:: Femmes de rêves (Louise Gendron, 1978) [GIV]
Les œuvres médiatiques vivent sans véritable supervision. Que font-elles lorsqu’elles ne sont pas présentées devant public ? Comment peut-on accompagner les œuvres autrement qu’en les montrant ? Parfois, on abandonne et on oublie les œuvres médiatiques. Parfois, elles ont un meilleur sort et on les décrit comme « majeures ». La plupart des œuvres demeurent dans un entre-deux, jouissant d’un succès modéré pendant un ou deux ans, puis se voient rangées sur une tablette (debout, bien sûr, dans le cas des formats cassettes). Certaines existent en tant que fragments, victimes de l’usure des bandes. Certaines se trouvent être les premières œuvres d’un·e artiste de renom et sont ravies de pouvoir baigner soudainement dans la gloire de la reconnaissance. Certaines œuvres finissent par représenter une décennie entière de production, ou deviennent emblématiques d’une certaine pratique vidéo. Certaines attendent d’être redécouvertes.
Groupe Intervention Vidéo (GIV) essaie d’offrir de brèves séries de répits face à cet état de fait en proposant différentes activités de programmation.
GIV célèbre bientôt son 50e anniversaire. Fondé en 1975, à une époque où les pratiques artistiques étaient étroitement liées à l’engagement politique, l’une des idées fondatrices qui animait la première équipe du GIV était de s’assurer de faire de la vidéo un outil de progrès social. Ceci transparaît dans certaines des vidéos produites lors des premières années du GIV, comme Femmes de rêve (Louise Gendron, 1978) et Mémoire d’octobre (Jean-Pierre Boyer, 1979). Dans les années 1970, la vidéo était par exemple utilisée pour proposer une réinterprétation marxiste d'une émission populaire, Rue des pignons (1966-1977) (Ceci est un message de l'ideologie dominante, Michel Sénécal et Michel Van de Walle, 1975) ou pour souligner, à travers le documentaire et la fiction, les problèmes vécus par les femmes qui contemplent l’avortement (Partir pour la famille, Hélène Bourgault, 1974).
:: Partir pour la famille [GIV]
Dans plusieurs histoires de la vidéo (lesquelles varient énormément en fonction des régions), il est possible d’entrevoir des visions utopiques, proéminentes dans certains textes, certaines productions et certains centres de production/distribution, dès les premières années du médium. L’air était alors plein de promesses. L’une était que les chaînes de télévision câblées allaient refléter la réalité communautaire, notamment en diffusant des cassettes vidéo en provenance de producteur·rice·s indépendant·e·s. Une autre impliquait le potentiel transformateur de la dissémination des vidéos à des fins d’éducation. Au Québec, les membres fondateur·trice·s du GIV, du Vidéographe, de la Coop Vidéo et de Vidéo Femmes [ndlr : collectif dissout en 2015 lors de sa fusion avec la coopérative Spira], pour ne nommer que quelques centres, produisaient souvent des vidéos faites par ou pour les communautés. Lorsque les vidéos, normalement des documentaires ou des docu-fictions, étaient complétées, on les montrait d’abord aux gens les plus directement concernés : les travailleur·euse·s en grève, les mères monoparentales, les membres de syndicats. On demandait aux participant·e·s de commenter les images et de participer au montage final. Les cassettes vidéo devinrent notamment un outil stratégique visant à capter la vie-même des participant·e·s. L’utopisme du projet se reflète dans le processus (la création collective) et le produit fini (qui s’intéresse aux problèmes et aux solutions relatives au progrès social). La promesse d’un usage utopique du médium s’est évanouie depuis, mais les traces de sa présence demeurent. On produit toujours des vidéos pour remédier, exposer et expliquer les problèmes sociaux.
