politique. Le réalisateur Rusty Cundieff fait ainsi cohabiter un surprenant sens du divertissement avec un commentaire social puissant. L'épisode avec des poupées en stop-motion qui prennent leur revanche sur un sénateur raciste du Sud vaut particulièrement le détour.

 

THE WATERMELON WOMAN (Cheryl Dunye, 1996)

Avec son premier long métrage, Cheryl Dunye propose une exploration ludique de la représentation des femmes noires au cinéma via les péripéties amoureuses et artistiques de son personnage principal, une aspirante cinéaste noire et lesbienne qui travaille dans un vidéoclub. Un peu à l’image du Clerks (1994) de Kevin Smith, plusieurs conversations de comptoir diégétiques abordent les thèmes du cinéma et des relations amoureuses, mais contrairement aux personnages de Smith, Dunye (qui interprète le rôle principal) ne s’attarde pas sur Star Wars (1977) mais plutôt sur les premières représentations de femmes noirs à l’écran. Elle s'intéresse particulièrement à une actrice d’arrière-plan de l'époque muette, Fae Richards, qui est souvent mentionné dans les génériques comme la « Watermelon Woman », et qui semble représenter une icône tacite de la communauté lesbienne afro-américaine. Ses recherches l’amènent à creuser l’histoire du cinéma pour mieux se la réapproprier tandis que sa vie sociale et relationnelle s’occupent de la ramener sur terre. Inventif et plein de charme, The Watermelon Woman constitue à la fois un film de qualité et un outil ad hoc de réflexion identitaire pour la communauté doublement marginalisée des lesbiennes noires.

 

LOVE & BASKETBALL (Gina Prince-Bythewood, 2000)  

Proposant une histoire d'amour sur fond de basketball professionnel, le premier long-métrage de Gina Prince-Bythewood vient non seulement secouer les conventions du film sportif, mais aussi celles du film romantique. La cinéaste met en scène le récit d’une jeune Afro-Américaine qui rêve de devenir la première femme à jouer pour la NBA, et qui fréquente de façon intermittente un autre joueur ambitieux qu’elle connait depuis l’enfance. C’est en quatre actes que le film se déploie, décrivant d'abord l’enfance des protagonistes, leurs premiers succès sportifs à l’école, puis leurs ambitions grandissantes du collège jusqu'à l'aube de leurs carrières professionnelles. Il s’y développe une histoire d'amour menacée par la compétition et l'ambition qui sert de mise en garde à quiconque croit que l'ambition professionnelle est incompatible avec les relations interpersonnelles. Film sportif envisagé d'un point de vue strictement féminin (celui de la réalisatrice-scénariste comme celui du personnage principal), Love & Basketball intègre à sa romance, chaleureuse et intelligente, de pertinentes réflexions sur le rôle des femmes, et bénéficie pour ce faire de la performance incarnée de ses deux vedettes, Sanaa Lathan et Omar Epps. 

 

ATL (Chris Robinson, 2006)  

Un groupe d'adolescents d'Atlanta, avides de hip-hop et de patins à roulettes, réfléchissent à ce que sera la vie après l’école en essayant d’éviter les embrouilles. Issu du vidéoclip, le réalisateur Chris Robinson fait montre d'un style visuel éclaté tout en sachant garder une distance entre style et excès, permettant à un flux de musique hip hop de s’imbriquer parfaitement dans l’ensemble. Abréviation d’Atlanta, ATL bouge au rythme de la musique locale dans la capitale géorgienne, lieu important lors de la guerre de Sécession et des mouvements pour les droits civiques de 1960, puisant dans l’histoire de la ville tout en focalisant sur la dynamique sociologique et culturelle des adolescents d’aujourd’hui.

 

PARIAH (Dee Rees, 2011)

Six ans avant Mudbound (2017), sous l'aile de Spike Lee (qui agissait en tant que producteur exécutif), Dee Rees réalisait un film de coming-of-age tout simple en apparence, mais qui sait subtilement bouleverser par son traitement en nuance, bousculant toutes sortes de stéréotypes par la même occasion. Adapté de son court-métrage éponyme, récipidiendaire de plusieurs prix sur le circuit festivalier étasunien, Pariah raconte les difficultés d’affirmation identitaire et sexuelle vécues par une jeune lesbienne afro-américaine de 17 ans dont la mère, hyper-religieuse, réprouve le style de vie. Fort de performances brutes et réelles, d'une magnifique photographie en caméra à l’épaule (signée Bradford Young) et d'une approche humaniste entière et intimiste, Pariah expose adroitement les douleurs et les difficultés que peuvent provoquer la recherche de liberté et d’expression de soi au sein d'un milieu répressif. 

