THE 'BURBS
Joe Dante | États-Unis | 1989
Brillante satire de la vie banlieusarde en Amérique,
The 'Burbs est par extension un grand film sur les États-Unis sous Ronald Reagan — ce cul-de-sac dans lequel habitent ses protagonistes devenant le parfait symbole d’un repli sur soi s’étant sclérosé pour devenir crainte de l’autre et refus du changement. Ici, on s’isole pour devenir progressivement fou ; et lorsqu’une famille d’étrangers s’installe dans le quartier, la paranoïa a vite raison du semblant d’ordre établi.
«
Remember what you were saying about people in the 'burbs, Art, people like Skip, people who mow their lawn for the 800th time, and then snap? Well, that's us. It's not them, that's us. We're the ones who are vaulting over the fences, and peeking in through people's windows. We're the ones who are throwing garbage in the street, and lighting fires. We're the ones who are acting suspicious and paranoid, Art. We're the lunatics. Us. It's not them. It's us. »
Si la conclusion du film peut de prime abord sembler contredire cette réalisation, elle sert en réalité d’ultime point d’orgue ironique à toute cette histoire. Elle dresse la banlieue comme dernier rempart protégeant une société malade de tout ce qui la menace — et de tout ce que représente, au final, le cinéma de Joe Dante. Malgré les apparences,
The 'Burbs reste cohérent jusqu’au bout dans sa charge contre la dictature de la normalité.
Texte :
Alexandre Fontaine Rousseau
SMALL SOLDIERS
Joe Dante | États-Unis | 1998
Après
Matinee (1993) et
The Second Civil War (1997), Joe Dante vient conclure une trilogie non officielle sur la guerre avec ce jouissif
Small Soldiers. Combinant la déclaration d’amour au cinéma du premier avec la satire politique mordante du second,
Small Soldiers est sans doute le film qui ressemble le plus au
Gremlins 3 que Dante ne réalisera jamais, avec cette prémisse de jouets malicieux, des soldats de plastique s’attaquant aux habitants d’une petite communauté en semant le chaos. Le génie du cinéaste se tient comme toujours dans son équilibre parfait entre l’hommage senti à la culture populaire, ici les films de guerre et d’action, et la critique de la violence propre à cette culture. Nous sommes loin d’un
Toy Story (1995), avec sa valorisation implicite de la société de consommation produisant ces jouets si fabuleux : créés par une corporation employant une technologie militaire, les jouets ici sont dangereux, et parce qu’ils rejouent des clichés du cinéma hollywoodien, Dante arrive à synthétiser de manière brillante la convergence entre tous ces secteurs. Pour s’opposer à cette violence, le film emprunte le point de vue de la résistance, de la communauté et de sa boutique de jouets artisanaux (à l’image du cinéma de Dante), l’ennemi à abattre devenant le soldat américain, programmé pour la guerre et fabriqué à l’image des stars du cinéma d’action. Sans doute qu’il ne faut pas s’étonner si
Small Soldiers fut négligé à sa sortie, comme la majorité de la filmographie de Dante, mais il s’agit bel et bien d’une des œuvres majeures du cinéaste, l’une des plus subversives, à redécouvrir absolument.
Texte :
Sylvain Lavallée
PIRANHA
Joe Dante | États-Unis | 1978
Joe Dante avait toutes les raisons de se méfier de cette première aventure en solitaire. Après quelques co-réalisations, le jeune protégé de Roger Corman se voit confier comme mission la réalisation de
Piranha, film qui était destiné à n’être qu’un pastiche appauvri de
Jaws. Avant même qu’il ne passe chez Amblin à réaliser les films que Spielberg « n’avait pas le temps de faire », Dante se baptise lui-même dans son ombre, multipliant les références de biais au premier blockbuster de l’histoire.
Déplaçant le théâtre de son massacre de la plage à la colonie de vacances, le style de Dante se fonde dans les trouvailles amusantes, le détournement loufoque des objets et des métiers, la promiscuité entre la violence et la comédie, des éléments qui le différencient immédiatement de Spielberg en ce qu’il cultive un sens du gag et du cartoon qui convient parfaitement à la frénésie des innombrables piranhas (
Piranha n’est rien d’autre que la rencontre jubilatoire entre
Jaws et l’esprit
MAD de Jack Davis). Grâce à un ingénieux montage et à des trucages qui misent sur la confusion des attaques (ce qui les distingue d’autant plus du requin unique et biblique de
Jaws), Dante s’en sort brillamment, signant un film modèle et sous-estimé, peuplé d’une galerie de personnages hilarants qui sont déjà réunis par son goût pour la satire américaine.
