DOSSIER : Le cinéma et ses conjurations
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Iron Lady, The (2011)
Phyllida Lloyd

Le mensonge et la pitié au service du pouvoir

Par Mathieu Li-Goyette
C’est le propre des grandes actrices, parvenues à un moment de gloire si long qu’il en devient lassant, d’incarner régulièrement les plus grands visages de la politique et de la monarchie des siècles derniers. En Angleterre, où un certain culte de la personnalité, lui-même star système d’une monarchie fantoche, mais symbolique, l’interprétation des chefs d’état est un exercice annuel obligatoire auquel l’industrie se plie systématiquement. L’an dernier, le maîtrisé The King’s Speech. Cette année, le malhonnête The Iron Lady. À chaque cinéaste ses préoccupations de droite ou de gauche, sa volonté de faire du film historique une tentative de renouvellement des formes classiques ou le subterfuge accompagnant un discours, disons-le, bien plus vil.

Phyllida Lloyd opte pour la deuxième option, soit celle de raconter la vie et la carrière de Margaret Thatcher avec toute la sensibilité que l’on pourrait craindre. À prendre en pitié la dame de fer, le chemin tortueux marqué par des pertes de mémoire fréquentes nous propose de reconsidérer le règne de la première femme élue en Angleterre et d’y voir le combat distingué d’une féministe avant l’heure.  Et cela, c’est odieusement malhonnête.

Parce que c’est « oublier » de filmer ce qui a vraiment compté au bout du mandat de Thatcher. C’est ne pas faire état de la manière dont elle traita les travailleurs, dont elle répliqua au Venezuela ou aux Irlandais, pour se concentrer sur son rôle lors des dernières années de la guerre froide (rapprochement entre les deux camps, invitations, soupers, etc.). En fait, c’est prendre la métaphore de la dame de fer (dénichée par un journal soviétique) au pied de la lettre. Scénario d’Abi Morgan (qui signa aussi Shame), il ne partage avec celui-ci qu’une certaine vision morne du contemporain : comme le personnage de Michael Fassbender, Thatcher est prisonnière de sa propre personne. Un lourd passé qui ne cesse de ressurgir (comme son mari – interprété par Jim Broadbent - mort et hantant la maison), des mémoires qui fuient par la craquelure d’Alzheimer s’agrandissant de jour en jour. The Iron Lady nous offre d’abord une Thatcher malade, lunatique et sénile qui revoit la répression policière des manifestants sur fond de musique rock : l’exercice est nauséabond, tente de faire passer sous le charisme d’une dame stricte la droite (presque extrême) de son gouvernement.

Mais dans les faits, ce n’est pas que Phyllida Lloyd se soit permise de montrer les manifestations qui choque, mais bien qu’elle en fasse ce qui est « en dessous » du film, ce qui tourmente la dame en question ne dépassant pas le stade du mauvais souvenir lorsqu’il est question de tout autre chose (la répression des classes ouvrières) et que vue de son piédestal, la situation paraît si anodine qu’elle s’oublie dans la vieillesse : le point de vue d’une femme en talons hauts regardant et écrasant les fourmis, voilà la position dans laquelle le spectateur se glisse. Malaise, maladresse quant à la gestion des passages hallucinés avec le mari, l’oeuvre révèle un grave problème de priorités. Pourquoi parler de l’Alzheimer avec Margareth Thatcher? Filmer une vieille dame du Sussex ne suffisait-il pas? Fallait-il filmer le parlement britannique? Déployer des millions en costumes, vieilles voitures et création de décors des années 40 à 90?

Il le fallait, car The Iron Lady, pour reprendre l’astucieux stratagème de Tom Hooper lorsqu’il a filmé les problèmes d’élocution d’un roi, se devait de conférer à une personnalité de l’ordre de l’inatteignable, pour les citoyens les plus normaux, une aura de simplicité humaine. Ainsi, le film commence sur une pinte de lait - en plastique, entourée d’oeufs et de beurre dans un supermarché - et revient ponctuellement sur le prix des aliments. Question de ne pas oublier que Thatcher est fille d’épicier et qu’elle est « proche » du peuple (autant que le roi et son discours en étaient éloignés), on lui a donné une maladie qui l’atteint autant que la plus pauvre des dames casées dans un hospice. Mais cela n’empêche pas The Iron Lady de faire le chemin contraire de The King’s Speech. D’une part, nous avions un mouvement de recul fascinant, une volonté de briser les stéréotypes et de s’introduire dans la royauté pour mieux y voir un spleen royal si particulier, si éloigné de toutes réalités. Il était servi avec une part de caricature tout à fait respectueuse (les grands angles extrêmes, les performances juste assez théâtrales pour captiver comme un vieux film anglais pouvait le faire) et donnait le bon goût artificiel en bouche d’avoir visité la famille royale. Ici, la caméra est précise, retenue dans ses gonds et sans invention aucune; le jeu est celui de la reproduction parfaite, car Meryl Streep imite en s’immergeant dans le personnage. Le but : donner l’impression que nous avons sous nos yeux Margaret Thatcher. Ses mimiques, ses tics, sa coiffure parfaitement reproduite.

Or, en prenant le pari de refaire si impétueusement le réel vient une part de responsabilités quand il est question de faire part des fondements d’une politique et des effets qu’elle a eus sur plus d’une décennie (et encore aujourd’hui, dit-on, l’Angleterre n’est pas sortie du thatchérisme). Il faut plutôt porter les oeillères, accepter de prendre en pitié la (fausse) vieille dame devant nous en train de relier la lutte contre les Irlandais et leurs bombes aux récentes attaques d’Al-Qaeda sur un hôtel : les deux sont également des terroristes, sont présentés en parallèle pour prouver que la poigne à la Thatcher est la meilleure façon de réagir à ces situations. Tout ce cirque médiatique autour de la même figure est d’une absurdité proportionnelle à l’épaisseur du biais qu’il révèle du même coup. Plus encore, c’est inclure une tout autre thématique (celle du féminisme) dans un bal de préoccupations dont elle n’est pas d’emblée garante. C’est dire, en d’autres mots, que le règne de Thatcher en a été ainsi parce qu’elle était la première femme du Parlement. C’est démontrer qu’elle ne bronchait pas parce que c’était une femme portée par la volonté de faire face aux hommes. C’est être réactionnaire, fonder une volonté d’opposition supportée par de nombreuses attaques machistes de ses collègues. Lloyd mélange les cartes sans trop savoir pourquoi. Probablement au nom du réalisme. Probablement au nom du pouvoir et d’un académisme cinématographique convaincu (qui vaudra à Streep les éloges de la grande critique ne s’attardant qu’à la performance et jamais assez aux fruits de celle-ci : performer, mais performer quoi?).

Tout film historique est imprécis. Quand l’imprécision dépasse le seuil de la volonté de réécriture et de réhabilitation, on appelle ça du révisionnisme. Et il n’y pas si longtemps, on aurait appelé ça de la propagande.
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Critique publiée le 16 janvier 2012.