>> voir Bradford Young ou la splendeur du noir dans le présent numéro

 

FRUITVALE STATION (Ryan Coogler, 2013)

Tristement à propos, Fruitvale Station est basé sur les événements qui ont conduit à la mort d’Oscar Grant, tué par un policier en 2009 sur la plateforme de la station Fruitvale à Oakland. Le film révèle à la fois les talents du comédien Michael B. Jordan, qui livre une performance solide dans le rôle de Grant, et du réalisateur Ryan Coogler, qui choisit, pour son premier long métrage, de focaliser sur le récit biographique de la victime plutôt que sur l’événement tragique ayant causé sa mort.  Le cinéaste organise son film par la présentation presque documentaire d’une journée dans la vie d’Oscar dans sa première partie, pour ensuite placer la tension dans une deuxième partie qui l’amène au destin connu du personnage. Dans sa façon de découper les évènements de cette journée, Coogler donne un portrait complet de la vie et du personnage de Grant et de la personne qu’il veut devenir. En réussissant à saisir les subtilités des émotions de Grant et les diverses façons dont ses proches arrivent à interagir positivement avec lui, Coogler veille à livrer un choc final rendu avec toute l'intense injustice découlant de l’absurdité des interactions avec les autorités qui mèneneront Grant à son destin tragique. Gagnant du Grand prix du Jury et du Prix du public à Sundance, ainsi que du Prix du meilleur premier film dans la section Un certain regard au Festival de Cannes, Fruitvale Station annonçait l'arrivée de talents majeurs avec cette collaboration entre Jordan et Coogler qui s’est poursuivie sur Creed (2015) et Black Panther (2018).

 

FIELD NIGGAS (Khalik Allah, 2015)  

Alternant entre la photographie, le film et la vidéo numérique, Khalik Allah varie les médias pour chaque fois capter et communiquer des images de communautés souvent laissées dans l’ombre par les médias. Débutant avec son court métrage de Urban Rashomon (2013) dans lequel il suit principalement un sans-abris nommé Frenchie, qu’il suivra de nouveau dans son court métrage suivant Antonyms of Beauty (2013), Allah se concentre principalement sur la faune nocturne qui se tient à l’intersection des rues 125th et Lexington Avenue dans le quartier de Harlem à New York. Pointant son objectif sur les sans-abri ayant des dépendances aux drogues (principalement la K2, une marijuana synthétique), des instabilités mentales et des traces physiques de leur mauvaise condition de vie, il est facile de voir les possibles aspects problématiques de son travail qui pourrait tendre vers l’ethnographie esthétisée, mais Allah poursuit une démarche qui vise plutôt à dresser avec sincérité et sans jugement le portrait d’individus laissés pour compte en leur trouvant une beauté et en leur laissant l’espace sonore pour s’exprimer. Puisant son titre dans le discours « Message to the Grassroots » de Malcolm X, Allah met en parallèle les protagonistes de Fields Niggas aux « field negroes » évoqués par Malcolm X (faisant référence aux esclaves qui travaillaient dans les champs et refusaient toute allégeance ou proximité avec leurs maîtres, par opposition à la minorité des « house negroes », qui travaillent dans les maisons et s'en trouvaient mieux traités et mieux considérés). Expérimentant avec son approche visuelle et plaçant en son asynchrone les voix de ses sujets filmés, le film devient un portrait hallucinatoire et immersif des expériences de ce groupe en marge, divisé dans leur propre classe sociale. À travers les traces visuelles et sonores de leur condition, Fields Niggas est une méditation sur la pauvreté, le racisme, la police, la violence, la toxicomanie et les classes sociales.

 

MOONLIGHT (Barry Jenkins, 2016)

Le deuxième film du réalisateur Barry Jenkins est venu bouleverser l’image de l’homme noir dans le cinéma populaire en dressant le portrait sensible et profond d’un jeune afro-américain vivant dans les logements sociaux du quartier de Liberty City à Miami, et qui traverse une période émotionnellement trouble avec la découverte et l’affirmation de son identité sexuelle. Le récit offrait au cinéaste l’occasion de bousculer par la même occasion les représentations trop souvent établies de la masculinité noire à l’écran. Découpant son portrait en trois étapes du passage à l’âge adulte de son personnage, Jenkins propose différentes perspectives sur la masculinité et l’identité, explorant ce que signifie être un homme noir homosexuel en Amérique. Doté d’interprétations solides, d’images magnifiquement photographiées par James Laxton et musicalement accompagnées par la musique sensible de Nicholas Britell, Moonlight réussit à faire un tout de ces différents moments, laissant aussi de l’espace hors cadre pour souligner les expériences formatrices du personnage, demeurant universel dans sa captation des épreuves douloureuses et des moments décisifs qui constituent une identité.

