LA FASCINATION DES PREMIÈRES FOIS
Triomphe du muet à la soirée des Oscars : l'Académie récompense à la fois le film muet fait « à la manière de » et l'autre sur le cinéma des premiers temps. Retour en force non pas pour l'Histoire du cinéma, mais bien pour la cinéphilie et le plaisir des découvertes - celles des enfants de
Hugo, puis celle du public de 2012 qui ira voir, pour la première fois de sa vie en salles, un film muet -, le cinéma semble vouloir se remettre à zéro, se rembobiner rapidement et repenser la fascination des premières fois comme sa nouvelle attraction. Mais c'est le propre des courants artistiques d'aller et de venir en cycles, tanguant sans cesse entre l'exploitation maximale des formes connues jusqu'à leur éclatement et leur remise à neuf sous une perspective nette, se disant de l'école de la concision. De la même manière que
Days of Heaven adhérait parfaitement à l'ambition démesurée du nouvel Hollywood des années 70, les films que
Terrence Malick réalise aujourd'hui s'envisageraient difficilement dans le cinéma des années 80 et 90. Un peu comme s'il avait patienté, persuadé que son heure viendrait. Il n'y a là rien de mathématique, rien de complètement réfléchi, mais il y a aussi une mouvance et l'ignorer serait ignorer l'espérance de vie des différentes formes du discours cinématographique.
En ce sens, l'année 2012 fut une année de transition. Entre l'épure de
Drive ou de
Meek's Cutoff et la grandiloquence de
The Tree of Life, il y eut un choix à faire pour le spectateur. Un choix entre deux propositions distinctes, deux manières d'envisager le cinéma, soit comme un spectacle plus grand que nature, soit comme un cocon où la vie (devenue bien plus rapide que le cinéma n'aurait jamais pu l'être) s'arrêterait de tourner le temps d'une projection en salles.
Nous ressentons que le septième art se dirige lentement, mais sûrement, vers cette deuxième option, cette conscience aiguë de ses propres codes tellement ancrés dans son patrimoine génétique et sa technique qu'il est aujourd'hui parvenu à le rendre à l'écran avec une impression de nouveauté. Ainsi,
Nicolas Winding Refn déconstruit le film de voitures et
Kelly Reichardt le western. Ainsi,
Michel Hazanavicius nous redonne le cinéma muet. Ce recyclage des formes qui s'étaient submergées depuis bien longtemps serait aujourd'hui ce qui fait rêver, ce qui attise la curiosité du spectateur collectionneur de souvenirs. Après avoir vu
Sunrise en DVD, il aura le plaisir de voir un film de la même « veine » sur grand écran. C'est le plaisir renouvelé, renouvelable.
À l'heure où la Cinémathèque québécoise bat de nouveau de l'aile , nous y voyons une terrifiante corrélation, un pacte inébranlable et instinctif entre l'industrie et le public, entre la volonté de créer du nouveau et la volonté de consommer du nouveau. N'avons-nous pas encore le temps pour l'ancien?
Y a-t-il encore de la place pour un Rudolph Valentino plus ou moins oublié, du genre
Beyond the Rocks quand, en regardant
The Artist, la collecte de références satisfera peut-être autant le spectateur? Et si l'unique visionnement de
The Artist suffisait? Et si celui de
Hugo, nous livrant un «
best-of » de Méliès, nous prévenait de découvrir sa bonne centaine de films conservés depuis les années 1900? Dans sa quête du nouveau, le nouveau cinéma oublie (in)volontairement l'ancien. Parce qu'il aimerait marcher dans ses pas sans qu'on ne s'en rende compte, parce qu'il rend hommage à des films que trop peu ont vus, mais aussi parce que l'impression des premières fois est la plus fascinante de toutes.
Or, ce que nous vous proposons, c'est de se pencher sur un certain cinéma des premières fois, celui du «
coming of age », des récits d'apprentissage et de passage à l'âge adulte où tout s'apprend, tout s'ancre pour la suite des choses : premiers amours, premières sorties de placard, premiers affranchissements. L'arrivée dans la maturité est aussi l'instant où toute une société se révèle comme ce qu'elle est réellement (de
Ferris Buller à
Léolo), où son cinéma se réinvente dans sa quête d'apprentissage. Ces films reflètent le plaisir de retourner aux sources, de retomber dans l'enfance de l'art en espérant y retrouver aussi ce que nous y avions perdu. L'état de devenir constant, ici comme dans les sièges trop vides de la Cinémathèque, nous confronte à la lutte contre l'instantanéité, à l'idée que le temps qui passe est synonyme de progrès, que nous ne portons plus attention aux chemins pris pour parvenir où nous sommes présentement. Comme tout le cinéma contemporain parle avec nostalgie, voyons ce qu'il en est lorsqu'il se décide à parler de nostalgie.