Existe-t-il une façon d’avoir une relation saine avec le sport? De se donner corps et âme, que ce soit sur le terrain ou dans les gradins, sans que l’exercice ne devienne synonyme de manie ou d’obsession? Comme pour tout passetemps, comme pour toute profession, nous pouvons perdre les pédales de temps à autres : tandis que certains deviennent athlétiques, d’autres deviennent carriéristes. Que son équipe favorite se fasse lessiver ou que l’on échappe une promotion, on en ressent viscéralement les effets, et on l’exprime souvent à voix haute. N’étant aucunement un amateur de baseball, je peux tout de même comprendre la frénésie qu’un tel parallèle peut provoquer…
42 relate les exploits du joueur de baseball Jackie Robinson (
Chadwick Boseman) lors des débuts de sa carrière, de son séjour avec les Monarchs jusqu’à celui avec les Royals de Montréal avant de devenir le premier Afro-Américain à se joindre à une équipe des Ligues majeures, en l’occurrence les Dodgers de Brooklyn. Le présent exercice s’enracine dans cette histoire factuelle et la suit de manière simpliste. Le simple fait de vouloir mettre en images ce moment historique et symbolique s’avère périlleux. Est-il possible de naviguer ici en établissant et en soutenant à la fois le récit d’un simple joueur de baseball et celui du héros d’un peuple oppressé? Certes, une mission difficile…
C’est à
Brian Helgeland, plus connu pour son travail sur les scénarios de
L.A. Confidential,
Mystic River et
Man on Fire, que revint la tâche d’entreprendre pareil voyage. Malheureusement pour lui, son travail derrière la caméra n’arrive jamais à révéler l’ampleur et l’importance que recèle une histoire comme celle de Robinson, Helgeland ne parvenant au final qu’à créer un film moyen sur le baseball. L’expérience tombe particulièrement à plat lorsque le réalisateur tente de donner dans une verve plus historique, même s’il s’agit pourtant du principal, voire du seul, attrait de
42. Même si la lutte contre le racisme demeure le point de mire du film d’Helgeland, ce sont néanmoins les séquences de jeu exposant les talents d’athlète de Robinson qui triomphent au final. Helgeland utilise ainsi les scènes de lutte éthique de manière maladroite, lesquelles s’avère souvent si forcées et évidentes que leur déploiement ne s’en révèle que plus académique et caricatural.
Ce qui devient très clair en regardant l’opus d’Helgeland, c’est que l’on ne pourra jamais dire que
42 est un simple film de baseball, le seul nom de Robinson amenant en soi un tollé d’émotions en plus d’une qualité mythique. Ce ne sera jamais un
Moneyball de
Bennett Miller, un film qui n’avait pas de responsabilité sociale, même s’il racontait un événement important de l’histoire des ligues majeures.
42 se sert d’un événement clé de l’histoire américaine et ne peut aucunement s’en échapper. Parallèlement,
A League of Their Own de Penny Marshall demeure un exemple autrement plus convainquant démontrant qu’il est tout à fait possible de mêler sport et combat d’équité au coeur d’une même production.
L’empathie sert donc de tremplin à
42. Cette idée de comprendre le sentiment ou la pensée d’un autre se veut aussi bien la tactique employée par le président des Dodgers Branch Rickey (
Harrison Ford) pour arriver à ses fins que la ligne narrative du long métrage. Dans les deux cas, le but ultime est de faire de Jackie Robinson un symbole. Une image implacable, sans faute aux yeux d’un public encore vierge à l’idée de voir un homme de race noire dans une ligue réservée jusque-là à ceux de race blanche. Robinson se doit d’être un joueur à la fois hors pair et résistant à toutes attaques physiques et verbales. Helgeland saisit très bien ce concept, mais le démontre d’une manière si grossière et évidente - le personnage de Ford l’expliquera carrément à l’auditoire, jugé trop bête pour se souvenir de l’une des plus grandes atrocités du XXe siècle - que l’exercice en devient vite abrutissant.
De plus, même si tous les acteurs s’en tirent à bon compte, on voit facilement que les problèmes de
42 se retrouvent tous sur les pages de son scénario, les personnages n’étant enveloppés que du strict minimum de chair. L’entraîneur on ne peut plus détestable interprété par
Alan Tudyk en demeure le meilleur exemple, lui dont le rôle ne consiste qu’à crier des insultes racistes à la tête du futur joueur étoile. Ce manque de substance concerne même Robinson, dont le mythe demeure ici unidimensionnel, en espérant que sa seule légende soit assez forte pour informer d’elle-même le spectateur. Le nom est déjà si bien établi que l’on peut voir pourquoi Helgeland ne nuance aucunement son personnage; au final, il aurait pu remplacer ses personnages par des affiches de carton grandeur nature que le résultat aurait été le même. Un film sur une histoire avérée ne signifie pas qu’il ne faut pas en exposer les faits, car sans contexte, ceux-ci se mystifient et cèdent rapidement le pas au cliché.
Ce problème s’avère néanmoins intéressant puisqu’il est commun aux ouvrages biographiques. Une biographie se doit, contrairement à un film, d’être une représentation ou une vision de la vie de son sujet. Le lecteur doit du coup être exposé à un portrait complet. Au cinéma, du documentaire à la fiction, les réalisateurs choisissent souvent de laisser parler plusieurs voix à l’intérieur d’une même trame narrative, ou bien d’explorer des événements inconnus pour que le spectateur soit stimulé. Que l’on parle de
Zero Dark Thirty de
Kathryn Bigelow ou de
Last Days de
Gus Van Sant, ce choix narratif provoque l’effet désiré : le public part lui aussi à la recherche d’une vérité, qu’elle soit historique ou cinématographique. Une marque est laissée.
Dans la même veine, un chef-d’oeuvre comme
Malcolm X de Spike Lee est renommé et demeure toujours aussi puissant aujourd’hui puisqu’il adhère à cette règle. Certes, il baigne dans son propre classicisme et graisse les roues de ses trois actes. Par contre il parvient à capturer l’essence même du personnage. Il saisit parfaitement la complexité de ce titan de la lutte pour l’égalité raciale aux États-Unis - le simple fait d’imaginer
Malcolm X réalisé de la même façon que
42 me donne des frissons! Dans le cas présent, on voit très bien que cette représentation de Robinson est, sans le vouloir, une insulte à cet événement qui aura tout de même permis de briser la ligne imaginaire entre le terrain et ce peuple.
Finalement, si on enlève les violons stratégiquement placés et les répliques désormais légendaires,
42 demeure un film sans âme et sans véritable vocation. Un essai n’arrivant tout simplement pas à la cheville des exploits que Robinson aura accompli, et ce, autant sur le terrain qu’au nom d’un peuple qui aura tant souffert.