REMEMBER THE NIGHT
Mitchell Leisen | États-Unis | 1940 | 94 minutes
La prémisse est parfaite pour une comédie romantique : elle, pauvre, sans logis, accusée de vol à l’étalage, ce n’est pas sa première offense ; lui, procureur, vie aisée, carrière impeccablement honnête, spécialiste pour mettre les femmes en prison ; le procès est reporté de quelques jours, après les Fêtes, et en attendant, pour des motifs que seul Hollywood peut inventer, elle doit rester avec le procureur, ce qui leur donne le temps, évidemment, de tomber en amour. Un peu comme dans Christmas in Connecticut (Peter Godfrey, 1945), avec la même Barbara Stanwyck, le film peut donner l’impression de domestiquer sa star, ici en la sortant de sa pauvreté et de sa petite criminalité pour la ramener vers un modèle de vie plus conventionnel, centré autour du foyer familial (celui qu’elle n’a jamais eu et qu’elle peut enfin trouver avec son amant). Mais ce serait une lecture trop simpliste, Remember the Night cherchant moins à ramener la protagoniste sur le « droit chemin » qu’à articuler une série de contradictions demeurant irrésolues. Ma morale est différente, mon esprit ne fonctionne pas comme les autres, nous explique Stanwyck, ce qui pourrait être perçu comme une manière de justifier sa malhonnêteté, mais comme dans The Lady Eve (Preston Sturge, 1941), il s’agit plutôt de l’expression d’une éthique fondée sur la duperie (les deux films sont d’ailleurs écrits par le même Preston Sturges). Cette tension entre la fabrication et l’authenticité, le faux et le vrai, demeure l’un des thèmes hollywoodiens par excellence, et Stanwyck savait l’exploiter mieux que quiconque : « elle a un visage honnête », dit-on de la star, ce qui peut être perçu comme un aveuglement (son personnage passe son temps à mentir), en même temps qu’il s’agit d’une simple vérité. Le mensonge n’exclut pas la sincérité, les deux autres films de Noël avec Stanwyck (Meet John Doe [Frank Capra, 1941]et Christmas in Connecticut) travaillaient la même idée, mais ici, comme souvent chez Sturges, le propos se voit recouvert d’une part d’ironie et de cynisme lucide. Moins connu que ces deux autres films, Remember the Night n’a pourtant rien à leur envier : les dialogues savoureux de ce scénariste hors pair, le savant mélange entre screwball et mélodrame permettant à Stanwyck de démontrer l’étendue de son registre, la présence de Fred MacMurray (son partenaire de Double Indemnity [Billy Wilder, 1944] et de There’s Always Tomorrow [Billy Wilder, 1956]), la finale larmoyante à souhait, voilà bien autant de raisons d’ajouter ce film à la liste des classiques du genre.
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