Un an après notre premier éditorial intitulé
L'âge du kitsch et de la brutalité, où l'on revenait sur l'édition 2010 du Festival Fantasia ainsi que sur quelques tendances qui nous semblaient importantes dans le cinéma mondial, en voilà donc un autre, cette fois portant sur la mélancolie. En effet, la dernière année du festival s'est avérée non seulement l'une des meilleures des dernières années, mais aussi l'une des plus variées et des plus autoréflexives. Plus que jamais, il nous semblait que le cinéma de genre amorçait une longue réflexion sur ses origines (
Superheroes), ses acquis esthétiques (
Another Earth,
Love) ou même le procès de la génération qui le crée et le consomme (la génération X de
Bellflower). Des cinéastes ont tenté de réinventer des genres en les poussant vers des extrêmes de réalisme (le
survival avec
A Lonely Place to Die, le film de super-héros avec
Super, le slasher avec
Morituris) tandis que des vétérans ont prouvé qu'ils étaient toujours talentueux, mais que leur flair semblait aujourd'hui un peu vieillot face au reste de la production contemporaine (Landis avec
Burke and Hare, Hardy avec
The Wicker Tree).
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BELLFLOWER : Critique de la génération X |
Bref, le cinéma de genre vit une période charnière, une période de transformation profonde et cette quinzième édition du festival en aura été un témoin de premier choix. Pourquoi avons-nous fait ces films? Vers quoi le genre se dirige-t-il? Qu'est-ce que le genre? Ce sont des questions qui ont été posées par des spectateurs, par des cinéastes à voix haute ou à voix basse et même nous, sans trop s'en rendre compte, nous nous sommes prêtés au jeu en publiant pendant le festival notre deuxième livre,
Vies et morts du giallo. Réfléchir le genre, c'est penser la manière dont Miike, par exemple, s'est approprié des canons du cinéma d'auteur pour faire un film de samouraïs plutôt moyen; c'est aussi observer le retour mitigé de Tsui Hark avec un film de kung-fu extravagant ou le retour aux petites productions sans compromis pour Lucky McKee. Certaines idées vieillissent mal tout comme certaines nouvelles voix sont censurées par une industrie qui refuse encore de leur donner le plein contrôle de leurs films.
Peu importe l'oeuvre ou le cinéaste qui nous aura charmés, un constat demeure : la crise hollywoodienne des sujets absorbe tranquillement l'industrie du cinéma de genre et ses indépendants. Victimes d'une mauvaise image, ces créateurs subissent les foudres des remakes, sont incapables d'échapper aux sentiers battus des suites ou des scénarios génériques. Au final, puisqu'il y aura toujours, quelque part, un cinéma d'auteur fort et persistant, c'est son opposé de toujours qui se trouve aujourd'hui en péril.
Et force est d'admettre que la faute n'est pas seulement aux conglomérats américains ou simplement au consumérisme des spectateurs occasionnels plus portés vers le film connu que le bon film. La faute est à La Presse pour n'avoir couvert qu'avec une poignée de minuscules papiers insignifiants le Festival Fantasia. La faute est à ces articles insipides diffusés par les grands médias. La faute est à ces subventions fédérales et provinciales qui, après plus de quinze années de succès, n'arrivent toujours pas à épauler le festival dans le fort de sa course contre le Toronto After Dark Festival. La même histoire s'est produite avec le Festival des Films du Monde et le Toronto International Film Festival et elle est sur le point de se répéter. Les distributeurs, producteurs et réalisateurs préféreront bientôt la métropole canadienne à cause du TIFF et, très bientôt, les maîtres n'auront plus Montréal sur leur feuille de tournée promotionnelle - un film ne s'arrêtera qu'exceptionnellement à deux reprises dans deux festivals canadiens au cours de la même année.
En bon français, Montréal se fait manger la laine sur le dos, encore une fois, par Toronto. Sans une réaction rapide des grands médias et des institutions publiques, Fantasia conservera son public et sa réputation, mais stagnera dans un futur proche et, à nouveau, nous serons passés à côté d'une opportunité en or d'avoir dans la métropole québécoise un centre important du cinéma mondial. Parce que certains films choquent, parce que d'autres sont sous-titrés en anglais (allez demander à un distributeur japonais de stopper la tournée nord-américaine de ses bobines sous-titrées en anglais pour en ajouter une française et doubler les coûts), mais aussi parce que Fantasia est le berceau d'une contre-culture, il faut croire que le discours officiel ne s'y intéresse guère.
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THE WOMAN : Un film qui choque intelligemment |
Non loin de ces préoccupations, le Cinéma du Parc, le Cinéma Beaubien et La Maison du Cinéma de Sherbrooke se sont alliés officiellement pour former l'Association québécoise des cinémas d'art et d'essai. Rejoint au téléphone la semaine dernière, Roland Smith, propriétaire du Cinéma du Parc, nous confiait que l'objectif à court terme de l'association était d'abord l'intégration des salles à la CICAE (Confédération internationale des cinémas d'art et d'essai) et l'union de leurs efforts face au gouvernement qui ne subventionne pas les modifications apportées aux salles indépendantes dans les villes de plus de 50 000 habitants jugeant qu'ils pourront se baser sur un financement privé. Du moins, tels sont les calculs du ministre des Finances Raymond Bachand. Et puisque 50 000 habitants sont loin de suffire à donner les milliers de dollars que nécessitent l'achat et l'installation de projecteurs DCP 2K (donc une projection numérique à la hauteur des mégaplex), ces salles prennent du retard et voient le gouffre avec les salles commerciales s'approfondir.
Minuscule lumière au bout du tunnel, alors que nos festivals sont gobés par le Canada anglais et que nos salles indépendantes périssent face aux géants de l'industrie, M. Smith nous confirmait que lui et ses complices, contrairement au Cinéma du Quartier Latin et autres complexes, garderaient précieusement ses projecteurs 35mm. Au moins, on peut dire qu'ici on fait bien les choses.