DOSSIER : Le cinéma et ses conjurations
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Contraband (2012)
Baltasar Kormákur

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Par Jean-François Vandeuren
Si le présent Contraband apparaît à l’écran comme un thriller d’action tout ce qu’il y a de plus conventionnel, et ce, autant au niveau de la forme que du fond, remplissant allègrement son mandat sans jamais se casser la tête outre mesure pour tenter de s’élever au-dessus de ses contemporains, les choses semblaient pourtant beaucoup plus intrigantes en coulisses. Ainsi, pour son troisième long métrage tourné en sol américain - et huitième au total -, l’Islandais Baltasar Kormákur, réalisateur de l’excellent 101 Reykjavik, nous propose un remake du Reykjavik-Rotterdam de 2008, film dont il incarnait le personnage principal en plus d’agir à titre de producteur. Il s’avère du coup plutôt difficile de parler ici d’un autre cas typique de pillage à l’Américaine. Mais serions-nous de nouveau confrontés à l’histoire d’un talent étranger venu gaspiller ses énergies à la barre d’un divertissement aux ambitions somme toute assez limitées? Il est certain que Contraband ne tire pas toujours profit des qualités de metteur en scène que Kormákur aura su mettre en évidence par le passé. Mais ce dernier parvient néanmoins à présenter un bagage d’influences qui ne lui vole jamais la vedette en plus de se révéler tout à fait compétent dans l’orchestration de séquences musclées et de réussir à soutenir la tension émanant de son récit du début à la fin. Kormákur aura également su assimiler avec aisance quelques façons de procéder propres au cinéma hollywoodien, notamment au niveau du découpage technique et de cette insistance sur la situation géographique des événements, passant par une multiplication des plans aériens et une abondance de clichés d’éléments propres à la région visitée.

Question de démarrer la présente intrigue, le jeune beau-frère de Chris Farraday (Mark Wahlberg) se retrouvera dans une position on ne peut plus précaire lorsqu’il jettera à l’eau une importante quantité de cocaïne après que le navire à bord duquel il se trouvait ait été intercepté par les services frontaliers américains. Afin de régler la dette de ce dernier auprès du dealer Tim Briggs (Giovanni Ribisi), Chris devra quitter momentanément le rythme de vie d’homme honnête qu’il était parvenu à adopter pour retourner à ses premiers amours de contrebandier, et ainsi protéger la vie de sa femme (Kate Beckinsale) et de ses deux fils. Épaulé par son vieux complice Sebastian Abney (Ben Foster), Chris s’embarquera donc, en compagnie d’une équipe d’experts soigneusement assemblée, sur un navire voguant vers le Panama afin d’y récupérer un chargement de faux billets. Le périple sera évidemment loin de se dérouler comme prévu alors que notre héros et ses acolytes connaîtront leur part d’imprévus et d’ennuis, lesquels menaceront autant le succès de l’opération que leurs vies à proprement parler. Le tout tandis que l’heure continuera de tourner en sol états-uniens, où de plus en plus de pression sera exercée par Tim et ses hommes sur la petite famille de Chris. L’objectif de telles péripéties sera bien entendu de rendre un scénario qui n’aurait normalement pu tourner qu’autour d’un long voyage en mer aussi exaltant que possible. Le problème, toutefois, c’est que ce rythme effréné entraînera bien souvent les écrits du nouveau venu Aaron Guzikowski vers des avenues où sa logique interne ne pourra qu’être mise à rude épreuve.

Cette manière de procéder entraînera inévitablement une certaine surenchère au niveau de l’offre d’éléments purement spectaculaires, nous amenant à nous demander à combien de reprises notre bande de sympathiques brigands pourra-t-elle jouer de malchance au cours d’un seul et même coup avant de pouvoir finalement récolter le fruit de ses efforts. C’est ici que ressortiront les principales influences sur lesquelles se sera appuyé Baltasar Kormákur pour mettre en scène le présent exercice alors que cet acharnement à amener continuellement ses personnages au bord du gouffre tout comme cette dose d’humour parsemant l’ensemble ne seront évidemment pas sans rappeler les productions de Jerry Bruckheimer d’une certaine époque ainsi que quelques-unes des plus récentes réalisations de Tony Scott. Ce n’est cependant pas au niveau de la composition des images que l’oeuvre de ce dernier fait le plus sentir la présence - si ce n’est qu’une seule séquence d’explosion se déroulant au ralenti - plus que dans la façon dont est ponctué le récit, toujours articulé autour d’une course contre la montre dont les conséquences seront exposées à répétition afin de coller le spectateur au bout de son siège. Le tout en situant également une bonne partie de l’action au coeur d’un milieu ouvrier dont Kormákur se servira lui aussi allègrement des spécificités pour alimenter le suspense de son film. Et si la facture visuelle du cinéaste islandais se révèle beaucoup plus sobre que celle du Britannique, qui aura eu tendance à prôner la démesure au niveau du style au cours des dernières années, Kormákur n’a néanmoins aucune difficulté à prouver l’efficacité, de même que la pertinence, de ses méthodes.

Il est tout de même quelque peu décevant que Contraband n’ait pas continué dans la voix qu’il semblait vouloir emprunter en début de parcours alors que plusieurs de ses attributs visuels et sonores nous auront momentanément renvoyés au Michael Mann de Heat et de Miami Vice. Une impression qui ne se manifestera que brièvement par la suite lors d’une séquence de braquage et de fusillade qui tournera au vinaigre qui nous rappellera, à certains égards, l’une des scènes les plus mémorables de la brillante saga policière de 1995. Autrement, Contraband se révèle un thriller qui arrive avec un savoir-faire pour le moins étonnant à capitaliser sur ses éléments les plus familiers, à commencer par sa distribution, dont chacun des membres réendosse avec suffisamment de vigueur les traits auxquels il est généralement associé depuis déjà plusieurs années. De sorte qu’au lieu de chercher par tous les moyens à réinventer la roue ou à prendre continuellement le spectateur par surprise, le cinéaste islandais se sera plutôt dédié à offrir un spectacle fonctionnel - dans la majorité des cas - dans lequel chaque élément semble être tout simplement à sa place. Le résultat s’avère, certes, des plus convenus et nous saurons pertinemment comment le tout prendra fin avant même que ne se termine le générique d’ouverture. Mais l’ensemble est exécuté d’une manière suffisamment substantielle, même si peu étoffée, et ne se prend jamais trop au sérieux, sans que cela ne paraisse pour une quelconque forme de relâchement, pour arriver à remplir avec entrain son principal mandat : s’assurer qu’on ne s’ennuie jamais.
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Critique publiée le 13 janvier 2012.