DOSSIER : Le cinéma et ses conjurations
L’équipe Infolettre   |

Gangster Squad (2013)
Ruben Fleischer

Combattre le feu par le feu

Par Jean-François Vandeuren
Ce qu’il y a d’abord de réjouissant avec Gangster Squad, c’est de constater que Ruben Fleischer a finalement beaucoup plus d’ambition que ce qu’il nous avait laissé croire jusqu’à maintenant. Si le jeune cinéaste en aura ravi plus d’un en 2009 avec le fort amusant Zombieland, ce dernier aura malheureusement pris les choses un peu trop à la légère avec son deuxième opus, 30 Minutes or Less. Car si Fleischer aura alors su capitaliser sur la présence de comédiens généralement capables de faire oublier les ambitions trop modestes de pareille entreprise, le maître d’oeuvre aura failli à la tâche en ne parvenant à tirer davantage d’une prémisse somme toute intrigante qu’une simple enfilade de blagues grasses et assez peu mémorables. Le réalisateur aura vu beaucoup plus grand pour son troisième long métrage en s’attaquant au film de gangsters dans sa forme la plus traditionnelle, genre ayant déjà permis à plusieurs grands noms du cinéma américain de laisser leur marque, mais qui ne semble plus en mesure à présent de rallier le public comme à une certaine époque. Dès la séquence d’ouverture, Fleischer nous fera de nouveau part de son goût prononcé - et assumé - pour les démonstrations de violence aussi sordides que graphiques - qu’il exprimera ici de la même façon que s’il avait dû tourner une scène d’un film de zombies. Les couleurs du présent exercice seront ensuite clairement affichées à travers le personnage de Mickey Cohen (Sean Penn), mafieux aussi barbare qu’ambitieux dont la bouille de truand semblera tout droit sortie de Dick Tracy. Bref, une menace prenant forme à l'intérieur d'un univers cinématographique ayant évidemment beaucoup plus à voir avec la culture pulp que la reconstitution historique.

Ce qu’il y a ensuite de beaucoup plus ennuyeux avec Gangster Squad, c’est que Fleischer semble tellement déterminé à offrir une expérience visuelle immersive et exaltante, même en opérant à partir d’un canevas tout ce qu’il y a de plus classique, qu’il finit par oublier de capitaliser sur ce qui fait réellement la force d’une telle production, soit une intrigue bien ficelée et des personnages, certes, plus grands que nature, mais néanmoins capables de transcender les stéréotypes auxquels ils sont associés. Le Los Angeles d’après-guerre dans lequel nous plonge le réalisateur américain n’a en soi rien de la ville où tous les rêves se réalisent, comme le découvrira en début de parcours une jeune femme venue y faire carrière qui passera à deux doigts du viol dès son arrivée. Cohen rêve de faire de la cité des anges la nouvelle capitale américaine du crime organisé, tirant les ficelles en soudoyant les représentants d’un système judiciaire et de forces de police complètement corrompus tout en osant tenir tête à la mafia de Chicago. Après avoir commis un acte aussi téméraire qu’héroïque, le sergent John O’Mara (Josh Brolin) se verra confier par le chef de police Bill Parker (Nick Nolte) la tâche non négligeable d’amener Cohen au tapis. Une opération qui devra toutefois être menée dans l’ombre pour éviter que celle-ci ne soit compromise par quelques policiers véreux. Gangster Squad cachera dès lors de moins en moins ses intentions de calquer son scénario sur celui de The Untouchables de Brian De Palma. Tel un Eliott Ness revenu du front, O’Mara devra lui aussi assembler une équipe d’incorruptibles (campés par Ryan Gosling, Giovanni Ribisi, Anthony Mackie, Robert Patrick et Michael Peña) prêts à tout pour que règne enfin la justice.

Le raisonnement derrière Gangster Squad est bien évidemment de combattre le feu par le feu alors que ses héros devront se résoudre rapidement à recourir aux mêmes méthodes que le mal auquel ils seront confrontés s’ils désirent avoir une chance d’en venir à bout. Ce fameux badge dont O’Mara fera mention au départ, celui séparant tous les hommes en fonction de leur allégeance, devra être laissé cette fois-ci au fond d’un tiroir. Un concept rejoignant à bien des égards celui de « justice au-delà de la justice » mis de l’avant par tant de films de super-héros - chaque membre de l’escouade personnifiera d’ailleurs un attribut indispensable à son équilibre à la manière de The Avengers -, mais qui n’est pas non plus sans rappeler la condition avec laquelle devaient composer les personnages de Zombieland. Au-delà de toute la question de la survie, ces derniers se retrouvaient à employer des méthodes barbares pour dominer un environnement hostile tombant de plus en plus en ruines, mais aussi comme nouvelle - et souvent unique - source de divertissement. La horde de morts-vivants aura simplement laissé la place ici à une morale et une éthique devenant de plus en plus fragiles au coeur d’une région où criminels et policiers s’avèrent parfois difficile à distinguer. Gangster Squad semblera vouloir souligner d’une manière assez pertinente la mentalité adoptée par ses hommes de justice dans un contexte où ces derniers auront risqué leur vie outremer pour ensuite retrouver un pays n’étant plus à l’image des idéaux qu’ils auront défendus. Mais comme la plupart des pistes sur lesquels s’aventurent Fleischer et le scénariste Will Beall, celle-ci sera malheureusement tassée du revers de la main au profit d’une présentation hyper stylisée des faits d’armes de leurs protagonistes, dont ils se feront complices en ne remettant jamais leurs actions en question.

La principale faiblesse de Gangster Squad, c’est que chaque séquence semble si télégraphiée que l’ensemble finit inévitablement par paraître beaucoup trop mécanique, recréant les péripéties les plus éculées du genre comme si elles se devaient simplement de faire partie de la recette, et ce, indépendamment de l’arrière-goût qu’elles pourraient laisser après coup. Il en ressort un film exécuté par une équipe ayant visiblement fait ses devoirs quant à la façon dont fonctionnent les rouages de ce type d’intrigues, mais ne faisant jamais les efforts nécessaires pour tenter d’obtenir plus que la note de passage, voire offrir l’oeuvre plus aboutie que son impressionnante distribution pouvait suggérer. Fleischer nous trimballe ainsi à travers un scénario fade et sans surprise en tentant d’en cacher le manque flagrant de matière et d’originalité en sur-esthétisant les moindres élans de violence provenant d’un côté comme de l’autre en ne s’en faisant jamais trop avec les questions d’exactitude historique. S’il peut être parfois difficile de se sentir impliqué face au spectacle proposé par Gangster Squad, notamment en raison du manque de profondeur de personnages à peine rattrapés par les divers intérêts personnels qu’ils seront appelés à défendre, celui-ci demeure néanmoins un divertissement mené de façon suffisamment compétente pour que son visionnement entraîne un certain plaisir malgré tout. L’ensemble sera particulièrement aidée par les quelques pointes d’humour parfaitement intégrées venant ajouter quelques bosses à un terrain trop peu accidenté. Une telle histoire trouve évidemment une certaine résonnance dans l’actualité d’une Amérique venant à peine de mettre la main sur Oussama ben Laden. Dommage que Fleischer et Beall ne parviennent pas à capitaliser davantage sur les plus grandes forces de leur production. Des qualités dont ces derniers sont visiblement conscients, mais prennent trop souvent pour acquis.
5
Envoyer par courriel  envoyer par courriel  imprimer cette critique  imprimer 
Critique publiée le 12 janvier 2013.