J’aime par procuration, mais je tombe amoureux également lors de ma quinzaine forcée. Refroidi par la représentation du malaise post-coïtal dans Shadows (1958), je me réfugie chez Pabst, qui d’abord m’enchante de candides grivoiseries (siège du cellier dans The Treasure [1923] et visite à l’hôtel dans The Love of Jeanne Ney [1927]). Dans la foulée, je tombe amoureux de Louise Brooks puisqu’elle constitue la quintessence esthétique de l’héroïne tragique du cinéma muet. Je retourne chez Cassavetes, et je suis pris d’une admiration sans nom pour Gena Rowlands, qui m’apparaît comme la vedette américaine de l’après-method par excellence, idée que confirme mon premier visionnage du truculent Opening Night (1977), où je jouis de sa performance éthylique, miraculeuse, de la dernière heure. Je rougis même face à la jeune Adèle Haenel au corps détrempé de Naissance des pieuvres (2007) et l’Adèle Haenel aux aisselles pommadées du Portrait de la jeune fille en feu (2019), perdant progressivement pied au milieu de la mer de mes désirs frustrés. Tous les films ne me semblent parler que d’amour et de concupiscence. Même les séries B de science-fiction en huis clos comme The Platform (2019) parviennent à glisser en douce des scènes de sexe oniriques…
Et puis, je tombe sur Imamura… Innocemment. En regardant La balade de Narayama (1983). C’est beau, La balade de Narayama. Ça a gagné la Palme d’Or ! C’est l’histoire de la promenade ultime d’une matriarche vers son lieu de « repos » dans les montagnes. C’est beau, et c’est contemplatif, mais c’est aussi plein de cul ! Pas surprenant, pour être honnête, compte tenu de la métaphore animalière qui traverse la filmographie du réalisateur. Imamura, c’est l’auteur de Profound Desires of the Gods (1968) après tout, et de L’anguille (1997). C’est aussi l’auteur d’une série ininterrompue de classiques humanistes teintés d’érotisme produits dans les années 60 et 70, œuvres que je redécouvre aujourd’hui pour leur scénographie enivrante, leur humour acéré, leur expressivité visuelle, mais surtout en tant que miroirs déformants de mes propres envies confinées.
Les gens baisent comme des animaux dans La balade de Narayama. Littéralement, au vu des montages alternés de bêtes copulant. Ils baisent librement au gré de leurs pulsions dans les bosquets dérobés de leur village tandis que nous, derrière les vitres doubles de nos pénates citadines, continuons de guetter le monde stérile et anesthésiant de l’état d’urgence pandémique. Nous existons aux antipodes des personnages d’Imamura, ces animaux tragiques mus par d’inexorables désirs (le Stolen et le Endless Desire [1958] de ses deux premiers films, notamment) qui sont tour à tour des rats, des vers à soie, des carpes, des insectes, des anguilles, mais surtout des cochons, insensibles aux impératifs sociaux de décence et d’étiquette sexuelle, violant même fréquemment l’interdiction d’inceste au gré de leurs pulsions. Or, la représentation du sexe, et de la nature bestiale de ses personnages, s’inscrit chez Imamura dans une forme d’humanisme terreux, païen, qui célèbre l’obsession du désir dans sa représentation d’une humanité libre, excessive et indomptable. S’il encage ses personnages, c’est donc toujours pour tester les limites de leurs cages (celle du protagoniste de Pornographers [1966] par exemple, qu’il laisse dériver vers l’océan ou du protagoniste de Eijanaika [1981], qui s’en échappe aussitôt) ; s’il les encage, c’est pour mieux laisser la porte entrouverte, perméable aux épanchements de désirs qui les animent, et que nous mirons aujourd’hui impuissants du confort chaste de nos cocons bio-sécuritaires.
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