>> lire la critique de Sylvain Lavallée

 



LEMONADE (Beyoncé Knowles, Kahlil Joseph, Melina Matsoukas, Todd Tourso, Dikayl Rimmasch, Mark Romanek, Jonas Åkerlund, assistant réalisateur et directeur photo Khalik Allah, 2016)


Œuvre artistique multimédia pensée et conçue par Beyoncé qui a chapeauté la réalisation vidéo et la création musicale en collaborant avec de nombreux artistes (entre autre, Khalik Allah oeuvre comme directeur de la photographie et assistant réalisateur), Lemonade est un album visuel concept entre la compilation de vidéoclips et l’essai vidéo. Né de l’infidélité de son conjoint Jay-Z, Beyoncé va au-delà en puisant son inspiration dans un contexte plus large d’identité raciale et de trauma générationnel, démontrant sa préoccupation pour une reconnexion à l’histoire afro-américaine et une continuité contemporaine de sa mémoire culturelle. Revenant en arrière, les récits suivent sa lignée familiale, passant d’une lignée de ruptures relationnelles, d’abus de pouvoir, jusqu’aux racines de l’esclavage. Pour la création de Lemonade, Beyoncé s’est inspirée de plusieurs femmes afro-américaines dont l’œuvre a souvent été éclipsée ou oubliée. Une de ses influences majeures est notamment le film Daughter of the Dust (1991) de Julie Dash. Réalisé par une femme noire, mettant en vedette des femmes noires et s’adressant beaucoup aux femmes noires, Lemonade est une célébration de la culture et de l’histoire des communautés noires du Sud, tout en explorant puissamment ses questions raciales et féministes. Une œuvre importante venant d’une femme tout aussi importante qui a su allier brillamment la musique populaire à la politique et l’engagement social.

 

13th (Ava DuVernay, 2016)

Première femme noire à être nommée pour le Golden Globe Award de la meilleure réalisation, et aussi première femme réalisatrice noire à avoir son film sélectionné pour l’Oscar du meilleur film, Ava DuVernay s’est fait connaître avec Selma (2014), pour recevoir plus récemment de nouveau des éloges avec sa minisérie When they See Us (2019). Entre les deux, elle réalise 13th, un documentaire qui dresse un examen approfondi du système carcéral aux États-Unis et de la manière dont il révèle l’histoire nationale des inégalités raciales en y démontrant le nombre disproportionné d’Afro-Américains incarcérés. Malgré une forme plutôt convenue, le film a la force de construire une synthèse cohérente des diverses informations recueillies et arrive ainsi à rendre facilement compréhensibles les différentes facettes de la situation qu’il expose. Il dépeint parfaitement les multiples manières que les gouvernements ont trouvées pour conduire des personnes de couleur en prison, en explorant notamment la diabolisation des minorités au cours des décennies à des fins politiques. Ayant fondé en 2010 l'African-American Film Festival Releasing Movement afin de permettre la distribution de films faits par ou mettant l’emphase sur les expériences afro-américaines, Ava DuVernay s’est engagée très tôt pour sa communauté et s’est depuis construit une solide réputation dans l’industrie avec des œuvres à fort caractère de changement social. Avec 13th, elle signe une œuvre éducative essentielle qui reconnaît et cherche à comprendre la nature du racisme systémique tel qu'il s'est développé au sein de la police, du gouvernement et du reste du monde.