Texte :
Mathieu Li-Goyette
HOLLYWOOD BOULEVARD
Allan Arkush et Joe Dante | États-Unis | 1976
Si l’on peut dire que
Gremlins 2 (1990) constitue la quintessence du cinéma de Joe Dante,
Hollywood Boulevard en est certainement la matrice, en cela qu’il s’agit d’un véritable film de série B, privé du vernis chatoyant qui recouvre ses productions subséquentes. C’est une œuvre fauchée, délirante et follement énergique, dont la facture artisanale révèle toute l’urgence cinéphilique de ses créateurs, forçant constamment ceux-ci à redoubler d’astuce pour mieux pallier à leur manque d’argent. L’hilarant scénario pourvoit une décapante satire des mœurs hollywoodiennes, exacerbée par les performances mémorables des acteurs cultes Paul Bartel et Dick Miller, qui rivalisent d’excentricité dans la peau d’un réalisateur fantasque et d’un agent véreux, auxquels sont impartis une myriade de répliques savoureuses. C’est pourtant dans sa foisonnante référentialité et son savant travail de réflexivité que le film révèle tout son génie. En effet, si les clins d’œil abondent, particulièrement au cinéma de Roger Corman, celui-ci se révèle également polymorphique dans son exploration des nombreux genres chers aux réalisateurs (action, porno, science-fiction et horreur), dont l’amalgame incongru contribue non seulement à l’éclectisme généralisé, mais à un catalogage en règle des mécanismes inhérents à ces genres. C’est donc un magnifique petit guide du cinéma bis que nous offre ici Dante et Arkush, indispensable compagnon de tous les cinéphages de salon, épicé même de nombreuses parenthèses érudites, incluant la double mise en abîme du film diégétique ainsi qu’un plan de vertige hitchockien sur le trafic hollywoodien, indices indéniables du génie dantesque en germe.
Texte :
Olivier Thibodeau
INNERSPACE
Joe Dante | États-Unis | 1987
Joe Dante aime beaucoup les reflets, et il le démontre très bien avec
Innerspace, film-miroir d’
Explorers (1985), sorti deux ans plus tôt. Miroir concave, tourné non pas vers l’espace intersidéral du récit de science-fiction traditionnel, mais vers les muqueuses gastriques, les villosités intestinales et les alvéoles pulmonaires, tous ces « endroits lointains aux noms étranges » qui gracient ici l’écran comme autant de fascinants paysages extraterrestres. C’est aussi le miroir concave du
buddy cop movie, dont il exacerbe les valeurs de camaraderie et de coopération en les situant à un niveau intraépidermique.
Innerspace repose en somme sur une double-concavité et c’est précisément là que réside son génie : dans son habilité à mettre en scène deux personnages qui sont à la fois complètement étrangers et intimement fusionnés, vecteurs de la symbiose bilatérale de deux univers savoureux, peuplés de gangsters pittoresques et de muqueuses démesurées. Les scènes d’action comédiques à la
Looney Tunes nourrissent ainsi constamment les scènes d’aventures intraspatiales à valeur plastique, la nature contemporaine et prosaïque du récit externe nourrit le caractère rétrofantastique du récit interne, le travail de caméra exemplaire propre au cinéma dantesque nourrit son flair pour la direction artistique, et l’humour burlesque de Martin Short nourrit l’humour railleur de Dennis Quaid. C’est une biomécanique parfaite, au même titre que la mécanique relationnelle des personnages, et on lui doit les plus saisissantes séquences d’action mises en scène par Dante depuis les jours bénis de
Piranha (1978), jusqu’à ceux de
Small Soldiers (1998).
