SUR LE FESTIVAL DU NOUVEAU CINÉMA
Les conférences de presse organisées en amont des festivals de films ne sont plus très utiles. Pour autant qu’on lise attentivement les communiqués de presse et tout s’y trouve, le script du défilé, enrobé le plus souvent d’une rhétorique exceptionnaliste où certains des films les plus banals peuvent encore passer pour la perle rare. Ce à quoi servent donc les conférences de presse, à condition d’en lire l’organisation plutôt que le contenu, c’est à nous dévoiler la posture de l’événement, sa dégaine, son allure, ce qu’il pense de lui-même et les méthodes déployées pour qu’on le pense à notre tour. Comme le Festival du nouveau cinéma arrive cette année précédé de la controverse la plus importante de son histoire récente, il semblait essentiel d’aller à cette conférence de presse déguisée en « lancement festif » (c’est-à-dire le même exercice à l’identique, les chaises en moins et les collègues exténués par les deux heures d’exposition en plus). Cette nouvelle formule, mélange de 5 à 7 et de discours relativement peu vivants, avait surtout un avantage stratégique pour l’organisation du festival, sautant toute forme de période de questions suivant l’exposé, les réservant aux « festivités » du goûter servi ensuite, balayant en dessous du tapis la possibilité d’une intervention gênante, d’un malaise public. Comme on l’a souvent reproché au FNC dans la dernière année où sa vie privée a éclipsé sa vie publique, on aurait dit que les sujets de discorde devaient se dissoudre dans les petits papiers comme dans un cocktail. Pour rappel, suite à la révélation d’une lettre incendiaire envoyée massivement en mai dernier par Claude Chamberlan, cofondateur du festival, et la reprise de cette dernière dans un article de T’Cha Dunlevy dans la Gazette, le vernis du festival a définitivement craqué. Rumeurs d’une culture d’intimidation, de cauchemars professionnels, de violence verbale, de manipulations, toutes pointant vers un climat toxique aux responsabilités partagées, mais pointant néanmoins souvent vers Nicolas Girard Deltruc, directeur général du festival depuis quinze ans, comme principal responsable du clivage. Si le départ de l’incontrôlable Chamberlan était inévitable, comme en témoignaient ces dernières années où, plus âgé, plus « contrôlé », il s’impliquait surtout dans l’organisation des événements phares du festival, celui de Philippe Gajan, l’ancien codirecteur (et pilier) de la programmation, est autrement plus regrettable. Les renvois furent confirmés et les votes de confiance bien comptés à l’arrivée de Jacques Méthé à titre de médiateur du conflit interne. Embauché par le CA pour arbitrer la bisbille, il a semblé rapidement prendre le parti des patrons et des règles d’étiquette, avant d’être nommé président de ce même CA (la promotion ferait sourciller n’importe qui) dans un geste politique qui avait le mérite d’être clair : le conseil d’administration du FNC a préféré son directeur général à une certaine partie de son équipe, couronnant au passage Méthé, l’ancien président de Cirque du Soleil Media, à la tête des embauches décisives du festival. Notons que, durant la conférence de presse, Jacques Méthé fut le premier remercié dans l’énumération inaugurale de Nicolas Girard Deltruc. Ce virage aujourd’hui solidifié confirme en fait ce qui se profile depuis des années au Festival du nouveau cinéma, c’est-à-dire un virage de fond, d’émoussage politique et artistique, effectué au profit de la construction d’un subterfuge grossier qui permet encore à la direction de dire qu’il s’agit d’un « événement majeur et incontournable sur la scène locale et internationale » (dixit le catalogue) alors que rien n’est plus faux. On ne parle pas ici de faire de la compétition aux grands festivals européens, mais bien de rénover l’identité du FNC, qui se dilue d’année en année au profit de facilités qui n’ont pas leur place dans le festival de cinéma le mieux financé du Québec. Bien que les dynamiques internes auraient dû intéresser davantage (la presse généraliste francophone a été curieusement très