DOSSIER : Le cinéma et ses conjurations
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Premium Rush (2012)
David Koepp

Road Runner

Par Jean-François Vandeuren
Depuis le début des années 90, David Koepp aura su se créer une niche dans le grand Hollywood qui lui aura permis de participer à la scénarisation de plusieurs projets d’envergure (de Jurassic Park à Spider-Man en passant par Mission: Impossible) et, par la même occasion, de s’entourer de certaines des personnalités les plus en vue et les plus influentes du milieu. Toutefois, les quelques opus proposés par l’Américain à titre de réalisateur, que l’on pense à Stir of Echoes ou au fameux Secret Window, mettaient de l’avant des concepts, certes, on ne peut plus intrigants, mais qui finissaient toujours par souffrir d’une exécution malhabile et trop peu réfléchie. À première vue, Koepp semblera avoir de nouveau flairé la bonne affaire avec Premium Rush, dans lequel il tentera de créer un suspense enlevant autour de la réalité du métier de coursier dans les rues de New York, et d’encourager son auditoire à renouer avec la bonne vieille bicyclette en démontrant que celle-ci peut être une source d’émotions fortes aussi puissante que n’importe quelle voiture modifiée. Le cinéaste pouvait d’autant plus se fier sur un casting comptant en ses rangs un Joseph Gordon-Levitt poursuivant son ascension au coeur du star-système hollywoodien et un Michael Shannon fort d’une prestation grandiose dans le tout aussi excellent Take Shelter de Jeff Nichols. Tous les éléments semblaient donc réunis pour qu’un certain succès puisse être espéré. Des attentes confirmées par la décision du studio de déplacer la sortie du film des méandres du mois de janvier à la fin de la saison estivale, moment où ce type de productions est généralement capable de tirer son épingle du jeu et de causer une surprise aux guichets.

Il ne restait donc plus qu’à voir si Koepp serait en mesure de tirer un lapin de son chapeau ou si de mauvaises décisions scénaristiques viendraient également miner le présent exercice. Le moins que l’on puisse dire, c’est qu’il faudra se montrer patient avant de voir Premium Rush finalement commencer à gratter la surface de son potentiel. Un parcours parsemé d’embuches découlant d’une structure narrative brouillonne venant grandement saboter les effets de suspense carburant à l’adrénaline qui auraient dû normalement couler de source durant les deux premiers actes du film. La petite histoire de Wilee (Gordon-Levitt) se veut pourtant tout ce qu’il y a de plus simple. Le coursier devra effectuer une livraison à l’intérieur d’un délai de 90 minutes (la durée du film) tandis qu’il sera pris en chasse par un individu louche (Shannon) - qui se révélera être un policier cherchant à rembourser une importante dette de jeu - qui tentera par tous les moyens de mettre la main sur ledit colis. Le but sera alors de découvrir le contenu de cette précieuse enveloppe et les raisons qui pousseront le protagoniste à bien vouloir risquer sa vie pour mener la quête de quelqu’un d’autre. Koepp et son coscénariste John Kamps avaient pourtant la capacité d’offrir un spectacle exaltant à leur auditoire en structurant leur scénario de manière à ce que leurs péripéties s’enchaînent en temps réel. Premium Rush aurait pu ainsi atteindre aisément un niveau de tension comparable au culte Run Lola Run de Tom Tykwer. Mais comme c’est souvent le cas avec ce genre d’initiatives, les déboires de Premium Rush résultent en soi des piètres stratagèmes employés par les deux scénaristes pour établir les enjeux de leur récit.

Le duo parviendra difficilement à communiquer les éléments importants de sa prémisse au spectateur - pour lequel il n’a visiblement pas la plus haute estime. Koepp et Kamps entrecouperont ainsi à répétition la trame principale de leur film de longs et laborieux flashbacks devant révéler la cause de certaines tensions entre les personnages de même que la situation dans laquelle se trouvaient les autres individus concernés par toute cette histoire avant que Wilee ne prenne possession de cette fameuse enveloppe. Des méthodes qui demeurent synonymes de paresse créatrice, et ce, peu importe les circonstances cinématographiques, mais qui donneront également dans ce cas-ci une longueur d’avance au public sur le personnage principal par rapport à l’intrigue qui affaiblira considérablement l’impact de celle-ci sur le plan de l’efficacité dramatique. Même si Koepp fera constamment apparaître une horloge au bas de l’écran afin de situer son auditoire dans le temps du récit, le passage du temps comme tel n’est jamais traité d’une manière aussi prononcée qu’il devrait l’être dans Premium Rush. Le rythme auquel évolue l’effort est d’autant plus alourdi par des effets de style cherchant à imposer la cadence comme certains rouages narratifs propres au jeu vidéo, tels ces trajectoires se déployant à l’intérieur d’une carte virtuelle, la présentation de différentes options de route permettant ou non au protagoniste d’éviter certains obstacles, voire parfois une mort certaine, et l’identification visuelle des objectifs devant être atteints. Le tout s’ajoute à une liste d’idées ne produisant déjà pas toujours les effets escomptés dans un projet qui aurait pourtant pu s’avérer beaucoup plus fonctionnel si Koepp y était allé d’une facture visuelle un peu plus dépouillé et avait suivi un chemin un peu plus linéaire.

Koepp réussit néanmoins à se souligner à bien des égards, notamment de par les airs de dessins animés qu’il confère continuellement à son film, à commencer par cette référence claire aux Looney Tunes émanant du nom de son protagoniste et ce policier à vélo qui prendra notre héros en chasse à répétition avant de goûter inévitablement à sa médecine et de terminer sa course dans le décor. L’interprétation à la fois nerveuse et extravagante de Michael Shannon en flic corrompu de service nous ramènera quant à elle à la prestation légendaire que livrait Gary Oldman dans le Léon: The Professional de Luc Besson. Nous devons également admettre qu’une fois que toutes les pièces auront finalement été mises en places de la façon malheureusement impertinente décrite plus haut, Premium Rush laissera place à un dernier tiers enlevant comme l’ensemble aurait pu/dû l’être dès ses premiers balbutiements. L’histoire se répète donc pour David Koepp, dont les élans semblent de nouveau pris entre deux époques, voire ici entre deux médiums - un problème qui avait grandement affligé le scénario de Spider-Man -, lui qui continue de recourir à des méthodes désuètes et franchement déficientes pour faire avancer un projet qui avait pourtant tous les ingrédients nécessaires pour arriver à des résultats nettement plus captivants. Premium Rush est tout de même rehaussé par la prestation énergique de sa jeune tête d’affiche ainsi que par quelques moments forts éparpillés le long d’une progression en dents de scie. Koepp aurait dû s’inspirer davantage de son personnage principal, pour qui l’usage des freins demeure la manoeuvre la plus dangereuse lorsqu’il doit parcourir les rues de Manhattan à toute vitesse.
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Critique publiée le 24 août 2012.