Texte :
Olivier Thibodeau
THE SECOND CIVIL WAR
Joe Dante | États-Unis | 1997
Plus de vingt ans après sa sortie pour HBO,
The Second Civil War, une satire d’anticipation politique aux pays des États-Unis, se rapproche dangereusement du domaine du possible et de l’actualité. En réponse à une trop forte hausse d’immigration, le gouverneur de l’état de l’Idaho (Beau Bridges) décide de fermer ses frontières aux réfugiés. Visions d’horreurs, enfants crottés et sans-abri, orphelins refoulés (presque dans des cages). Mais tous ne s’accordent pas sur la façon de gérer la crise de l’immigration, et le Président des États-Unis, non par grandeur d’âme mais plutôt pour s’assurer des votes, va jusqu’à dépêcher l’Armée américaine pour tenir tête à la Garde nationale de l’Idaho. Le scénario se déploie comme un cha-cha-cha, à trois temps, avec comme dernier antagoniste les chaînes de télévision, qui créent de l’interférence à force de vouloir s’arracher des primeurs et mettre leur grain de sable dans l’engrenage politique. Il est tout de même décevant de constater que si la satire n’épargne rien, la pauvre femme reste une fatale qui perd de plus en plus de pouvoir sauf celui de provoquer jusqu’au chaos avec sa simple beauté. Mais en dépit de ce personnage de Cristina, la reporter mexicaine autour de laquelle le scénario s’égare (sur des airs de
soap-opera), en plus de lui enlever une position politique propre, cette comédie noire possède un rythme réglé au quart de tour, des revirements de situation savoureux, et une vision d’une acuité surprenante sur la politique étatsunienne, aiguisée au scalpel.
Texte :
Caroline Louisseize
THE HOWLING
Joe Dante | États-Unis | 1981
En coopération avec la police, Karen, une journaliste de la télévision, sert d’appât pour capturer un tueur en série qui s’intéresse à elle en acceptant de le rencontrer dans un cinéma porno (le tout digne d’un film d’Abel Ferrara des premiers temps) où le tueur en vient à être tué par les forces de l’ordre. Suite au trauma de Karen et à l’amnésie qui s’en suit, son thérapeute lui suggère d’aller faire un séjour dans « La Colonie », un centre isolé en forêt où d’autres patients cherchent le repos. Elle découvrira rapidement que ces patients sont aussi des loups-garous…
The Howling est le premier film de Joe Dante à avoir un budget plus considérable, à sortir de la compagnie de Roger Corman pour aller ailleurs, mais surtout à entrer dans la décennie qui le verra devenir populaire.
Plus encore,
The Howling parvient à faire le pont entre la tradition (qui inspire Dante) et la modernité (qu’il trace) du film de genre : le générique d’ouverture s’effectue sur un écran de télévision perdant son signal, rappelant les épisodes de
Twilight Zone et se termine, à l’opposé, avec un générique de fin qui déroule sur une image très claire et affirmée d’une pièce de viande juteuse qui cuit. On passe de la subtilité dans l’horreur à l’image graphique de l’horreur, de l’inquiétante étrangeté à la chair transformée, de la terreur urbaine des grandes villes à l’horreur folklorique des régions. Joe Dante s’efforce d’amorcer son film dans ce qui se rapproche le plus du slasher urbain malsain afin de faire entrer lentement le surnaturel dans son film, amenant subtilement (et non sans humour) le spectateur vers le film de monstre qu’il vise.
Texte :
David Fortin
GREMLINS
Joe Dante | États-Unis | 1984
Plus que tout autre film du cinéaste,
Gremlins confirme ce rôle de pendant subversif qu’aura occupé Joe Dante dans la « constellation Spielberg » et dans le paysage du cinéma populaire américain tout au long des années 1980. Critique du consumérisme déguisée en conte de Noël déjanté, le film se glisse insidieusement parmi les cadeaux pour semer le doute et faire régner une anarchie salutaire.
Figure attachante comptant sans contredit parmi les créatures les plus adorables de l’histoire du cinéma de genre, Gizmo est au fond la victime impuissante de ce rituel annuel le réduisant à cet état de « bébelle » auquel fait explicitement référence son nom. Le pauvre mogwai est transformé en objet par l’esprit des fêtes, les gens qui l’achètent croyant se dédouaner par cette simple transaction de toute responsabilité envers l’animal adopté.
Mais il y a des règles à suivre ; et lorsque celles-ci ne sont pas respectées, le gentil conte se transforme subitement en film d’horreur grimaçant. Fidèle à lui-même, Dante ne peut pas s’empêcher de mettre en scène le chaos qui s’ensuit sourire en coin — ce déferlement de monstres vulgaires et tapageurs déréglant tout sur son passage, pour le plus grand plaisir du cinéaste qui préfère de toute évidence son Amérique sens dessus dessous.
