À défaut d’être un grand film, Twister (1996) en est un rudement efficace, dédié à sa tâche de filmer la destruction pour en tirer un divertissement estival. Les personnages se réduisent certes à quelques traits vaguement dessinés dont la seule fonction est d’amener des touches d’humour et des explications un brin ridicules sur la météorologie en attendant la prochaine tornade, mais iels n’ont pas besoin d’être mieux défini·e·s : iels servent avant tout à guider la mise en scène par leur jubilation, leur désir de se lancer à la poursuite du spectacle. Cela convient parfaitement à l’esprit de Jan de Bont, lui qui, déjà comme cameraman, s’était fait connaître par sa volonté d’aller jouer avec des lions au risque de sa vie (dans Roar, 1981). Que ce soit ensuite chez John McTiernan (pour la direction photo de Die Hard [1988] et The Hunt for Red October [1990]) ou dans sa première réalisation, Speed (1994), c’était sa marque de commerce : capter le danger en plantant sa caméra au plus près de celui-ci, à l’instar des personnages de Twister qui chassent les tornades pour les mesurer avec leurs instruments scientifiques qui doivent être jetés au cœur de la tempête. Il en résulte un film de faiseur habile mettant en scène des travailleur·euse·s dévoué·e·s à leur métier, interprété·e·s par des character actor (Bill Paxton et Helen Hunt) plus que des stars — dans un tel contexte, le « méchant » ne pouvait être qu’un riche qui possède la technologie mais non la compétence. Rien d’exceptionnel, donc, mais c’est ce qui rend Twister exceptionnel aujourd’hui, tant le film fait preuve d’un type de savoir-faire qui semble avoir disparu, où tout est parfaitement pensé pour assurer la meilleure efficacité, dans une cohérence d’ensemble remarquable.
Twisters, reprenant peu ou prou la même structure que l’original, s’ouvre sur un événement traumatique : Kate (Daisy Edgar-Jones) assiste à la mort de trois de ses ami·e·s, pendant une tornade particulièrement violente. Elle se sent directement responsable de la tragédie (elle a négligé la sécurité de son équipe), alors quand nous la retrouvons cinq ans plus tard, elle s’est retirée derrière un bureau où elle observe de loin la météo. Dès ces premières minutes, le contraste avec Twister est frappant : le film s’ouvrait sur une scène semblable, beaucoup plus courte, dans laquelle Jo, enfant, voyait son père emporté par le vent. Mais quand nous la retrouvions, adulte, elle, ne cherchait qu’à se précipiter vers une nouvelle tornade, en apparaissant surtout préoccupée par son divorce imminent avec Bill. Le deuil servait à donner une dimension personnelle à la quête de Jo, et il se contentait de resurgir tardivement comme un pivot dramatique conventionnel apportant le récit vers son paroxysme, sans que le traumatisme ne soit réellement exploré. De Bont n’avait pas le temps de s’arrêter pour cela, contrairement à Lee Isaac Chung, qui freine ponctuellement la course effrénée pour que Kate puisse se regarder dans un miroir et se remémorer sa perte.
On peut imaginer que le scénario (signé Mark L. Smith) cherche à intensifier notre identification au personnage en lui conférant une plus grande densité émotionnelle, mais la simplicité des protagonistes de ce genre de cinéma n’a jamais été un défaut, sauf pour les cinéphiles élitistes : nous avons seulement besoin d’un minimum de sympathie, qui vient souvent d’emblée avec la star qui mène le récit, et qui remplit par sa personnalité un rôle conçu pour la mettre en valeur. Pour Edgar-Jones, le défi est de taille, car elle doit dégager l’aisance et la légèreté que le film semble attendre d’elle, blockbuster oblige, même si son personnage est entièrement défini par un deuil difficile. Le rôle lui va bien, mais uniquement si on la réduit à sa capacité à jouer le drame parce qu’elle émerge du succès de l’adaptation de Normal People (2020). Même chose pour le cinéaste, lui qui s’est fait connaître par Minari (2020), un drame familial intimiste : Chung est apte à filmer les paysages du Midwest, à capter avec délicatesse les interactions humaines, mais cela nous donne surtout l’impression qu’on a voulu rabattre les conventions du drame indépendant sur celles du blockbuster, pour le rehausser artificiellement par une bonne dose de « substance ». Autant les noms de De Bont, Paxton et Hunt étaient cohérents avec la nature de leur projet, autant ici le choix de Chung est curieux, en même temps qu’Edgar-Jones se retrouve coincée dans les paramètres d’un rôle mal calibrés pour ce type de récit. Dans les circonstances, elle s’en sort plutôt bien, mais comme son cinéaste, elle peine à trouver un juste registre.