Cet idéal utopique fragile faisait partie du zeitgeist des années 1970. À une certaine époque, on montrait régulièrement des vidéos dans des endroits qui ont depuis longtemps cessé leurs activités à cause des coupes budgétaires. Les vidéos illuminaient alors les sous-sols d’églises (qui servaient de centres communautaires), les centres pour femmes et les Maisons des Jeunes (un réseau de centres jeunesse opérant à travers le Québec). Pour montrer aux gens ce qu’ils ignorent. Pour montrer aux gens ce que la technologie peut accomplir.
D'une certaine façon, le fait de présenter des œuvres provenant de chaque décennie de l’histoire de la vidéo est une façon de retracer l’évolution du potentiel de la technique dans le domaine de la production. Parfois, en regardant des vidéos des années 1970, on ressent une euphorie palpable, on éprouve la sensation physique d’un artiste qui surpasse et incorpore les limites techniques des premières méthodes de production. Dans un sens, le choix d’une œuvre plus ancienne se résume à une affaire de ressenti face aux cassettes, dont l’énergie et la vigueur éclataient sur les moniteurs et les écrans et résonnent jusqu’à aujourd’hui.
Pour ces raisons quasi mystiques, célébrant le potentiel alchimique de l’acte commissarial, les activités de programmation du GIV sont conçues comme les composantes d’une approche multifonctionnelle et à multiples niveaux de la présentation d’œuvres. L’équipe du GIV (dont je fais partie) vise à créer des contextes d’exposition variés. Elle présente des œuvres médiatiques dans des parcs, dans ses bureaux, dans des espaces institutionnels (la Cinémathèque québécoise, les festivals, la Maison de la culture du Plateau-Mont-Royal), dans des centres communautaires ou des centres pour femmes et en collaboration avec des centres d’artistes autogérés. Nous sommes particulièrement intéressé·e·s à créer des contextes propices à la discussion et aux échanges. Nous organisons différentes activités destinées à divers auditoires : les jeunes adultes, le public général, les artistes, les commissaires, les éducateur·trice·s, les étudiant·e·s et la presse.
:: Femmes de rêves (Louise Gendron, 1978) [GIV]
Le GIV propose cinq séries récurrentes d’œuvres commissariées : Vidéos de femmes dans le parc (VFP), La voûte/The Vault, Laissez-Passer, Topovidéographies et Une œuvre vit quand elle est aimée. Chacune de ces cinq séries est destinée à offrir un contexte de présentation unique pour les œuvres et les artistes. Au sein du paysage animé de la représentation à Montréal, nous croyons qu’il est important pour nous de proposer une plateforme qui ne fasse pas que reproduireles autres. Nous pouvons fournir un espace intime pour qu’un·e ou des artistes (ou commissaires) viennent y faire « quelque chose » : présenter son œuvre ou celle d’autrui, montrer une œuvre en chantier, proposer une sélection d’œuvres commissariées, lancer une discussion.
Vidéos de Femmes dans le Parc propose un aperçu annuel des vidéos indépendantes produites par des femmes dans le cadre d’un événement accueillant à la fois les néophytes et les membres assidu·e·s de notre auditoire. Le nom de l’événement a été choisi pour son caractère descriptif limpide. Lors de la première édition en 1991, VFP était le seul événement dédié aux travail des praticiennes de l’art médiatique à Montréal. En 2021, VFP demeure l’un des seuls événements du genre. La simplicité du nom visait aussi à provoquer des discussions. Même si les spectateur·trice·s sont invité·e·s à voir des « vidéos de femmes », ces œuvres incarnent plusieurs trajectoires/genres/thèmes qui sont chers aux artistes médiatiques.
The Vault/La voûte est un programme qui débute par un appel ouvert à soumissions autour d’un thème spécifique. Il n’existe pas de contrainte quant à l’année de production. Nous avons conçu La voûte pour quelques raisons-clés : pour présenter la production vidéo de chaque décennie, pour l’organisation thématique, et pour proposer de nouvelles façons d’envisager les œuvres. La projection inaugurale, tenue en mars 2007, se nommait simplement The Vault, et portait sur le thème des archives et de la conservation. Le premier programme était constitué d’œuvres produites entre 1973 et 2004. La voûte est un programme visant à compenser le fait que la plupart des festivals ne se concentrent que sur la production récente.
