DOSSIER : Le cinéma et ses conjurations
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Mother of Tears (2007)
Dario Argento

Mauvaise magie

Par Alexandre Fontaine Rousseau
Conclusion d'une trilogie entamée en 1977 avec le classique Suspiria, Mother of Tears est le premier film de Dario Argento à provoquer un quelconque engouement depuis belle lurette. Même parmi les fidèles, le consensus général veut que le cinéaste italien ait perdu le nord quelque part entre le Phenomena de 1985 et sa collaboration avec George A. Romero Two Evil Eyes en 1990 ; sondant depuis les abysses de l'auto-caricature et de la médiocrité, l'oeuvre du maestro a perdu la magnificence décadente qui la caractérisait autrefois. Argento espérait-il en commettant une suite à Inferno renouer avec la démence inspirée de ses meilleurs films? À en juger par la manière spectaculaire dont ce dernier opus de la saga des trois mères s'effondre, rien n'est moins sûr. Car, en quelques minutes à peine, tout espoir d'un retour à la forme s'évanouit dans l'esprit du spectateur pour laisser place à la consternation la plus totale : Mother of Tears est une farce monumentale exacerbant les pires tendances du Argento des dernières années. Même à son apex, son cinéma oscillait certes entre le ridicule et le génie. Mais ce nouveau cru culmine avec un plan si risible et étrange qu'en rétrospective l'hypothèse de la comédie ne paraît pas complètement tirée par les cheveux. À la limite, le film pourrait être la réaction exaspérée d'un réalisateur âgé aux hordes de fanatiques qui exigeaient avec insistance une conclusion à sa plus populaire série : mais compte tenu sa récente feuille de route, on est plus enclin à penser qu'il s'agit d'un nouveau chapitre désespérant dans l'épique déchéance de cette légende.

Ce que démontrait Suspiria, et plus encore Inferno, c'est qu'un film fantastique peut fonctionner en étant fondé davantage sur l'enchaînement à la limite discontinu de séquences à caractère surréaliste ou onirique que sur une progression narrative classique. Inferno, plus particulièrement, annonçait chez Argento l'oblitération du récit au profit d'une « anti-narration » impressionniste; et c'est exactement l'inverse qui est proposé dans le lourd Mother of Tears, riche en séquences d'exposition indigestes mais complètement à court d'images frappantes. Le scénario, véritable capharnaüm de liens ténus entre les divers épisodes de la série, multiplie les révélations mélodramatiques sans consistance alors que la mise en images, elle, s'avère complètement insipide: direction photo exécrable, décors anonymes, montage flasque et cadrages sans invention. D'un style baroque marqué par sa démesure et son esthétisme léché, le cinéma d'Argento est passé à une facture télévisuelle morne ; même les séquences gore ressemblent aujourd'hui à des obligations contractuelles, dépourvues de cette imagination sadique qui avait fait la renommée du cinéaste dans les années 70. Le Dario de l'an 2000 leur préfère la fine pointe des effets spéciaux numériques italiens, d'une qualité et d'un goût particulièrement douteux.

C'est à cette façade délirante que se résume malheureusement Mother of Tears. Alors que l'incohérence était assumée dans Inferno, elle paraît ici complètement involontaire: ce n'est plus un moyen de rapprocher rêve et cinéma, mais plutôt la conséquence d'une écriture chancelante qui fait de chaque réplique un petit trésor d'humour accidentel. Même si la direction d'acteurs n'a jamais été le fort d'Argento, force est d'admettre qu'elle s'avère dans le cas présent particulièrement catastrophique : sa pauvre fille Asia semble complètement perdue, affichant tout au long du film un air éberlué cadrant somme toute bien avec l'atmosphère de confusion qui règne sur la procession. Poursuivie par un méchant ouistiti - menace récurrente majeure, croyez-le ou non - et par une poignée de sorcières gothiques d'opérette, elle erre d'une scène à l'autre en découvrant de manière assez ambiguë des pouvoirs « magiques » qui - bien qu'ils constituent un enjeu majeur du scénario en théorie - ne lui servent strictement à rien en pratique. Le reste de la distribution ne se tire guère mieux d'affaire ; dans Mother of Tears, chaque figurant joue faux et chaque personnage majeur est assassiné avant d'avoir pu contribué à la progression d'un récit qui se termine en queue de poisson avant même d'avoir pu débuter.

Bref, Mother of Tears est un film de Dario Argento centré systématiquement sur les faiblesses les mieux documentées de son auteur. Complètement dépourvu de style, il met en valeur un scénario défaillant ainsi qu'une série d'interprétations aberrantes - au détriment de la création d'atmosphère et de la mise en scène virtuose qui ont contribué à sa réputation de maître du macabre. Le maestro n'est plus que l'ombre de lui-même, et cette première tentative avouée de retour aux sources (la sortie de la seconde, intitulée Giallo en l'honneur du genre qu'il l'a rendu célèbre, est prévue pour 2009) se solde à notre grand dam par un échec retentissant : Mother of Tears ne sert au mieux qu'à nous rappeler par une série de contre-exemples tristement convaincants toutes les qualités qui faisaient la force de ses meilleures oeuvres. Argento pousse l'audace jusqu'à se piller lui-même de manière fort maladroite, ressuscitant une scène de Phenomena au coeur d'une finale qui résume bien le film: long, ennuyeux mais surtout informe. Après avoir élaboré et pensé ce film durant plus de vingt ans, une première version du scénario datant d'aussi loin que 1984 et réuni pour l'occasion toute sa famille, il faut se rendre à l'évidence : Argento a raté son rendez-vous avec la pertinence, accouchant en bout de ligne d'une décevante conclusion à une saga majeure de l'histoire du cinéma d'horreur.
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Critique publiée le 8 juillet 2008.