:: Daisy Edgar-Jones (Kate) [Amblin / The Kennedy/Marshall Company / et al.]
:: Glenn Powell (Tyler) [Amblin / The Kennedy/Marshall Company / et al.]
Et c’est bien là le principal problème : nous sommes dans la salle pour le plaisir de voir des bourrasques violentes tout arracher du sol, alors que Kate, elle, n’ose pas s’approcher, son traumatisme la paralyse comme il vient plomber la mise en scène. Bien sûr, Twisters ne reste pas longtemps en retrait des séquences d’action, mais elles sont toujours alourdies par un récit qui souligne à chaque occasion les conséquences de la destruction : à travers Kate et son drame, mais aussi par toutes ces scènes dans les décombres qui nous rappellent que les tornades, c’est sérieux, c’est mortel, ça anéantit des foyers. Nous avons l’impression d’être devant une version « adulte » qui réprimande l’esprit gamin de Twister, avec ce prologue où Kate est essentiellement punie pour répéter les gestes de Jo et de Bill. Même Chung ne semble pas particulièrement intéressé à filmer l’action : quand une tornade provoque des explosions, c’est à peine si la caméra ose s’y attarder quelques secondes. Il faut plutôt fuir la scène pour se concentrer sur le moment où l’on se panse les plaies. Dans le contexte, il n’est pas anodin que l’objectif des personnages ne soit plus de capter le phénomène, de l’étudier et de l’observer (ou plus simplement d’en jouir), mais bien de l’empêcher, de projeter des produits dans l’atmosphère pour tuer les tornades, comme si le film se retournait contre sa propre raison d’être.
Alors quand nous découvrons Tyler (Glen Powell), un « tornado wrangler », vedette des réseaux sociaux, et que nous le voyons poursuivre une tornade pour la filmer de l’intérieur et y lancer des feux d’artifice, nous nous demandons pourquoi ce n’est pas lui que nous suivons, pourquoi la caméra ne se colle pas à ce Jan de Bont moderne cherchant à plaire à son public en lui offrant un spectacle cinglé et stupide. En outre, le rôle est superbe pour Powell, star montante depuis que Richard Linklater l’a mise de l’avant dans Everybody Wants Some!! (2016). Leur plus récente collaboration, pour Hit Man (2023), a cristallisé l’image de l’acteur, en le présentant comme un homme capable de séduire n’importe qui, en se transformant gracieusement pour devenir celui que l’on voudrait qu’il soit sans cesser d’être lui-même. Comme s’il était notre fantasme collectif, une star masculine à la beauté un brin générique, parfaitement virile (voyez, dans Twisters, quand il débarque sous la pluie avec son chandail blanc qui lui colle aux biceps) mais un brin idiot et maladroit, capable de rire de sa masculinité. La blague, dans Anyone But You (2023), c’est que quelqu’un prétendait ne pas l’aimer (ça ne peut être qu’une mascarade shakespearienne), et encore ici, la blague c’est qu’il est devenu imbu de cet amour, de sa propre image qu’il imprime et distribue sur des chandails. Dans Twisters, Powell n’a besoin que d’être charmant, et cela est largement suffisant.
C’est donc l’énergie irresponsable et ludique de Tyler que l’on aurait aimé retrouver, plutôt que de subir une énième métaphore sur la nécessité d’affronter nos peurs (ici de les dompter telles des tornades). Il y a bien de cela dans le film, qui demeure assez réussi pour apparaître rafraichissant dans le contexte actuel : pas de nostalgie autoréflexive qui nous répète à quel point l’original est aimé (peut-être parce qu’il n’a pas si bonne réputation), pas d’ironie sur le fait de réaliser une suite, aucun personnage récurrent, juste un spectacle modeste conçu et filmé à hauteur humaine. Mais même si Chung essaie de reproduire un cinéma d’un autre temps (pas si lointain), il trahit son époque par cette impulsion d’injecter un certain réalisme, ou une substance dramatique plus « complexe » dans une formule fondée sur le simple plaisir d’un spectacle de destruction bien rodé, ce qui est tout à fait représentatif d’un cinéma contemporain où le traumatisme et le deuil sont devenus les moteurs narratifs par défaut. Alors il ne peut pas y avoir ici de vache emportée par le vent, image devenue iconique de Twister, une touche d’humour capable de reconnaître sa propre absurdité ; il ne peut même pas y avoir de baiser final entre nos deux stars (l’écart d’âge entre elles est-il subitement, en conclusion, devenu trop malaisant ?). Nous avons plutôt un film à l’image de son personnage, qui essaie de retrouver le plaisir de courir après les tornades, qui s’efforce de retrouver l’innocence d’un spectacle démesuré et ridicule, comme si cette insouciance n’était plus possible aujourd’hui.
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