Laissez-Passer est le nom d’une carte blanche récurrente offerte par le GIV à un·e artiste, un·e commissaire ou un·e professionnel·le travaillant dans le domaine du cinéma ou de la vidéo, des nouveaux médias ou de l’audio. Laissez-Passer se déroule dans nos bureaux. Bien que l’événement inclut des présentations standards, nous encourageons les échanges entre les artistes et le public en organisant une rencontre suivant la conférence et/ou la projection. Le programme Laissez-Passer est flexible, s’adaptant à la conception individuelle d’une carte blanche que privilégie chaque artiste invité·e.
Topovidéographies s’intéresse à la présentation de programmes vidéo contenant le travail de plusieurs artistes. Ce programme résulte souvent d’une collaboration entre commissaires et/ou artistes. Les géographies et le sens du lieu y sont des thèmes importants. Topovidéographies est un programme qui nous permet de découvrir des œuvres en provenance d’autres pays que le Canada, telles que sélectionnées par les artistes ou les commissaires. Les éditions passées de cette série ont présenté des productions portugaises ou jumelé des œuvres vidéo suisses et québécoises. Ce programme a été conçu pour permettre au public de réfléchir à propos des productions vidéo en provenance d’autres pays que le Canada.
:: Histoires des luttes féministes au Québec (Nicole Giguère, 1980) [GIV]
« Une œuvre vit quand elle est aimée/ A work lives when it is loved » est un programme que nous avons conçu avec l’aide de la commissaire et autrice Nicole Gingras. Gingras sélectionne un·e artiste avec qui elle aimerait travailler, puis elle choisit une œuvre médiatique de cet·te artiste. Durant la présentation, l’œuvre est montrée une fois au début, puis à la fin. Entre-temps, Nicole et l’artiste discutent de l’œuvre en question et répondent aux questions du public. Ce programme a été conçu pour permettre de s’attarder sur une seule œuvre médiatique. Les commissaires accompagnent parfois les œuvres d’art dans un sens large. Dans ces cas, ielles ne font pas simplement que sélectionner et présenter des vidéos. Ielles ne font pas qu’écrire à propos des productions. Ielles portent les œuvres sur leur dos. Ielles essaient de les faire vivre par-delà la projection, au-delà d’un simple texte. Ielles les traînent partout et toujours. Ces commissaires visent à transmettre, à partager l’œuvre et les idées essentielles qui en découlent selon ielles.
Au sein des espaces créés par les œuvres individuelles, le public peut prendre le pouls de divers mondes. Chaque artiste crée un univers unique, pur, peuplé par les spectres de l’imaginaire et de l’essence qui lui sont propres. Nous n’avons qu’à franchir le seuil pour appréhender les palimpsestes, l’éthéré, le fantomatique, le hanté, l’obsédant et les traces élusives de la perception. L’élaboration de différents types de pratiques représentatives reflète les tentatives de provoquer l’étrange alchimie du geste commissarial et de l’expérience toujours changeante de l’acte de visionnage.
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Anne Golden est commissaire indépendante et écrivaine dont les programmes ont été présentés au Musée national des beaux-arts du Québec, Edges Festival et Queer Cinema City, entre autres. Elle a écrit pour FUSE et Canadian Theatre Review. Golden a participé à de nombreux presentations sur les pratiques de conservation, la distribution indépendante et, plus récemment, les films d’horreur. Golden est directrice artistique du Groupe Intervention Vidéo (GIV). Elle enseigne au département de Media Arts de John Abbott College. Golden a réalisée une vingtaine de videos incluant Fat Chance (1994), Big Girl Town (1998), From the Archives of Vidéo Populaire (2007) et The Shack (2013).
Traduction : Claire Valade
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