Texte :
Alexandre Fontaine Rousseau
MATINEE
Joe Dante | États-Unis | 1993
John Goodman, en grand gars des vues, invite un petit gars des vues à l’intérieur d’un cinéma la veille de la première de son dernier film,
Mant!. Le petit a déjà tout compris : les subterfuges de la promo, les superlatifs tarabiscotés de l’affiche, les amis payés pour le bouche-à-oreille, la fascination collective pour les monstres ; le grand l’a remarqué, c’est pour ça qu’il lui fait visiter une salle de cinéma alors qu’aucun film n’est projeté. Dans ce hiatus entre deux séances, là où les lumières sont à plein régime, la mystique du cinéma est tamisée, dans l’attente des prochains spectateurs.
C’est à cet instant précis que Goodman narre la plus belle des descriptions, celle qu’il faut réciter chaque fois qu’une salle met la clé sous la porte : «
You see, the people come into your cave with the 200 years old carpet. The guy tears your ticket in half. It's too late to turn back now. The water fountain's all booby-trapped and ready, the stuff laid out on the candy counter. Then you come over here, to where it's dark. Could be anything in there! And you say... ''Here I am! What have you got for me?'' ».
Joe Dante, n’en déplaise à l’histoire officielle, a fait beaucoup de grands films, mais ses meilleurs demeurent sans nul doute ceux qui font l’éloge du pouvoir d’évocation du cinéma et de sa capacité à émerveiller ceux qui daignent y entrer. Alors que les Gremlins apprennent en regardant des films, les enfants de
Matinee se rendent finalement compte que le cinéma les a protégés du réel (de la crise de la Baie des Cochons) le temps de quelques heures. Métaphore brillante de ce jeu de cécité où l’on accepte de ne pas voir la lourdeur du monde en échange d’une autre vue (qui, répète Dante, ne serait pas moins noble),
Matinee rend hommage aux visionnaires qui nous ont appris à regarder à travers la noirceur.
Texte :
Mathieu Li-Goyette
GREMLINS 2: THE NEW BATCH
Joe Dante | États-Unis | 1990
Au départ, Joe Dante ne voulait pas faire de suite à
Gremlins, voyant la machine à sous que ce projet était devenu pour les producteurs qui revenaient régulièrement à la charge au fil des années qui suivirent le premier film. C’est suite à une offre qui ne se refuse pas de son producteur Micheal Finnell qu’il accepta enfin : en l’échange d’une suite, il aurait une liberté créatrice totale (pour
Gremlins 2) et un contrat pour produire son film suivant (qui deviendra son film le plus personnel, son film-somme en quelque sorte :
Matinee). Joe Dante accepta finalement. Il a donc pu faire non seulement ce qu’il voulait durant la production du film, il a aussi, selon ses dires, tout fait pour que la Warner ne lui demande plus jamais de faire un autre
Gremlins. Ce qui en résulte était quelque chose de déjà rare à l’époque, mais aussi quelque chose qu’on ne risque pas de revoir de si tôt sous l’étiquette des grosses productions (tout en étant le plus dantesque de tous les films du réalisateur).
Gremlins 2 : The New Batch est un véritable film anarchique. Le ton est lancé dès l’ouverture avec une animation exécutée par le grand Chuck Jones et ses Looney Tunes, déstabilisant les spectateurs par la même occasion qui s’attendent à voir débuter un film en prises de vue réelles (qu’à cela ne tienne, le film sera aussi cartoonesque que burlesque). S’en suit la mise en place des personnages et de la mince trame narrative (qui n’a aucunement besoin d’être compliquée) avant qu’éventuellement les Gremlins prennent littéralement le contrôle du film en cours et l’envoient valser dans toutes les directions possibles. On passe des hommages aux films de monstres des années 50 aux scènes de comédie musicale, reprenant la trame de
Die Hard (Gizmo étant un peu Bruce Willis pris dans un immeuble moderne qui doit trouver le moyen d’éliminer les créatures qui en ont pris possession pendant que la police attend à l'extérieur) tout en s’avérant un commentaire sur la société de consommation, portrait satirique d’une Amérique corporatrice et parodie de l’empire immobilier de Donald Trump (le film ne s’en cache pas). Au passage, on se venge des critiques ayant été sévères avec le premier film (la scène où Leonard Maltin se fait étrangler avec de la pellicule par les Gremlins vaut de l’or) autant qu’on se moque des suites de films et de la marchandisation qui les accompagne. Film sabotage,
Gremlins 2 est une œuvre à part, qui se permet tout et qui réussit tout, culminant en une critique de la société autant qu’en un des divertissements les plus jouissifs qu’aient produit les studios.
...
Thats’s all folks !
Texte :
David Fortin