DOSSIER : Le cinéma et ses conjurations
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Infidèles, Les (2012)
Collectif

Aller voir ailleurs

Par Jean-François Vandeuren
Visiblement, le thème de l’adultère occupera toujours une place de choix au coeur de la production cinématographique française. Tellement, en fait, qu’associer les deux thermes à l’intérieur d’une même phrase semble désormais tenir de l’évidence, voire du pléonasme. Mais comme pour une chanson que nous aurions fait jouer trop souvent, le disque se sera passablement usé au fil des ans et les drames humains que mettent en scène les scénarios traitant de ce sujet en particulier auront fini par souffrir d’une telle redondance. Les mêmes mots auront été prononcés jusqu’à ce qu’ils n’aient plus la moindre résonance chez le spectateur, les mêmes élans passionnés, les mêmes crises, auront été reproduits jusqu’à ce qu’ils puissent être confondus. Jean Dujardin participait il n’y a pas si longtemps à l’un de ces drames sentimentaux on ne peut plus convenus, lui qui avait accepté d’être la tête d’affiche du Un balcon sur la mer de Nicole Garcia. Une prémisse dans laquelle s’immisce de nouveau ici le comédien récemment oscarisé, mais par l’entremise d’une démarche créatrice avec laquelle il est plus que familier, renouant ainsi avec l’univers du sketch auquel il aura grandement contribué lors de ses débuts à la télévision. Le duo qu’il complète à l’écran avec Gilles Lellouche dans Les infidèles parle évidemment de lui-même. Mais bien que les récits dans lesquels ces derniers camperont successivement des individus se retrouvant dans des positions plus ou moins avantageuses permettent à l’effort d’exploiter une palette de tons étonnamment variée sur le plan dramatique, l’exercice dans son ensemble, comme c’est parfois le cas avec ce type de projets, demeure plutôt inégal.

L’initiative détonnera rapidement de l’inévitable entrée en matière dans laquelle les deux acteurs prêteront leurs traits à deux hommes mariés immatures et machos à l’extrême faisant sans gêne l’apologie de leur style de vie. Le tout tandis que nos deux gaillards arpenteront les recoins d’une boîte de nuit où ils séduiront sans efforts deux jeunes femmes qu’ils ramèneront par la suite à une luxueuse chambre d’un hôtel parisien pour des raisons plus qu’évidentes. Mais mis à part quelques intermèdes présentant nos différents infidèles (groupe auquel s’ajouteront momentanément Guillaume Canet et Manu Payet) tandis qu’ils seront pris la main dans le sac dans des situations on ne peut plus embarrassantes, les principaux sketchs de la production (auxquels les Michel Hazanavicius, Éric Lartigau, Fred Cavayé, Emmanuelle Bercot et Alexandre Courtès auront apporté leur expertise) exploitent étonnamment un fond beaucoup plus dramatique qu’humoristique. Ces segments exposeront tour à tour le pathétisme d’un employé de bureau au monosourcil proéminent  tentant désespérément de profiter d’un colloque pour avoir une aventure extraconjugale, d’un dentiste trompant son épouse avec une femme beaucoup plus jeune réalisant qu’il est incapable de suivre le rythme de vie de celle-ci, et d’un couple qui, après avoir écouté les histoires d’un ami, décidera de s’avouer ses aventures dans une atmosphère « saine et respectueuse ». Le tout dans le but de souligner la honte comme l’échec désolant avec lesquels devront composer les fautifs après avoir voulu assouvir leurs fantasmes dans des situations évidemment tout ce qu’il y a de plus classiques, mais qui ne se révéleront jamais complètement à l’image de leurs désirs, et ce, sans jamais avoir pensé aux conséquences de leurs actes.

Une telle diversité permettra évidemment aux deux têtes d’affiche de mettre en valeur leur polyvalence en entrant dans la peau de personnages dont les caractéristiques vont d’un extrême à l’autre, entre la caricature grandeur nature et le rôle exigeant davantage de nuance et de précision. Ce sera le cas notamment pour Dujardin lors d’une scène de ménage au cours de laquelle son jeu atteindra un niveau d’intensité que nous ne nous attendons pas ordinairement à retrouver dans pareille entreprise. Mais s’il réussit à déjouer nombre d’attentes en faisant part d’une profondeur et d’un discernement dont ce genre de produits est généralement dépouillé, Les infidèles n’arrive pas toujours à exploiter la forme plus concise de ses différents récits d’une manière qui soit totalement efficace ou pertinente. Nous nous retrouvons en bout de ligne devant une suite de cours métrages nous semblant à la fois beaucoup trop et pas assez travaillées, se démarquant de par l’étonnante gamme d’émotions et d’observations qu’ils cherchent à mettre en relief, mais souffrant en même temps de sérieux problèmes de rythme, et ce, même lorsque la situation exige qu’une séquence s’étire en longueur pour qu’en émane le malaise qui lui est inhérent. Une approche qui s’avère ainsi beaucoup plus payante en ce qui a trait au développement des personnages qu’à l’efficacité globale de la prémisse que doivent servir ces derniers. La personnalité de chacun comme les grandes lignes de son histoire seront d’ailleurs habilement révélées en l’espace de quelques gestes, de quelques répliques. Dommage que l’ensemble des éléments du présent collectif ne soient pas définis par un tel savoir-faire.

Il n’y a en soi aucun sketch qui soit dépourvu d’intérêt dans Les infidèles, chacun revisitant d’une manière suffisamment sensée et intrigante l’une des prémisses éculées que nous associons généralement au thème de l’adultère. C’est plutôt le manque flagrant d’originalité qui s’avère trop souvent dans ce cas-ci à double tranchant, n’arrivant pas toujours à justifier l’écart entre le festin promis - et convoité - et celui qui nous est proposé. Un manque d’audace qui aurait certainement pu être mieux camouflé dans un film à l’humour plus appuyé que dans un projet cherchant toujours à mettre sa morale bien en évidence avant toute autre considération. Il n’y a au final que les segments d’ouverture et de clôture mettant en vedette les deux mêmes personnages qui se rapprochent le plus du canevas espéré, en particulier celui réalisé par Jean Dujardin lui-même qui se joue avec désinvolture des clichés longs comme le bras que l’on associe habituellement à un voyage à Las Vegas avant de terminer sa course sur une finale aussi percutante que désopilante. Nous nous serions certainement attendu à beaucoup plus de la part d’un projet ayant réussi à réunir tous ces talents, et ce, aussi bien devant que derrière la caméra. En somme, Les infidèles, c’est l’histoire d’une production dans laquelle chaque réussite, qu’elle soit grande ou petite, semble toujours être accompagnée d’une part de pétards mouillés. L’exercice atteint, certes, la cible assez souvent pour que son visionnement soit justifié. Nous aurions simplement apprécié que chacune de ces frappes aboutisse près du centre un peu plus souvent.
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Critique publiée le 4 septembre 2012.