Les intrigues ayant pour point de départ une grave erreur judiciaire possèdent généralement tous les ingrédients nécessaires pour tenir le spectateur en haleine du début à la fin, et surtout pour susciter une forte réponse émotionnelle chez ce dernier. On pense, entre autres, au cas de cet individu accusé d’un crime qu’il n’a pas commis qui sera entraîné bien malgré lui dans un voyage au bout de l’enfer, au travail de ses alliés qui chercheront par tous les moyens à démêler le dossier et à prouver son innocence, et à une machine juridique dont le refus de reconnaître ce qui paraîtra pourtant si évident aux yeux du public en fait déjà un parfait antagoniste. Des cas classiques, d’autant plus inspirés de faits vécus, nous renvoient à des oeuvres telles
In the Name of the Father de Jim Sheridan,
The Hurricane de Norman Jewison ou, plus récemment, au
Omar m’a tuer de
Roschdy Zem. Une bonne dose d’ingrédients dramatiques et spectaculaires est, certes, souvent ajoutée à la recette afin de renforcer le suspense et d’ajouter une valeur de divertissement supplémentaire à l’ensemble. Pour son second long métrage,
Vincent Garenq aura tenté sa chance en s’aventurant au coeur de ce genre d’initiatives soulevant généralement les passions, reprenant avec fougue les éléments énumérés plus haut et des méthodes ayant toujours fait le succès du genre, mais par l’entremise d’une mise en scène qui, pour sa part, propose un portrait beaucoup plus intimiste, mais aussi beaucoup plus effectif, du sort que subira son sujet.
Présumé coupable nous entraîne ainsi dans une suite de situations souvent insoutenables en favorisant une approche beaucoup plus réaliste que dramatique.
L’affaire à laquelle s’intéresse le présent exercice figure certainement parmi les plus gros scandales à avoir secoué la justice française au cours des dernières décennies, soit celle qui aura envoyé derrière les barreaux Alain Marécaux (
Philippe Torreton) - dont le journal aura servi de base au film de Vincent Garenq - après que ce dernier et sa femme aient été formellement accusés d’avoir pris part à un réseau de prostitution juvénile et d’avoir battu et violé une adolescente. Les autorités feront ainsi irruption au domicile des Marécaux au beau milieu de la nuit pour mettre le couple aux arrêts, à la grande stupéfaction des propriétaires des lieux, ne comprenant visiblement pas ce qui est en train de se passer. Ce qui suivra sera le long combat d’un homme qui tentera de faire entendre raison à un système qui, malgré une preuve ne tenant tout simplement pas la route, aura fait abstraction de la présomption d’innocence de l’inculpé pour en faire un véritable monstre. Une lutte qui durera des années, au cours desquelles Alain Marécaux verra sa mère se laisser mourir de chagrin, perdra sa crédibilité de même que son étude à titre d’huissier de justice, sera séparé de sa femme et de ses trois enfants, en plus de devoir vendre la maison familiale et pratiquement tout ce qu’il possède afin de régler la note auprès de son avocat.
Présumé coupable expose le récit d’un homme brisé, dont Garenq ne nous fera bien évidemment jamais douter de l’innocence, à qui la « justice » aura tout enlevé au cours d’un procès d’un ridicule incommensurable mené par un juge aussi obstiné qu’inexpérimenté.
À l’instar de ses prédécesseurs, Vincent Garenq alimentera lui aussi sa trame dramatique en insistant sur les sentiments de frustration et d’impuissance affligeant de plus en plus son protagoniste. Un désespoir grandissant qui poussera d’ailleurs Marécaux vers plusieurs tentatives de suicide avant que ce dernier ne décide de recourir à la grève de la faim pour que son cri d’alarme soit finalement entendu en haut lieu et que ce calvaire insensé puisse enfin se terminer. Le cinéaste français nous confrontera du coup à des images qui ne seront pas sans rappeler celles que l’inoubliable
Hunger de
Steve McQueen avait déjà imprimées de façon indélébile dans nos esprits en 2008. Ce qui rend la formule aussi frappante que pertinente dans le cas de
Présumé coupable, c’est cette façon dont la caméra de Garenq ne s’éloigne jamais d’Alain Marécaux, l’incluant dans la totalité des séquences du film afin de créer une proximité rarement égalée avec un individu prisonnier des rouages d’une telle histoire. Le tout en réussissant à mettre suffisamment en relief les événements se déroulant loin du personnage principal lors des scènes de rencontres avec son avocat et les membres de sa famille, lesquelles ne feront néanmoins qu’obscurcir le trou noir dans lequel Marécaux continuera de s’enfoncer bien malgré lui. L’approche est parfaitement soutenue également par une utilisation répétée et on ne peut plus habile de la prise de vue subjective, nous faisant voir l’évolution - ou plutôt la détérioration - de la situation à travers le regard de Marécaux dans des moments où ce dernier sera bien souvent à son plus faible, créant une atmosphère suffocante nous faisant ressentir tout le poids de l’isolement comme celui d’une vie qui s’écroule.
Le « bonne année » que criera à répétition un Alain Marécaux particulièrement éméché le soir du nouvel an aura ainsi un sens cruellement ironique. Mais le plus désolant dans toute cette histoire sera de voir la justice devenir en fin de parcours une plus grande menace pour la liberté de la quinzaine d’individus faussement accusés par la poignée de péquenauds qui auront imaginé ce sordide mensonge. Le tout dans le simple but que cette affaire aussi atroce qu’insensée ne se termine pas par un acquittement général, pour que le système judiciaire ne perde pas complètement la face pour avoir craquer lui aussi sous le poids du cirque médiatique s’étant créé autour d’un dossier pour lequel il fallait des coupables à tout prix, et surtout dans les plus brefs délais. Garenq soulignera d’ailleurs à gros traits l’absurdité de l’ensemble lors d’une dernière séquence de comparution où le canular dont l’état se sera fait le complice s’effondrera finalement tout en faisant inutilement quelques victimes de trop au passage. Dans le coin des accusés, un Alain Marécaux commençant à peine à reprendre du poil de la bête, toujours affaiblie par ses nombreux mois d’emprisonnement. Dans la peau de ce dernier, Philippe Torreton aura livré une prestation troublante de vérité tout en faisant part d’une transformation physique figurant certainement parmi les plus marquantes de l’abondance que le septième art nous aura donnée au cours des dernières années. Ce sont néanmoins le naturel et la simplicité avec lesquels l’acteur parvient à communiquer la détresse de son personnage qui en font une grande performance, même pour un type de rôles déjà habitué de recevoir tant d’éloges.