Il est évident qu’en revenant sur l’affaire Michel Dumont,
Daniel Grou - dit Podz - et la scénariste Danielle Dansereau (une habituée de la télévision ayant travaillé, entre autres, sur les séries
Le négociateur et
19-2 et faisant ici ses premiers pas au cinéma) arpenteraient un terrain on ne peut plus fertile en histoires bouleversantes que nombre de cinéastes auront déjà défriché abondamment par le passé, soit celui des récits rapportant les tristes histoires - souvent vraies - d’individus ayant été victimes d’erreurs judiciaires. Une prémisse on ne peut plus classique que reprenaient encore récemment les Français
Vincent Garenq avec
Présumé coupable et
Roschdy Zem avec
Omar m’a tuer.
L’affaire Dumont s’inscrit néanmoins dans la continuité des deux premiers opus du Québécois (
Les sept jours du talion et
10½) de par l’intérêt que porte ce dernier à la notion de justice, soulignant de nouveau à gros traits la lourdeur et les multiples lacunes des systèmes judiciaire et social. Le combat solitaire d’un père voulant venger la mort de sa fille fait ainsi place ici à celui d’une femme issue d’un milieu modeste prête à tout pour prouver l’innocence de son mari, emprisonné pour un viol qu’il n’a pas commis. Une formule qui n’aura pratiquement pas changé d’un poil entre les mains de Grou et Dansereau. La présente histoire se prête néanmoins parfaitement à la démarche esthétique de Podz, qui nous plonge de nouveau au coeur d’un univers aussi sombre que réaliste dans lequel ses protagonistes seront continuellement à la recherche de ce rayon de lumière qui viendra finalement éclairer leur existence, et leur faire croire que tout n’était peut-être pas joué d’avance après tout.
Comme
10½, le troisième long métrage de Podz s’aventure à son tour dans les « bas-fonds » de la société québécoise, dans des environnements où s’accumulent les histoires d’horreur (négligence parentale, violence, pédophilie, harcèlement, etc.) sans que personne n’accorde trop d’importance à ces individus sans moyens ni éducation, bref, nés pour un petit pain. C’est dans ces quartiers que Michel Dumont (
Marc-André Grondin), un électricien ayant subi un accident de travail et cherchant depuis à subvenir comme il peut aux besoins de ses enfants, sera accusé d’avoir agressé sexuellement une femme, lui qui passera ensuite trois ans derrière les barreaux suite au peu d’efforts qui auront été déployés par l’appareil judiciaire dans son dossier. Sa nouvelle épouse Solange (
Marilyn Castonguay) fera dès lors des pieds et des mains pour que l’on porte un peu plus d’attention à sa cause. Il s’agit d’ailleurs du premier enjeu auquel s’attaque
L’affaire Dumont, soulignant à répétition l’indifférence et le mépris que porteront juges et avocats sur ces petites gens dont le sort semble importer peu. Une impression qui émanera d’abord des scènes d’un procès - reproduit textuellement - qui se sera avéré une vraie farce alors que tous les éléments qui auraient pu innocenter Dumont ou simplement impliquer qu’il aurait pu y avoir erreur sur la personne n’auront jamais été pris en considération en raison de la maladresse et de la tenue de certains témoins. Ce même sentiment ressortira également de cette séquence tout aussi révélatrice durant laquelle un gardien chargé de surveiller la cérémonie qui unira Michel à Solange préférera regarder du coin de l’oeil le mariage beaucoup plus prestigieux de Céline Dion et René Angélil sur son minuscule écran de télévision.
Ce passage se veut d’ailleurs l’une des quelques pointes d’un humour particulièrement amer que Podz intégrera à un ensemble autrement dominé par la gravité de son drame et le sentiment d’impuissance affligeant ses protagonistes. Grou et Dansereau se seront servis à cet effet de la situation déjà précaire de leurs personnages pour s’attaquer par la bande aux travers d’une justice visiblement inégalitaire. Une sous-intrigue prenant la forme d’une enquête personnelle tentant de remettre les événements en perspective et de trouver le vrai coupable sera alors mise en place pour arriver ultimement à ce constat que ce n’est pas tout le monde qui a les moyens (financiers, sociaux ou physiques) de faire briller cette présomption d’innocence que l’on semble si souvent pressé de tasser du revers de la main. Le tout servira également à révéler la lourdeur bureaucratique empêchant une telle injustice d’être corrigée dans des délais raisonnables - on pense à cette scène où le policier qui escortera Dumont jusqu’en prison lui dira qu’il est lui-même convaincu qu’il n’est pas coupable. Le réalisateur immergera de nouveau ses sujets dans cette même grisaille perpétuelle, renforcée par des décors et des costumes évoquant avec précision le milieu comme l’époque visités, et des images composées et assemblées de manière clinique - mais jamais mécanique -, qui seront d’autant plus rattrapées ici par la réalité (l’insertion du reportage présentant le vrai Michel Dumont à sa sortie de prison). C’est dans ces circonstances que brillera évidemment cette héroïne ordinaire dont l’amour et la détermination feront un contrepoids à la froideur et l’austérité de l’esthétique de Podz. Une première touche de chaleur humaine qui percera véritablement la muraille du cinéma de Grou tandis que les compositions du groupe post-rock montréalais Man an Ocean apporteront une touche plus légère, voire optimiste, à un tel univers.
Il est donc on ne peut plus clair avec ce troisième long métrage que le but premier de Podz est de faire régner la justice - ou plutôt de dénoncer les injustices - par l’entremise du médium cinématographique. Certes, l’objectif n’est pas de tenter de réparer ce qui s’est déjà produit, mais plutôt d’amener son public à réfléchir sur les conséquences parfois irréversibles pouvant découler du relâchement comme de l’incompétence de certaines figures civiles.
L’affaire Dumont donne à cet individu qui avait pourtant le coeur sur la main (que campe Marc-André Grondin avec une retenue désarmante) la chance que l’on se rappelle de son histoire au-delà de la simple manchette, elle qui est désormais cristallisée à jamais au grand écran, tout comme les noms des responsables de ce fiasco qui, au bout du compte, n’aura même pas été un balbutiement dans leur ascension vers les sommets du système judiciaire. Grou et Dansereau dressent ainsi un portrait global de la situation en s’attardant à l’ensemble des victimes, à commencer par la femme de Dumont, qui aura dû hypothéquer sa vie pour tenter d’avoir gain de cause, et ses enfants, qui auront souffert d’agressions durant leur séjour en foyer d’accueil. C’est d’ailleurs par l’enchaînement des points de vue intérieurs et extérieurs à ce type de milieux que le réalisateur aura pu dresser un portrait aussi habile que lucide d’une telle problématique en allant bien au-delà du cas dont il est principalement question. Même si le constat demeure au final peu réjouissant, le Québécois laisse tout de même paraître cette lueur d’optimisme qui manquait parfois cruellement à ses efforts précédents, signant en bout de ligne une oeuvre définitivement plus classique, mais qui s’impose néanmoins comme sa plus maîtrisée à ce jour.