DOSSIER : Le cinéma et ses conjurations
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2 Days in New York (2012)
Julie Delpy

L'âge de raison

Par Jean-François Vandeuren
Julie Delpy en aura surpris plus d’un en 2007 avec son deuxième long métrage à titre de scénariste et de réalisatrice. 2 Days in Paris se sera ainsi révélé une comédie des plus rafraîchissantes qui aura su mettre en valeur le sens du rythme comme les talents de dialoguiste de son instigatrice. Cette dernière en aura profité pour traiter des thèmes universels et intemporels du couple et de la famille dans une mise en situation dont l’efficacité comique relevait grandement des quiproquos découlant des barrières de la langue et de la culture, lesquelles allaient passablement chambouler la relation unissant les deux principaux personnages. La cinéaste aura repris sensiblement la même formule pour édifier les bases de ce deuxième épisode tout en en profitant pour inverser les rôles. Ce seront donc Marion (Delpy) et son conjoint Mingus (Chris Rock) qui accueilleront cette fois-ci la famille excentrique de la principale intéressée - en plus d’un invité qui n’était pas prévu au programme - dans leur appartement de Manhattan. Le tout à l’occasion du vernissage de la plus récente exposition de la photographe, lors de laquelle celle-ci a d’autant plus l’intention de vendre son âme au plus offrant. Un tel changement de partenaire - Rock succédant à Adam Goldberg - s’imposait dans ce cas-ci puisqu’il sera de nouveau question de ce premier contact entre l’amoureux de Marion et sa belle-famille vivant outremer, lequel ne se déroulera évidemment pas tout à fait comme l’Américain l’avait espéré. Delpy joue donc la carte du sequel d’une manière on ne peut plus classique avec 2 Days in New York, mais en ne perdant rien du charme ou de la vivacité qui avaient fait du premier film une réussite.

La cinéaste livrera d’abord un habile compte-rendu des événements s’étant déroulés durant les cinq ans séparant les deux opus par l’entremise d’un théâtre de marionnettes, nous indiquant que Jack et Marion auront eu un garçon, mais qu’ils sont désormais séparés et que celle-ci vit depuis quelques années une relation harmonieuse avec Mingus, qui a lui aussi un enfant issu d’un précédent mariage. Delpy se permettra même de ramener momentanément le personnage de la « fée humanitaire » interprétée par Daniel Brühl qui, cette fois-ci, se perchera sur la branche d’un arbre au coeur du Big Apple pour tenter d’en empêcher la coupe. Le tout en plus de boucler la boucle d’un concept d’universalité et d’interconnexion qui avait été brièvement mentionné dans 2 Days in Paris, mais que la réalisatrice avait fini par laisser en suspend. Autrement, le présent exercice tire une fois de plus ses éléments comiques comme dramatiques de la rencontre pour le moins turbulente entre deux cultures, dont découleront autant de malaises que de disputes et de malentendus qui finiront par isoler les deux moitiés du couple concerné, elles qui seront alors confrontées au premier grand défi de leur vie conjugale. L’aventure révélera de nouveau une facette de la personnalité de Marion avec laquelle son conjoint actuel n’était pas encore familier, ce qui l’amènera à se demander s’il connaît véritablement cette femme française avec qui il partage son existence. Le tout au coeur d’une situation où les enjeux auront évidemment bien changé, où il ne sera plus simplement question de folies de jeunesse à un moment où la fin d’une relation ne faisait que deux victimes. Le sujet s’avère beaucoup plus délicat lorsque les enfants font partie de l’équation.

C’est par l’entremise de cette réalité dans laquelle les actions auront des conséquences de plus en plus significatives, où tout le monde aura soudainement beaucoup plus à perdre, que la cinéaste réussira à amener son récit ailleurs, en plus de tirer merveilleusement profit de cette empreinte typiquement newyorkaise émanant de ses ambiances, de sa culture, de ses moeurs et du comportement de ses habitants, et détonnant passablement de celle du Paris de l’opus de 2007. Le contexte d’une autre ville qui ne dort jamais où l’héroïne de Delpy, qui semble toujours avoir du mal à calculer la portée de ses gestes et de ses mensonges, sera amenée à composer avec son âge une bonne fois pour toute. La réalisatrice gérera d’ailleurs tout aussi habilement ses intentions en y allant d’une démarche extrêmement démonstrative, mélangeant quelques-uns des traits les plus caractéristiques de la comédie française (avalanche de répliques, engueulades autour d’un bon repas) à ceux de sa contrepartie américaine, se définissant de son côté par un style beaucoup plus mordant et référentiel, voire absurde - tels ces dialogues à sens unique qu’aura Mingus avec cette pancarte de Barack Obama prenant autant la forme d’un modèle que d’un confident. Encore une fois, la cinéaste et interprète fera part de ses aptitudes à la comédie en parvenant à croiser et à opposer différents styles, différentes personnalités, pour en sortir une quantité considérable de moments hilarants, et ce, sans jamais avoir à atténuer la teneur des drames et des inquiétudes avec lesquels devront jongler ses personnages. Delpy atteint ainsi la cible en rehaussant le tout d’une mise en scène simple, mais néanmoins vive et stylisée, dont elle manipule les moindres élans avec une verve que nous aimerions certainement retrouver plus souvent dans ce genre de productions.

À bien des égards, le premier contact que nous aurons avec 2 Days in New York nous donnera l’impression de n’avoir affaire qu’à une vulgaire copie de son prédécesseur. Mais bien qu’il soit vrai que Julie Delpy marche souvent ici dans les traces qu’elle avait laissées il y a cinq ans, c’est en ayant néanmoins toujours en tête de permettre à ses personnages de progresser et de réagir différemment face à des situations qu’ils avaient déjà rencontrées par le passé. Les manifestations d’une maturité tardive qui, dans la plupart des cas, débuteront avec la capacité des principaux sujets à se remettre en question et à ne plus se résoudre à faire demi-tour au moindre petit accrochage. 2 Days in New York se révèle ainsi un prolongement tout a fait sensé et adroit d’un univers qui, sans l’exiger, demande tout de même au spectateur d’avoir fait préalablement ses devoirs avant d’entamer son visionnement, étant données ses constantes références au film de 2007. Le film de Julie Delpy profite du coup à son tour d’une galerie de personnages secondaires on ne peut plus délectables, en particulier le père de Marion (interprété par Albert Delpy, père véritable de la réalisatrice), mais aussi sa soeur (Alexia Landeau) et son copain se croyant plus branché qu’il ne l’est réellement (Alexandre Nahon), ces derniers agissant d’ailleurs cette fois-ci à titre de coscénaristes. Le tout tandis que Delpy et Chris Rock (étonnant dans ce rôle beaucoup plus sérieux) s’avèrent à la fois touchants et joyeusement déjantés. Comme ce fut assurément le cas pour la cinéaste et ses acolytes durant le développement du projet, nous ne pouvons qu’être ravis de renouer avec ces individus des plus colorés dont les qualités et les travers nous avaient immédiatement séduits la première fois.
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Critique publiée le 17 août 2012.