Police académie
Par
Mathieu Li-Goyette
Au Québec, nous aimons nos humoristes. Nous chérissons aussi secrètement les «lavages de linge sale en famille», les dialogues « entre hommes » et nous nous levons, café en main, tout en regardant les dernières crises de Claude Poirier apostrophant tour à tour les bévues de notre système judiciaires et les opérations criminelles à travers la province. Aussi peu vrai que ces stéréotypes semblent cerner les limites de notre identité provinciale, ils se sont avérés plus vrais que nature il y a maintenant de ça 3 ans lorsque Bon Cop, Bad Cop s'est retrouvé être le plus grand succès box-office de l'histoire du cinéma canadien... Si l'on observe la recette directement empruntée au film policier américain qui mettait de l'avant un Québécois, un Ontarien et au plein centre le sport national représenté par les deux métropoles de hockey en Montréal et Toronto, le film de Canuel dégageait un certain sens de l'humour primaire basé sur les différences, la vulgarité recherchée par ses dialogues et un estampillage assez demeuré des différences entre francophones et anglophones. Bref, le film était fort grossier malgré l'immense succès et la campagne publicitaire qui s'en suivit opposant les salles anglophones aux salles francophones (le film était essentiellement tourné autant en anglais qu'en français) où chaque spectateur - c'est là un subtile stratagème de marketing - d'un bord ou de l'autre de la province devait contribuer pour « gagner » contre le voisin de pays.
Certes, c'est après trois années que l'expérience se devait d'être répétée, mais cette fois-ci plus intelligemment et par un réalisateur certainement plus à l'affut de ses moyens et de l'imaginaire nationale dans lequel il se voyait patauger. Émile Gaudreault, s'il ne signe pas le meilleur alliage entre l'humour et le drame familial bien d'ici, est tout de même parvenu avec brio à ficeler un scénario fonctionnel et surtout habité par d'excellents dialogues. Alors que la mise en scène semble se prêter au jeu de l'agent double (transitions cachées, jeux de balayages intégrés aux décors en plus d'autres tours de passe-passe), chaque personnage recèle un acteur bien camouflé sous les traits grossiers d'archétypes. Michel Côté et Louis-José Houde en père et fils, flic et flic obligés par un supérieur sous pression (Jici Lauzon) de faire équipe lors d'une semaine de réconciliation père-fils pour faire sauter la soupape névrosée d'un avocat (Rémy Girard) à la charge d'un moustachu chef de motard (Jean-Michel Anctil): un film de duo policier typé dans lequel la médiation entre les gags et le drame, les fils et les pères est régit par un animateur affichant une inébranlable neutralité (Robin Aubert). L'intérêt majeur du film repose d'ailleurs dans ses moments de filiation où les pères (on y compte aussi Normand d'Amour) confrontent de front leur progéniture et où les dialogues mordants du film volent la vedette. Tant en alterné qu'en duel de reproches, Gaudreault se place visiblement dans la peau du personnage d'Aubert, prêt à rediriger le film en cas de violence, en cas où une vérité plus choquante que l'usuel discours autour du baby-boomariat ferait dérapage.
Car bien qu'il soit comique et bien amené, on ne retient pas grand chose de Père en flic mis à part cette escapade en camping. Mal rythmées et surtout basées sur un scénario d'une linéarité soporifique, les péripéties policières du film de Gaudreault réussissent à peine à se soutenir d'elles-mêmes et échouent là où le réel suspense côtoyant l'action aurait porté le film dans une catégorie à part du cinéma québécois commercial. Ce qui sauve plutôt De père en flic, c'est la complicité et l'interprétation brillante de ses comédiens. Louis-José Houde, que l'on avait déjà aperçu dans Bon Cop, Bad Cop, y tient un premier rôle efficace et assez bien composé pour que l'on oublie rapidement le travail de l'humoriste derrière un personnage qui souffre de dépendance affective envers son ex-petite amie (Caroline Dhavernas, qui supervise l'opération) est parfaitement épaulée par un Michel Côté de retour en pleine forme (lire: à l'inverse d'un Cruising Bar 2 très décevant). Suit une performance attachante de Robin Aubert dans un personnage plutôt banal à lequel il aura réussit à insuffler un tempérament rendant les scènes de médiation parmi les plus efficaces de tout le film. Si c'est peut-être celle de Rémy Girard qui déçoit le plus en père imbu de sa propre personne, son fils Patrick Drolet vole la vedette des enfants incompris et incarne avec nuance le rôle de l'adolescent rose de notre époque. Grande parade de vedettariat, De père en flic parvient néanmoins à se tenir cohérent de lui-même et à ne pas faire reposer sur nos grands comédiens d'ici ce qui aurait très bien pu se faire passer pour un long festival d'humour. Sur ce point, le défi est relevé et nous sommes bel et bien devant un flair et une écriture bien dosée.
Dédié à un public cible assez large entre baby-boomers et adolescents en crise, c'est justement là la cohérence de Père en flic de s'être penché sur une vedette de l'ère Broue et une autre de l'ère Musique Plus. Unificateur et avec un peu de chance un film qui lancera certains débats sur la paternité absente dans la société québécoise, le film de Gaudreault s'inscrit - devons-nous encore le soulever? - dans une très longue lignée d'oeuvres à la recherche d'un père. Des plus connues (C.R.A.Z.Y., Gaz Bar Blues, etc.) aux plus anciennes (Mon Oncle Antoine), le thème est récurrent dans un cinéma québécois qui, à la recherche de ses origines et de son réel imaginaire a somme toute peu évolué depuis les dix dernières années. Les valeurs de production ont renchéri ce qui y était déjà, mais c'est sans jouer les nostalgiques que nous pouvons affirmer être en grave panne à l'heure des nouveaux médias et d'un cinéma postmoderne que nous pennons à rattraper. Avec un peu de chance, ce deuxième immense succès au box-office parviendra à faire naître un engouement de plus en plus respectable alors qu'encore le dixième des billets vendus au Québec le sont pour des films d'ici qui occupe un pourcentage encore plus minime en terme de visibilité sur les écrans de la province. Sclérosé à la base de son génie créatif, nous accumulons les bonnes recettes, les bonnes exécutions et les bonnes adaptations littéraires alors que Dolan fait un tabac à Cannes, que le dernier Rodrigue Jean ou l'unique Demain de Maxime Giroux ne sont parvenus qu'à une dizaine de jours d'affiche dans une salle de cinéma qui n'existe même plus. Il ne faut pas se leurrer, le cinéma québécois est en crise et c'est dans l'intérêt que nous porterons sur ses oeuvres réellement originales qu'il survivra à travers le temps et surtout par-dessus l'art routinier dont il semble se contenter paresseusement.
Critique publiée le 10 août 2009.