peu loquace sur la question, sans doute parce qu’elle n’a pas considéré Chamberlan comme un « témoin fiable »), on ne peut pas penser qu’elles n’impactaient pas déjà depuis des années la programmation du festival dans son ensemble. Or le problème fondamental du Festival du nouveau cinéma, maintenant qu’un « ménage » a été fait, que l’équipe en place sera certainement plus conciliante et docile face à un directeur général qui présente tous les symptômes d’un homme de pouvoir ayant enfin compris que plusieurs l’avaient maintenant à l’œil, demeure sa programmation timide, construisant son capital de sympathie sur des premières de films qui n’auraient jamais eu besoin du FNC afin d’arriver à Montréal ou même ailleurs au Québec. Cette année, en guise de nanane, le FNC cherche à nous gâter en brandissant des films-surprises comme Parasite, la Palme d’or de Bong Joon-ho, ou Jojo Rabbit de Taika Waititi. Ces additions de dernière minute, faites pour générer les applaudissements et le hype autour du festival, sortiront en salle respectivement le 25 octobre et le 1er novembre. Il n’y a là rien de très événementiel, rien de festivalier — il s’agit plutôt d’une avant-première locale, qui aurait eu lieu même si le FNC n’avait jamais été inventé, faite parce que le festival a su convaincre les distributeurs québécois des deux films que ces derniers seront suffisamment populaires pour ne pas brûler leur box-office dans une projection de festival. C’est la même rengaine année après année. Ce l’était déjà la première année où j’ai été accrédité, en 2009, avec la projection surprise du Ruban blanc de Haneke. Or le festival n’a rien fait en 10 ans pour s’élever au-dessus de cet étau de la « saison des prix » se resserrant sur lui, il n’en a guère fait plus pour suivre l’évolution des plates-formes numériques comme Netflix, ne parvenant pas, par exemple, à mettre la main sur le nouveau Scorsese, The Irishman, une production Netflix qui, à l’heure où on se trouve, est en pleine tournée festivalière depuis sa première il y a deux semaines au festival de New York. D’ici à la fin du FNC, le Scorsese aura été diffusé dans au moins une douzaine de festivals, des plus internationaux aux plus locaux. Idem pour Dolemite is My Name, sensation du festival de Toronto, et qui prendra l’affiche exceptionnellement au Cinéma Moderne ce vendredi 11 octobre. Un FNC à la hauteur de ses ambitions aurait dû avoir ces deux films, il aurait dû dérouler son tapis pour Dolemite et, pourquoi pas, projeter quelques originaux de Rudy Ray Moore, l’interprète de Dolemite ici incarné par Eddie Murphy. Cela n’aurait qu’ajouté quelques couches d’apparences au festival, quelques primeurs de plus dans un événement qui compte déjà son lot de sorties garanties. Dans le plus pointu, on pourrait par ailleurs questionner l’absence notable du dernier film de Denis Côté, Wilcox, présenté à Locarno en août dernier, ou encore le Tommaso d’Abel Ferrara, présenté à Cannes et à Karlovy Vary et inédit en Amérique, ou Uncut Gems des frères Safdie, présenté à Toronto. Il y aurait aussi Nafi’s Father de Mamadou Di (à Locarno), Instinct de Halina Reijn (encore Locarno), The Science of Fictions de Yosep Anggi Noen (Locarno et Busan), Greener Grass de Jocelyn DeBoer et Dawn Luebbe (Sundance), Days of the Bagnold Summer de Simon Bird (Locarno), Cat in the Wall de Vesela Kazakova et Mina Mileva (Locarno), Babyteeth de Shannon Murphy (Venise), pratiquement tous des premiers films. Sans même sonder les problèmes internes qui ont accablé le festival ces dernières années, n’importe quel distributeur, programmateur ou critique au fait de l’actualité cinématographique réaliserait à quel point le FNC favorise les valeurs les plus sûres, les films tièdes, ceux qui ont déjà tellement fait parler d’eux que la suite de leur parcours n’est que formalité. Le problème engendré par cette catégorisation du FNC dans la ligue des festivals régionaux, c’est qu’il devient visiblement de plus en plus difficile d’y inviter des artistes intéressants et, de surcroît, d’y générer des opportunités culturelles, ce