:: David Larcher [photo : Natalie Bewernitz et Marek Goldowski, VG Bild-Kunst]
Lorsque Peter Kubelka a installé son « Cinéma invisible » pour la première fois en 1970 à l’Anthology Film Archive à New York, créant une salle de cinéma baignée dans le noir le plus profond, chaque siège cloisonné l’un de l’autre et affublé d’œillères, forçant ainsi les membres de l’auditoire à fixer leurs regards sur l’écran, il n’avait certainement pas pensé à l’œuvre de David Larcher. Alors que Kubelka s’intéressait à affiner la perception sensorielle d’un « cinéma essentiel » en séparant les spectateur·rice·s, Larcher poursuivait un but contraire, celui de dissoudre les frontières.
S’il était présent à ses projections, une interaction directe entre le cinéaste et l’auditoire avait souvent lieu : Larcher criait pendant les temps morts, faisait des blagues, provoquait, chargeait l’événement de son énergie fébrile. Si vous aperceviez sa roulotte — une relique des années hippies et l’objet le plus important de son existence précaire et nomade — stationnée en face d’un festival de films, vous saviez que les événements se dérouleraient différemment de ce qui était planifié. Lorsque Larcher intervenait dans les performances des autres, par contre, c’était plus à la manière d’une farce juvénile que d’un acte de sabotage destructeur. « Mentionnez le nom de David Larcher à presque n’importe quel artiste du cinéma d’avant-garde », déclare Nic Houghton, « et vous entendrez des histoires d’excès, de folles aventures et d’une vie de bohème. »
Né à Londres en 1942 de parents anglais et mauriciens, Larcher a étudié l’archéologie paléolithique à l’université Cambridge ainsi que le cinéma et la télévision au Royal College of Art de Londres. Vers 1963, il a commencé à faire de la photographie et du cinéma, puis de la vidéo vers le début des années 1980. Sa dernière rupture avec le cinéma analogue a été aussi surprenante que radicale pour plusieurs : « Je déteste ce truc », avait-il affirmé.
:: Mare's Tail [David Larcher]
Avec des films comme Mare's Tail (1969) et Monkey's Birthday (1975), Larcher est devenu le représentant d’un cinéma expérimental intime dont les motifs, recueillis sur de longues périodes de temps, étaient glanés dans l’environnement immédiat de l’artiste, puis manipulés par des procédés de développement manuel et tirés à la tireuse optique, avant d’être refilmés et organisés en œuvres d’une durée souvent épique. À une époque marquée par la primauté des films structurels avec leurs règles bien rigides, Larcher occupait la marge avec son langage formel exubérant. À partir de la moitié des années 1980, il privilégie les médias électroniques parce qu’ils lui permettent de créer des séquences d’images plus fluides, une aliénation complexe, de même qu’une condensation et une simultanéité des motifs. Les images généraient des images, comme dans un acte de naissance en boucle infinie. Développés de manière processuelle, il s’agissait selon Jackie Hatfield, « de labyrinthes d’images, des mondes à l’intérieur d’autres mondes, où des explorations de récits et de souvenirs personnels émergeaient par l’entremise d’effets de collage et de superposition ».
Entre 1996 et 2007, David Larcher a occupé le poste de professeur d’art vidéo et de médias électroniques à l’Académie des arts médiatiques de Cologne. Travaillant en étroite collaboration avec Matthias Neuenhofer, il a établi un espace libre intellectuel et artistique au sein duquel pourrait être réalisé ce dépassement du seuil séparant l’art et la vie exigé par l’avant-garde classique. Ce faisant, Larcher a compris que l’expérimentation faisait partie intégrante de la pratique artistique et de la réflexion sur les médias, ne faisant pas uniquement office de contributions au développement personnel de ses étudiant·e·s. Comme son œuvre artistique, ses enseignements étaient aussi caractérisés par l’exigence d’une liberté incarnée, « désirée par plusieurs, crainte par la plupart des gens et surintellectualisée par d’autres, » comme l’a déclaré un jour Stephen Dwoskin au sujet de son ami.
Plus récemment, déjà conscient de sa mort prochaine, Larcher a envoyé à des ami·e·s londonien·ne·s une photo de ses boîtes de films rouillées en Dordogne ; dans une des boîtes, ouverte, reposait un bout d’amorce sur lequel était inscrit « NEW MOVIE ».
Avec le décès de Michael Snow, Gianfranco Baruchello, David Rimmer, Birgit Hein et Peter Weibel depuis le début de l’année, le cinéma expérimental a déjà souffert d’immenses pertes. Le 7 mars, David Larcher a suivi ses camarades.
:: Monkey's Birthday [David Larcher]
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Matthias Müller est né en Allemagne en 1961. Ses films ont été montrés aux festivals de Cannes, Venise, Berlin ainsi que dans plusieurs expositions à travers le monde.
Traduction : Claire Valade
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