Pour emporter
Par
Maxime Monast
Ah, la banlieue! Un univers que bien des films auront tenté d’exploiter au cours des dernières années. Mais outre celle défendue par les American Beauty, Ordinary People ou même Edward Scissorhands, l’utilisation de ce milieu comme personnage peut s’avérer assez ardue. Les vieux clichés reviennent vite. Les lamentations sur la routine et les folies d’adolescence sont toujours bien présentes chez des personnages prisonniers de cette forteresse remplie de maisons similaires et de parterres bien aménagés. Bref, la « belle vie » - avec les enfants, le chien et la femme parfaite - n’est jamais sans conséquences. C’est dans cet environnement que John Cameron Mitchell tente d’articuler les personnages de David Lindsay-Abaire tirés de sa célèbre pièce de théâtre Rabbit Hole. En gardant l’étude des protagonistes au centre de son intrigue, Mitchell s’empêche peut-être de retomber dans les extravagances qui l’ont rendu populaire (Shortbus, Hedwig and the Angry Inch). Ici, comme sur la scène, le récit repose sur ces deux individus traversant un deuil inimaginable.
Becca (Nicole Kidman) et Howie (Aaron Eckhart) viennent de perdre leur fils Danny. Un accident terrible. Six mois plus tard, nos deux partenaires se situent à des stades différents de leur deuil. Becca, une femme clairement confuse, essaie d’exorciser la mémoire de sa progéniture. Elle arrache ses dessins, donne ses vêtements, veut vendre la maison. Mais elle cherche aussi une réponse en discutant avec le tueur de son enfant, le jeune Jason (Miles Teller). De son côté, Howie adopte une approche plus pragmatique. Il semble plus conscient de sa perte, mais cherche à faire avancer les choses plutôt que de rester pris dans ces instances d’apitoiement. Ce sera la rencontre de ces deux positions qui fera à la fois l’intrigue et la force de Rabbit Hole.
D’une part, et comme nous l’avons déjà mentionné, la pièce de Lindsay-Abaire se déroule dans un emplacement bien connu du grand public. La banlieue, comme lieu commun du cliché, se dévoile souvent comme étant un endroit austère ne cherchant qu’à refouler les différentes préoccupations de ses victimes. Ce piège se retrouve la plupart du temps au coeur du problème dans les oeuvres l’employant comme milieu. Elle est une vraie vamp : un désir qui s’avère destructeur. Par contre, Rabbit Hole ne choisit pas vraiment d’analyser et de juger ce mode de vie. Il se concentre plutôt sur ses personnages. Un choix intelligent évitant ici plusieurs banalités. Même si l’on reconnaît certains traits, on joue rarement avec ceux-ci. Et si l’on choisit de les utiliser, c’est d’abord pour brouiller les pistes. Becca, en sabbatique, essaie de « jouer » à la femme au foyer. Mais très vite, nous comprenons que ce rôle est une ruse. Elle se retire tranquillement de son quotidien. À l’opposé, une instance du film décidera bel et bien de plonger dans les stéréotypes de la cité-dortoir, soit lorsque Howie, très conscient de l’écart psychologique s’étant creusé entre lui et son épouse, se rapprochera d’une femme se trouvant dans la même situation que lui (Sandra Oh). Ce parcours, de la simple attraction jusqu’à l’adultère, est symptomatique d’un tel univers. Mais dans l’ensemble, Mitchell et Lindsay-Abaire se concentrent avant tout sur la tristesse et les possibilités de rédemption de leurs protagonistes.
C’est cette décision qui nous fera réaliser l’intelligence de la distribution des rôles, en particulier ceux de Nicole Kidman et d’Aaron Eckhart. Leur chimie, comme couple marié, se devait d’être plausible. Ici, ils se confondent dans ce décor tranquille. Leurs habitudes au quotidien et leurs mentalités captent l’esprit d’une génération. Rabbit Hole clôt le rêve parfait de la maison urbaine, de l’enfant exemplaire et du chien rayonnant. Mais la force du récit se dévoile seulement lorsque l’on enlève un élément de ce paysage bucolique. Que reste-t-il? L’amertume est peut-être la seule réponse pour ces deux parents. Certes, nos personnages empruntent des avenues différentes pour trouver des solutions à leurs problèmes. De son côté, Kidman nous offre une panoplie d’émotions en essayant de chercher une réponse claire. Son austérité, un trait récurent de sa persona cinématographique, se conjugue à merveille à sa quête. Ce trait se transforme et est atténué par son amour profond pour son enfant. Son parcours sera à la fois celui d’une femme essayant de maintenir les fondations de cette vie de rêve et celui d’une femme psychologiquement marquée par une telle perte. À travers cette quête, elle essaiera de trouver le chemin parfait. Elle sera souvent très critique par rapport à son environnement, son mode de vie et sa mère (superbe Dianne Wiest). Kidman nous propose du coup l’une de ses meilleures performances depuis le Margot at the Wedding de Noah Baumbach, transcendant les clichés pour incarner un modèle sublime de femme en détresse. De son côté, le personnage interprété par Aaron Eckhart se révèle beaucoup moins audacieux que sa conjointe. Il s’en remet à des méthodes plus classiques pour parvenir à cette distanciation, des longues heures au bureau jusqu’aux rencontres d’un groupe de soutien. Le but n’est pas d’oublier. Il cherche plutôt à reconstruire le cours de sa vie. Comme sa femme, il n’est pas dépourvu d’émotions face à la mémoire de son enfant. Il sera très affecté par le retour de leur chien ou par le pillage des dessins et des vêtements de leur fils. Bref, il ne se situe pas à l’opposé de sa femme. C’est la subtilité de Kidman et d’Eckhart qui fait de Rabbit Hole une oeuvre si poignante.
En somme, le récit de Rabbit Hole présente une quête assez simple. Un exutoire émotionnel qui s’avère être des plus révélateurs. En se concentrant sur les deux protagonistes, Mitchell nous livre l’un des films les plus complexes de 2010. Les mécanismes internes de ces deux parents - vis-à-vis leurs propres parents, leurs collègues de travail et leurs voisins - sont ce que l’auteur a su rendre avec brio. Il n’y a rien de définitif dans Rabbit Hole. Le deuil est complexe et sa conclusion est souvent pénible. Les possibilités sont infinies et personne ne détient la réponse parfaite. Une affirmation évidente, certes, mais que ce récit nous fait réaliser avec tant de virtuosité.
Critique publiée le 12 janvier 2011.