qui devrait être le propre d’un événement cinématographique doté d’autant de moyens. En l’état, la liste des jurés invités au festival est pratiquement aussi longue que sa liste de cinéastes invités dont le renom ne devrait pas non plus nous leurrer. Atom Egoyan, par exemple, n’a pas fait un bon film depuis près de 20 ans et son dernier, Guest of Honour, film d’ouverture de cette édition, est ridiculement mauvais, un mélodrame insipide et bourgeois qui, en portant sur ces apparences que l’on conserve trop longtemps pour son propre bien, s’avère au moins un drôle de reflet de l’événement qui l’a choisi comme inauguration des festivités. Pour ajouter au ridicule, ce film d’ouverture était précédé d’une Louve d’honneur remise à André Forcier pour l’ensemble de sa carrière, alors que son propre film, Les fleurs oubliées, sera projeté une semaine plus tard au festival. Pourquoi ce ballet entre Egoyan et Forcier dont le seul point en commun, il faut le dire, est de faire partie tous deux du comité d’honneur du festival ? Le jouissif film de Matthew Rankin, The Twentieth Century, aurait été un bien meilleur film d’ouverture, déjanté, engagé, purement pancanadien et rempli à rebords d’acteurs locaux. Osons croire que le caméo sympathique que Claude Chamberlan y tient aurait sans doute cassé le party aux yeux des organisateurs du festival. Le problème du FNC ne réside pas seulement dans ce jeu sélectif, auquel la critique peut s’adonner comme ici à la gérance d’estrade, se plaignant de ce qui s’y trouve et de ce qui ne s’y trouve pas. Il y aura d’ailleurs encore cette année pléthore de bons films au FNC, même que ses sections Temps Ø, celles des Nouveaux alchimistes, des Courts-métrages et des P’tits loups, demeurent parfaitement diversifiées, attirantes et stimulantes. Non, le problème est à la fois plus profond et plus aérien, il se situe moins dans la perte des capacités de négociation du festival que dans ses choix directifs, par exemple cette double thématique, l’environnement et le féminisme, invulnérabilisée par son acceptation sociale, mais pourtant passe-partout et paresseuse, étiquetée sur la programmation avec des pastilles repiquées aux pancartes électorales du PLC. La programmation rétrospective, alignée sur ces mots-clés en mode pilote automatique, masque à peine la complaisance d’une telle décision, d’autant plus dans une ville et dans une communauté culturelle déjà si à l’affût de ces enjeux. Pourquoi rendre hommage aux réalisatrices en projetant, parmi quatre maigres films, Mourir à tue-tête et La cuisine rouge, qui sont parmi les deux films les plus célèbres du cinéma féministe québécois ? Un festival qui se respecte creuserait davantage. Un festival qui se respecte se battrait becs et ongles pour nous faire découvrir du cinéma, certes féministe, certes environnementaliste, mais surtout un cinéma que nous ne connaissons pas, qui sort des facilités qui le plombent depuis des années. Alice Guy Blaché, Ida Lupino, Forough Farrokhzad, Barbara Hammer, pionnière du cinéma lesbien et qui plus est décédée cette année, la liste de réalisatrices dont le travail est invisible sans une forme d’intervention culturelle (ce qu’est la programmation : utiliser des fonds publics pour présenter des films indisponibles autrement) est longue, riche, et ne demande qu’à être redécouverte. Dans les faits, la réputation du Festival du nouveau cinéma repose présentement sur la qualité des films qu’il projette, ce qui, en aucun cas et surtout pas dans une métropole culturelle, ne devrait nous satisfaire. Car si tout événement s’évalue sur le contexte qu’il crée, les contextes festivaliers sont définis par la production d’événements, de premières, au sens profond du terme, de ce qui ne pourrait pas exister sans l’existence du FNC ; c’est le cas aujourd’hui plus que jamais, pourrait-on penser, où l’accessibilité multi-écranique nous garantirait l’éventuelle disponibilité de tous les films qui en vaillent la peine. Il ne s’agit donc pas de faire la chasse aux premières mondiales (ce qui n’a finalement que très peu d’importance, qu’importe