DOSSIER : Le cinéma et ses conjurations
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Warrior (2011)
Gavin O'Connor

La vie est un sport de combat

Par Jean-François Vandeuren
Le drame sportif ayant pour thème les disciplines de combat aura connu une certaine résurgence au cours des dernières années, prenant différentes formes, mais se conformant surtout à des sceaux de qualité particulièrement inégaux. Ainsi, entre une série d’exercices puérils à la Never Back Down et les élans nostalgiques de Rocky Balboa, auront su s’imposer les beaucoup plus substantiels The Wrestler de Darren Aronofsky et The Fighter de David O. Russell. Ces deux opus proposaient d’ailleurs une immersion similaire au coeur d’une Amérique évoluant dans l’ombre de rêves brisés ou qui ne se seront jamais concrétisés. Deux parcours au bout desquels les protagonistes obtenaient une ultime chance de (re)goûter à une gloire perdue ou jusque-là inaccessible. C’est dans ce genre de décors peu enchanteurs que s’amorcera le présent Warrior de Gavin O’Connor alors que Tommy Conlon (Tom Hardy) fera irruption un soir dans un vieux quartier de Pittsburgh pour rendre visite à son père Paddy (Nick Nolte), qu’il n’avait pas vu depuis que sa mère et lui avaient fui les abus physiques et les problèmes d’alcool de ce dernier il y a quatorze ans. Ancien champion de lutte, Tommy demandera à son paternel de l’aider à reprendre l’entraînement en vue d’un important tournoi d’arts martiaux mixtes devant avoir lieu à Atlantic City. Il sera toutefois très clair dès le départ qu’une telle collaboration ne cache aucun désir de réconciliation de la part de l’athlète. Au même moment, à Philadelphie, le frère de Tommy, Brendan (Joel Edgerton, que nous avions pu voir dans l’excellent Animal Kingdom de David Michôd), un professeur de physique n’arrivant plus à joindre les deux bouts, débutera lui aussi une mise en forme à plus petite échelle. Le hasard faisant bien les choses, Brendan en viendra lui aussi à prendre part à la compétition.

Cela ne prend évidemment pas un génie pour deviner que le présent effort se terminera par un affrontement ô combien symbolique - et épique - entre les deux frangins, entre cet ancien militaire ayant la rage au coeur et se tenant garant de l’avenir de la famille d’un soldat mort au combat, et un père devant de nouveau enfiler les gants afin de défendre la maison familiale contre l’institution financière qui menace de la saisir. C’est ici que le récit de Warrior se révélera beaucoup plus significatif que celui de combattants devant simplement participer à une série d’affrontements alors que l’arène deviendra progressivement le centre d’une Amérique où l’homme doit désormais se battre corps et âme pour continuer d’avancer, et surtout éviter de reculer. Une volonté de remettre sa vie sur le droit chemin qui sera d’autant plus incarnée par les résultats des deux plus importants fléaux ayant ravagé le pays au cours de la dernière décennie, soit la guerre en Irak et la crise économique. Deux frères qui continueront également de payer pour certaines erreurs du passé, prenant la forme d’un père militaire dont les conséquences de l’alcoolisme auront altéré l’évolution de ses progénitures, eux qui seront d’ailleurs séparés jusqu’à l’ouverture du fameux tournoi alors qu’O’connor nous présentera leurs progressions respectives par l’entremise d’un montage parallèle n’étant pas sans rappeler celui qu’exploitait Ryoo Seung-wan dans Crying Fist. Une initiative qui permettra de mettre en évidence les nombreuses distinctions entre ces deux personnages, ces deux univers, voire ces deux approches face à un même défi, Tommy personnifiant une force brute terrassant ses adversaires en un temps record, tandis que Brendan s’avérera un combattant beaucoup plus méthodique, incarnant les qualités d’une Amérique idéalisée ayant dû encaisser plusieurs coups sournois, mais qui parviendra toujours à se relever et à triompher d’une façon ou d’une autre.

C’est également à partir de cette délimitation entre ces deux mondes que le cinéaste américain pourra démontrer toute la pertinence de son approche en forgeant deux factures visuelles bien différentes l’une de l’autre. O’Connor surplombera ainsi d’une constante grisaille les lieux fréquentés par Tommy alors que celui-ci s’entraînera à la dure dans des endroits où le passage du temps semblera avoir laissé des marques indélébiles. Le tout en privilégiant l’utilisation de gros plans et de mouvements de caméra plus instables afin de mettre en valeur le caractère froid et désincarné du personnage tout comme les nombreuses tensions entre lui et son géniteur. À l’opposé, le réalisateur ira d’une mise en scène beaucoup plus soignée pour aborder la situation de Brendan, présentant un univers beaucoup plus harmonieux et confortable, mais dont la stabilité menace de s’effondrer à tout moment. Deux styles que le réalisateur finira par croiser avec tout autant de savoir-faire à mi-chemin de l’engagement, lorsque les protagonistes seront réunis pour la première fois en un même lieu. Le tout à la suite d’une inévitable séquence de montage d’entraînement plutôt maladroite - l'un des rares faux-pas de l’exercice, d’ailleurs - qui viendra scier l’opus en deux, pavant la voie pour une trépidante seconde demie au cours de laquelle les différents conflits seront évidemment appelés à se régler, ou du moins à évoluer vers un possible terrain d’entente. Le réalisateur en profitera pour révéler des talents de raconteur qu’il n’avait pas toujours été en mesure de mettre en valeur par le passé, enveloppant son propos sociopolitique d’une trame dramatique on ne peut plus captivante et de scènes de combat aussi brutales que saisissantes faisant bon usage des techniques de montage modernes tout en réussissant à intégrer quelques élans un peu plus classiques au mélange.

Nous pourrons, certes, attaquer le cinquième long métrage de Gavin O’Connor en lui reprochant son manque total de réalisme alors qu’il est plutôt insensé de croire qu’un milieu aussi violent inviterait un jour ses combattants les plus féroces à monter plus d’une fois dans l’octogone au cours d’un même weekend. Mais comme pour le haut degré de prévisibilité entourant le cheminement de ses protagonistes et le caractère particulièrement répétitif de la seconde moitié du film, le cinéaste parviendra à faire oublier de telles considérations en élevant continuellement les enjeux et en soulignant d’une manière toujours très posée chaque instant d’accalmie précédant la prochaine tempête. Le tout se reflètera également dans le niveau d’empathie qu’O’Connor réussira à susciter à l’endroit de ses personnages. Il sera évidemment facile de s’identifier à un individu comme Brendan, dont les problèmes seront les mieux définis en plus d’être les plus communs du lot, et dans la peau duquel se glisse un Joel Edgerton tout ce qu’il y a de plus poignant. Nous serons tout aussi portés à avoir à coeur le parcours de ce Tommy massif et vulnérable, personnifié par un Tom Hardy des plus fascinants, et même celui de ce père ayant commis l’irréparable à la recherche d’un dernier pardon, auquel un Nick Nolte au sommet de son art confère une humanité que nous savons difficile à accepter. Warrior réaffirme également le goût de Gavin O’connor pour les personnages sous-estimés, comme il l’avait démontré avec son portrait de l’équipe de hockey américaine ayant remporté l’or aux Olympiques de 1980 dans Miracle, lui qui se permettra d’ailleurs un savant clin d’oeil ici à Rocky IV. Une préférence dont ce dernier se servira d’autant plus au final pour faire part de son optimisme - ou de son pessimisme - quant à la résolution des deux débâcles avec lesquelles doit actuellement composer le pays de l’Oncle Sam.
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Critique publiée le 8 septembre 2011.