Joseph Kosinski aura eu la chance de faire ses débuts au grand écran en se retrouvant à la barre d’une production bénéficiant d’un budget estimé à plus de 200 millions de dollars. Si
Tron: Legacy ne retenait pas forcément l’attention pour la complexité de sa trame narrative, le spectacle dernier cri des studios Disney en matière de technologies numériques impressionnait néanmoins de par la façon étonnamment articulée dont il traitait des effets de notre dépendance de plus en plus marquée envers les différents produits, services et univers informatiques. L’opus de 2010 effectuait par la même occasion un formidable pied de nez au
Avatar de
James Cameron, qui, en bout de ligne, semblait faire parti davantage du problème que de la solution. Le tout en mettant tout de même sur pied une facture artistique on ne peut plus stylisée, pour laquelle le réalisateur sera même parvenu à retenir les services du duo français Daft Punk pour composer la bande originale qui rythmerait ses élans. Pour son second long métrage, l’Américain ne se sera pas tellement éloigné de cette recette dont il avait su prouver l’efficacité lors de son premier passage dans la cour des grands, des décors futuristes aseptisés et les éléments d’une nature (humaine) laissée à l’état brut s’opposant de nouveau ici à l’intérieur d’un régime technocratique. Kosinski se sera également tourné une fois de plus vers un artiste électro originaire de l’Hexagone pour la concoction de la trame musicale de son film, en l’occurrence M83, dont la popularité n’aura cessé de croître depuis la parution de ses deux derniers albums. Le problème toutefois dans le cas du présent Oblivion, qui se veut en soi une adaptation d’un roman graphique non publié imaginé par Kosinski, c’est qu’aucune de ses mécaniques scénaristiques ne laisse paraître la moindre trace d’authenticité.
Le film de Joseph Kosinski s’inscrit déjà dans cette vague de récits post-apocalyptiques ayant vu le jour au cours de la dernière décennie, laquelle semble vouloir revenir en force cette année après que la race humaine ait pourtant survécu aux sinistres prédictions du calendrier maya. La prémisse d’
Oblivion s’avère d’ailleurs tout ce qu’il y a de plus classique, partant de l’invasion d’une race extraterrestre venue faire la guerre à l’Homme dans le but de s’emparer de ses ressources. Un combat sans merci qui aura laissé la Terre dans un état lamentable. D’ici à ce que la planète bleue soit de nouveau habitable, ce qui reste de l’humanité aurait été rassemblé à l’intérieur d’une immense station spatiale. Jack (
Tom Cruise) et sa partenaire Victoria (
Andrea Riseborough) ont pour mission d’entretenir et de protéger les infrastructures mises en place à la surface pour assurer la survie de l’espèce. C’est d’ailleurs dans ce premier acte faisant écho au formidable
Wall-E d’Andrew Stanton qu’
Oblivion se montre définitivement sous son jour le plus convaincant, capitalisant d’une manière suffisamment inspirée sur les sentiments de solitude et de mélancolie se manifestant inévitablement lorsqu’il est question d’errance au coeur d’un environnement totalement dévasté. L’exercice se révélera toutefois beaucoup plus laborieux lorsque l’intrigue tournera subitement autour de la quête d’une vérité oubliée, laquelle poussera le protagoniste à revoir ses positions face à la mission qui lui a été confiée, et même à s’interroger sur sa propre identité. Une remise en question qui découlera de l’arrivée soudaine de Julia (
Olga Kurylenko), une femme hantant les rêves de Jack depuis un bon moment qui tombera littéralement du ciel lorsque la navette de sauvetage à bord de laquelle elle se trouvait s’écrasera au sol après avoir passé plus d’un demi-siècle en orbite autour de la Terre.
À partir de cet instant déterminant, chaque élément composant le scénario de Joseph Kosinski, Karl Gajdusek et Michael Arndt s’assembleront tel un collage réunissant les rouages les plus emblématiques de quelques-uns des récits de science-fiction les plus marquants des cinquante dernières années. Oblivion s’appropriera ainsi tour à tour la plante si précieuse qu’entretenait le personnage robotisé de
Wall-E, la zone interdite dissimulant une vérité des plus troublantes de
Planet of the Apes, les mesures de quarantaine et les outils d’exploration d’
Alien, l’hyper-sommeil prolongé de sa
suite, le clonage industriel de
Moon, la finale d’
Independence Day... Bref, la liste est longue et bien que les trois scénaristes réussissent à fondre chacun de ces emprunts en une intrigue n’étant pas totalement dépourvue d’intérêt, la moindre citation s’avère néanmoins si évidente qu’elle nous fait malheureusement voir automatiquement au-delà de sa fonction dans le présent exercice. Le travail sur le plan narratif se révèle tout aussi inégal, oscillant entre quelques moments d’une grande clairvoyance et d’autres où la symbolique de l’effort sera inutilement soulignée à gros traits, en particulier en ce qui a trait à cette image d’une humanité réduite à l’état de vague souvenir, prenant le forme ici d’un flashback répété abondamment suggérant le passé commun des personnages de Cruise et Kurylenko. Une séquence que Kosinski déconstruira et reconstruira de manière malhabile, et surtout beaucoup trop insistante. Le cinéaste fera néanmoins preuve de perspicacité dans la façon dont il opposera les relations liant le protagoniste aux deux femmes du récit, l’une qui se révélera préfabriquée et n’existera qu’au milieu de décors artificiels, tandis que l’autre, bien réelle, s’épanouira de nouveau au milieu d’une nature enchanteresse où l’Homme aura l’occasion de regoûter aux joies d’un passé révolu.
L’existence de ces Adam et Eve du futur vivant dans un jardin d’Éden suspendu au milieu de paysages dont la destruction aura permis à la nature de reprendre le dessus sur la civilisation humain sera ainsi chambardée lorsque l’un d’entre eux désobéira aux commandements de la voix venue des cieux. Un concept que relèvera avec aplomb le flair visuel de Kosinski, dont les élans d’une indéniable beauté esthétique baignent de nouveau ici dans les teintes de bleu, d’un blanc immaculé et d’orangé qui étaient omniprésentes dans
Tron: Legacy.
Oblivion s’inscrit du coup dans la démarche d’un cinéaste dont les intentions s’avèrent de mieux en mieux définis, à défaut d’être toujours transcendantes. Pour arriver à des résultats autrement plus mémorables, Kosinski devra concentrer davantage d’énergies à l’avenir sur l’élaboration d’un scénario un peu plus inusité. Le même constat peut être tiré du travail des musiciens Anthony Gonzalez et Joseph Trapanese, dont les morceaux nous donnent trop souvent l’impression d’avoir affaire à des versions remixées par Daft Punk des pièces qu’Hans Zimmer aura composé pour les plus récents opus d’un certain
Christopher Nolan. Malgré tout,
Oblivion demeure un spectacle visuel impressionnant réservant bien sa part de moments à couper le souffle. Pertinent, même si parfois déficient sur le plan scénaristique, c’est lorsque ses maîtres d’oeuvre adoptent une approche beaucoup plus posée - rappelant les séquences plus zens que défendait parfaitement
Jeff Bridges dans
Tron: Legacy - que l’univers cinématographique de Kosinsky se révèle le plus captivant. Il ne fait ainsi aucun doute que le réalisateur possède le talent pour atteindre des sommets vertigineux dans un cinéma de science-fiction fonctionnant de plus en plus de manière cyclique. Pour ce faire, Kosinski devra toutefois s’efforcer d’employer sa propre voix pour communiquer ses idées de grandeur.