le public), mais d’articuler sa programmation festivalière avec une vision d’ensemble qui soit à l’affût des tendances sociales et esthétiques du cinéma mondial. Ça veut dire ne pas se contenter d’une soirée Alien afin de rendre hommage à Ripley, héroïne la plus connue du 7e art, alors qu’à peu près tous les films de la franchise ont déjà été diffusés dans le cycle Minuit au Parc au cours des deux dernières années. Ça veut dire avoir une Compétition officielle qui n’exclut pas d’emblée ses propres films nationaux, maintenant relégués à une nouvelle Compétition nationale dont le prix en argent représente le quinzième du prix international, une première dans l’histoire du festival. Ça veut surtout dire de programmer des films courageux, ceux qui dérangent (nous qui sommes si confortables à Montréal, nous devrions avoir un festival de cinéma dérangeant, pas confortant). En l’état, seuls deux films de la compétition internationale n’ont pas déjà été auréolés de nombreux prix à travers le monde (et Dieu sait que les meilleurs films ne sont jamais ceux qui gagnent les prix). Plus encore, la quasi-totalité de la programmation du festival provient soit de Cannes, de Berlin, Venise, Toronto, Locarno ou Karlovy Vary. Ces films méritent certainement de faire partie du FNC, mais comment se fait-il qu’ils proviennent systématiquement des mêmes sources et des mêmes consensus occidentaux ? N’y a-t-il pas du nouveau cinéma ailleurs ? Et si le FNC se replie sur ces décisions parce que nous sommes en manque de salles et de distributeurs indépendants, ne pouvons-nous pas voir collectivement à quelle vitesse ce nivellement par le bas continuera d’atrophier notre marché et notre goût pour l’inédit ? La crise identitaire du FNC, l’édentement systémique de sa louve au profit des mères-grands de la stabilité, est enracinée dans ce problème qu’a le festival à repenser ce que le « nouveau » de son nom peut encore bien vouloir dire. Tandis que le festival a prétexté pendant des années ne pas être en mesure de concurrencer le TIFF, il a oublié au passage que cette lutte perdue d’avance n’impliquait pas de continuer de la mener, de poursuivre dans le sillon du festival de Toronto cette canalisation des primeurs automnales alors que le FNC aurait bien mieux fait de chercher à radicaliser sa ligne éditoriale, en programmant à la pointe du cinéma contemporain, en délaissant progressivement les valeurs sûres pour nous ramener vers l’excitation qui accompagne l’inconnu. Les solutions sont à portée de main. La première, par exemple, serait de réviser les critères des sections du festival, à commencer par la Compétition, qui devrait mettre sur un pied d’égalité les films d’ailleurs et ceux d’ici, puis suivre l’exemple du Prix de la FIPRESCI (nouveauté cette année, au détriment des précédentes années de partenariat entre le festival et l’Association québécoise des critiques de cinéma) et de miser sur les premiers films, sans exception, question de faire du festival à la fois une ligne de départ et une ligne de front, de capturer l’urgence créatrice du cinéma contemporain nonobstant les tournées festivalières et les lauriers déjà attribués. En attendant, le FNC continuera de considérer sa nouveauté comme l’on traitait avant des « primeurs » dans un club vidéo, se comportant de moins en moins comme le Festival du nouveau cinéma et de plus en plus comme le Festival du cinéma récent. Bien sûr, nous couvrirons le Festival du nouveau cinéma au cours des prochains jours, avec en plus la précieuse collaboration de la bédéiste Mirion Malle qui dessinera pour nous, quotidiennement, son expérience festivalière. Nous le couvrirons au nom de la qualité des films qui s’y trouvent et des œuvres qu’il nous tarde de découvrir, par amour du cinéma et dans l’espérance que ce festival, qui a été fondamental dans la construction de la cinéphilie de toute notre équipe, puisse un jour s’affranchir de ses schèmes standardisés et de l’automatisme culturel qui lui a coûté sa relation au nouveau.
Mathieu Li-Goyette |
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