Comme avait su le démontrer - dans un registre beaucoup plus informatif - le remarquable
Traffic de
Steven Soderbergh, la guerre contre la drogue et les individus en assurant la circulation est loin d’être gagnée. La question se pose même à savoir si celle-ci prendra fin un jour, qu’elle soit remportée par l’un ou l’autre des deux partis. Probablement pas, répondront les plus réalistes. Car la pression exercée par les autorités sur les criminels et les moyens pris par ces derniers pour effectuer à leur insu l’importation comme le trafic local de stupéfiants ne pourront que continuer à faire monter exponentiellement la tension entre les deux factions. À l’écran, ce combat sans merci est dépeint la plupart du temps du point de vue des forces de l’ordre, tandis que l’on réserve, bien évidemment, les rôles d’antagonistes à ceux faisant rouler ce marché aussi illégal qu’extrêmement lucratif. Il est beaucoup plus rare de tomber sur un récit raconté de la perspective d’un personnage n’entretenant aucun lien avec ce genre de milieux. L’idée n’est néanmoins pas totalement dépourvue de sens lorsque nous considérons le nombre de victimes qu’auront faites ses affrontements parmi la population civile, en particulier dans la région de Tijuana au Mexique. Le cinéaste
Gerardo Naranjo et son coscénariste Mauricio Katz auront certainement trouvé un cas idéal chez celui de cette femme ayant remporté un concours de beauté en 2008 que l’on inculpa pour avoir supposément participé aux frasques d’un gang local. Le réalisateur entraînera ainsi son personnage (fictif) dans une violente descente aux enfers afin d’illustrer les répercussions de telles activités sur les gens ordinaires comme l’ampleur d’un problème qui est loin d’évoluer à l’abri des regards.
La triste histoire de Laura Guerrero (
Stephanie Sigman), c’est celle d’une jeune femme s’étant tout simplement retrouvée au mauvais endroit au mauvais moment. Nous ferons la connaissance de cette dernière alors qu’elle et son amie Suzu passeront les auditions pour un concours de beauté local. Nous suivrons le duo jusqu’à la fin de cette journée jusque-là tout ce qu’il y a de plus banale, alors que Laura tentera de convaincre sa consoeur de quitter une boîte de nuit assez louche largement fréquentée par des agents de la paix dont les agissements n’auront rien pour les mettre en confiance. Mais avant qu’elles ne puissent quitter les lieux, l’endroit sera pris d’assaut par un groupe de criminels qui fera feu sur tout ce qui bouge. Au lendemain de cette nuit pour le moins mouvementée, Laura cherchera tant bien que mal à retrouver Suzu, de qui elle fut séparée au moment de la fusillade. Mais en croyant recevoir l’aide d’un agent de police, celle-ci se retrouvera plutôt parmi les responsables de cette scène des plus violentes qui, aussitôt, lui promettront de l’aider à retrouver la trace de son amie si, en échange, elle accepte d’accomplir certaines tâches pour leur compte dans leur combat contre l’ordre établi. Des exigences auxquelles Laura ne pourra que se plier, elle qui craindra qu’il n’arrive autrement malheur à son père et à son jeune frère. Elle verra alors les malfrats user d’arguments ô combien persuasifs pour convaincre les dirigeants du concours de la réintégrer dans la compétition, eux qui auront visiblement une bonne idée de la façon dont il pourrait tourner un tel événement à leur avantage.
L’approche esthétique très crue du cinéaste mexicain (à qui nous devons également l’excellent
Drama/Mex de 2006) viendra évidemment accentuer la noirceur comme la crasse dans lesquelles baigne continuellement cet univers filmique, passant par la direction photo brute et réaliste de Mátyás Erdély et son utilisation plus que pertinente de la caméra à l’épaule pour illustrer le parcours parsemé d’embuches de cette héroïne impuissante qui aurait assurément aimé ne s’être jamais retrouvée dans pareil pétrin.
Miss Bala ne fait donc pas dans la dentelle, et ce, autant sur le plan visuel que dramatique, laissant planer une menace constante au-dessus de la tête de Laura comme de celles des trafiquants auxquels elle sera forcée d’obéir. Naranjo et Katz auront d’ailleurs eu l’excellente idée de ne raconter leur histoire que du point de vue de leur protagoniste, limitant ainsi habilement notre regard par rapport à la situation dans son ensemble. Une initiative que le réalisateur édifiera en faisant fi de bon nombre des stéréotypes d’usage, soulignant abondamment le caractère impitoyable de ce milieu sans toutefois chercher à le déshumaniser, l’associant à l’opposé à un certain esprit de groupe en mettant l’emphase sur quelques événements morcelés plutôt que sur les enjeux dont ils découlent. Laura se retrouvera au coeur de ces moments de tension en étant de plus en plus consciente du fait qu’elle ne pourra plus rien faire désormais pour les éviter. Une pensée qui se reflètera également dans la relation qu’elle entretiendra avec le chef de clan Lino Valdez (
Noe Hernandez), de qui elle se rapprochera d’une manière tout aussi désarmée, elle dont l’esprit semblera de plus en plus quitter l’enveloppe corporelle à mesure que progressera le récit.
Cette notion sera principalement évoquée dans chacune des scènes où nous verrons Laura prendre part à ce fameux concours de beauté auquel le titre fait référence, traînant mollement sa carcasse sur scène, incapable de prendre part aux différentes épreuves de cette compétition dont elle se sera évidemment complètement désintéressée. Une série de séquences qui rendront d’autant plus aberrante cette victoire on ne peut moins méritée, laquelle servira, certes, un but bien précis. Stephanie Sigman incarne à la perfection cette femme désabusée obéissant aveuglément aux individus la tenant en otage psychologiquement, accomplissant tout ce qui lui est demandé en sachant pertinemment ce qui se trame depuis des lustres dans sa région natale. Celle-ci posera bien un geste ultime en fin de parcours pour tenter de renverser la vapeur afin de prévenir une autre explosion de violence, mais en vain. Un geste qui, ironiquement, lui attirera plus d’ennuis que tout autre. Cette sensation de ne plus avoir aucun contrôle sur sa propre destinée, Gerardo Naranjo l’illustre ici de brillante façon, cherchant visiblement à susciter un profond sentiment de frustration chez son auditoire. Une insistance pour le moins significative qui révélera davantage toute l’ampleur du problème qu’une simple histoire de balle perdue n’aurait jamais pu le faire. Naranjo s’immisce ainsi de façon virulente dans ce monde où un individu n’est pas toujours libre de choisir le côté qu’il devra servir. Le cinéaste mexicain signe une oeuvre marquante autant de par l’urgence de la situation qu’elle décrit que la férocité de sa démarche artistique, cachant sous ses airs sales une étonnante précision dans la gestion des émotions et de la réflexion qu’elle désire motiver chez le spectateur.