POLITIQUES TRANSVERSALES « Je ne fais pas de politique » et « Tout est politique » sont certainement les deux réponses les plus courantes lorsqu’un cinéaste est interrogé sur l’implication et l’engagement politique de son cinéma. La première infirmée, la seconde profondément déterministe, toutes deux des esquives qui distancient à chaque reprise, parade après défilement, le rapport du cinéma au réel. Tellement qu’il ne peut plus s’agir d’observer les intentions d’un créateur mais bien les traces qu’il laisse derrière lui, celles qui viennent trouver dans la subjectivité des spectateurs une quelconque incidence engagée. Se pencher sur le politique au cinéma en 2014, ce n’est définitivement plus s’attarder à la politique, celle des partis, des retournements historiques ou des révélations dépravées. C’est plutôt chercher à saisir, de la manière la plus transversale qui soit, la présence des différents agents du politique qui cernent notre contemporanéité et les nœuds d’agencements contradictoires qui les articulent. Sans cesse complexifié par les paradoxes dont il est constitué, le politique au cinéma n’a pas un point de vue unique, mais plutôt une pluralité de points de vue. Lorsqu’il est actif, il provoque son autocritique – de peur que le spectateur n’y soit pas assez attentif –, il parcourt les chemins de traverse de l’événementiel – de peur que les médias ne les ignorent – et interroge la politique cinématographique – de peur que le montage ne regagne ses capacités propagandistes. Et lorsqu’il est passif, on le mine pour en retirer quelques pépites éloquentes, des instantanés qui renforcent notre regard en le mettant à l’épreuve. The Act of Killing, Five Broken Cameras, Insurgence, Into the Abyss, du côté documentaire; Captain Phillips, Film Socialisme, Still World, Zero Dark Thirty dans la fiction; tout le cinéma de Jia Zhang-ke, de Nicolas Klotz, de Rithy Pahn et de Wang Bing incarnent de façon captivante ce politique, tant par leur refus des discours univoques que par leur appréhension humaniste des problématiques qui secouent le globe. En recentrant leur discours autour d’individus lucides, ces créateurs transfèrent la complexité de l’Homme vers ces assemblages idéologiques complexes qui ont fini, depuis longtemps, par le dépasser. Ainsi l’humain semble à la merci du politique dans Zero Dark Thirty, quand un patriotisme mêlé de machisme se met en place pour broyer la détermination de l’agente de la CIA; différemment, les images « muettes » d’Insurgence accentuent l’amertume du souvenir du printemps étudiant, conférant à la marche la douloureuse impression d’une révolution menée en vain. Comme un décalqué révélé par la présence d’un protagoniste sensible, le politique à l’écran à l’ère de l’hyperconnectivité est aussi une quête insolvable de la vérité. Dirty Wars ou encore The Act of Killing et L’image manquante questionnent sans relâche l’image vue de l’Histoire, la comparant à l’image vécue du Cinéma et deviennent les périples foncièrement intimes de cinéastes partis à la recherche d’un peu de sens dans la douleur. Dans la digne lignée d’Alain Resnais, qui n’avait jamais cessé de questionner le vrai du faux, ces cinéastes retournent les pierres ensevelies par l’État tout en ayant le périlleux mandat d’épurer la frange conspirationniste de leur discours. Alors que nos cinéastes échouent (sauf les exceptions qui sont précieuses et réjouissantes : Maxime Giroux, Nathalie Saint-Pierre, Sébastien Pilote, Simon Galiero, Sylvain L’Espérance) à saisir à bras le corps les grands enjeux politiques de notre époque, c’est plus que jamais au spectateur d’être un politicologue aguerri, à l’affut des nouveaux canaux de diffusion et d’information, des nouvelles manières d’investir l’espace publique, à la fois individuellement et transversalement, n’imaginant non plus le cinéma seul à l’intérieur du cinéma. Ainsi ce cinéma en est un d’investigation et de vulgarisation, un ouvroir de réseaux de tensions qui démontre au spectateur comment le politique influence nos vies ou comment les nouvelles technologies nous mènent à une croisée des chemins, à choisir entre la liberté et l’illusion de liberté. Ce n’est parfois qu’un montage parallèle au rythme particulier, qu’un plan-séquence qui fasse ligature, qu’une composition qui laisse deviner, là-bas derrière en profondeur de champ, une image de fond qui vient saisir et donner sens à l’image de surface; c’est un éclat éblouissant comme un intertitre godardien ou un petit scintillement discret de Jia Zhang-ke, aussi subtile et prégnant que l’est le politique au quotidien. C’est une Idée platonicienne qui prend corps, qui rend le cinéma éternellement contemporain et qui, pour le plaisir des esthètes comme des sociologues, lui rend la complexité de son sujet. Mathieu Li-Goyette Rédacteur en chef |
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