 



LOVE IS THE MESSAGE, THE MESSAGE IS DEATH (Arthur Jafa, 2016)

Ayant grandi dans un endroit très ségrégé du Mississippi dans les années 1960, Arthur Jafa a rapidement développé une carrière passant de la direction photo à l’art vidéo. Il se fait découvrir au début des années 1990 avec son travail de direction photo pour Daughters of the Dust de Julie Dash (Gagnant du Prix de la meilleure direction de la photographie au Festival de Sundance en 1991) pour ensuite travailler derrière la caméra de plusieurs cinéastes (Stanley Kubrick, Spike Lee). C’est au tournant des années 2000 qu’il développe un intérêt plus prononcé pour l’art vidéo et les installations muséales. Le mantra de Jafa est alors de faire du cinéma noir avec le pouvoir, la beauté et l’aliénation présente dans la musique noire, cherchant à forcer le cinéma à répondre aux dimensions existentielles, politiques et spirituelles des Afro-Américains. Il marque d’abord les esprits avec son documentaire Dreams are Colder than Death (2012), qui observe l’état du rêve de Martin Luther King 50 ans après son discours légendaire à Washington. Avec Love Is The Message, The Message Is Death, son œuvre la plus connue, Jafa parvient à se surpasser en condensant en sept minutes un éventail d'expériences afro-américaines à travers l'histoire. Par un montage tentaculaire de clips provenant de sources multiples ainsi que d'images prises par Jafa lui-même, synchronisant le tout sur la musique d’inspiration gospel de Kanye West Ultralight Beam, Love Is The Message explore l'identité noire tout en réussissant à créer des liens puissants entre chacune des images choisies. Ce montage chargé en émotions démontre la force de Jafa à observer et à récupérer les stratégies de représentation des médias, tout en tissant une toile à partir de ses images qui démontre une vision d’ensemble où l’expérience afro-américaine est composée d'identités multiples et différentes, allant jusqu'à tendre vers des niveaux cosmologiques.



GET OUT (Jordan Peele, 2017)

Comme il arrivait de la série à sketches comiques Key & Peele, peu de gens attendaient de Jordan Peele un tel choc cinématographique en guise de premier long-métrage. Alliant l’horreur au racisme, Peele a su ancrer son récit dans un réalisme malgré son aspect fantastique en décrivant une horreur bien réelle. La relation amoureuse de Chris et Rose allant bon train, ils décident d’aller passer un week-end dans la demeure familiale de cette dernière afin qu'elle puisse le présenter pour la première fois à ses parents. C’est sur place que Chris fera face à des commentaires maladroitement racistes émis par les membres et amis de la famille de Rose, pour vivre ensuite des situations étranges qui bientôt s'accumuleront à un rythme effréné. C’est en se plaçant dans le point de vue du personnage principal afro-américain que Peele arrive à transmettre aux spectateurs l’horreur viscérale du racisme quotidien, systémique, puis ultimement du racisme volontaire comme un mal à l’état pur. En ce sens, Get Out se rapproche des films Tales from the Hood ou Candyman qui ont fait de même quelques années auparavant tout en subvertissant les conventions du genre de l’horreur, sachant aussi y doser de l’humour à des moments stratégiques afin de mieux gérer quelques malaises constants. En créant de telles tensions autour d’interactions sociales, Peele fait ressortir toute l’horreur sous-jacente à la situation pour mieux surprendre ensuite en travers des a priori racistes avec lesquels le cinéaste jongle habilement. Get Out s’est avéré un succès qui a non seulement révélé un nouvel auteur du genre, mais qui a aussi raffermi une nouvelle tendance du genre, la « elevated horror ».

 

HALE COUNTY THIS MORNING, THIS EVENING (RaMell Ross, 2018)

Portrait d’une communauté noire de Hale County en Alabama sous la forme d’un montage impressionniste de moments captés par le cinéaste au fil de cinq ans, le film sans fil narratif conventionnel du réalisateur RaMell Ross assemble une série de tranches de vies, de lieux, de moments qui donnent des impressions de vignettes à ce documentaire hors norme, tout en gardant une forme d’homogénéité dans l’ensemble par le style qui s’en dégage. On passe de façon elliptique du banal au sublime à travers un accompagnement de sons et de musiques qui apportent un lyrisme mémorable à l’ensemble. À travers ces moments fragmentés, certaines personnes filmées en viennent à se dégager de l’ensemble en nous faisant découvrir les espoirs et les déceptions de deux jeunes hommes qui cherchent chacun à réussir, l’un avec une bourse universitaire de basketball et l’autre en tant que nouveau père, passant de la joie au drame, laissant de l’espace pour la communauté et le lieu autour d’eux. Le côté immersif de l’expérience demande autant une attention soutenue qu’un laisser-aller face aux attentes conventionnelles pour mieux suivre la cadence méditative de cette œuvre fugitive qui nous fait réapprendre à regarder... par sa simple capacité à raconter grâce à la force de ses images.

>> lire la critique d'Anne Marie Piette

 

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Article publié le 30 juillet 2020.
 

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