Quand j'ai oublié que j'avais 26 ans
Par
Maxime Monast
Il est facile de gâcher des souvenirs d'enfance. Que ce soit Paul Reubens (Pee-wee Herman) qui se masturbe dans une salle de cinéma ou bien Jacques L'Heureux (Passe-Montagne) qui demande une fellation à la fille de sa femme dans Familia, il n’est pas rare de voir nos idoles de jeunesse être tachées d'impuretés. Ces développements peuvent causer une fissure entre la réalité et le monde de la fiction, qui étaient pourtant si homogènes lorsque nous étions plus jeunes. Et ce même genre de sentiments se ressent lorsqu'un remake ou un nouvel essai fait surface pour tenter de séduire une nouvelle génération de spectateurs.
The Muppets de James Bobin est l'exemple parfait d’une exacerbation de toutes les peurs du spectateur. Les Muppets n’avaient pas occupé le grand écran depuis 1999, soit depuis cette aventure dans l'espace que proposait Muppets from Space. Néanmoins, la franchise et ses produits dérivés (comme toutes reliques de notre enfance) n'avaient pas cessé d'essayer de percer la coquille de nouvelles générations d’enfants. Le tout en capitalisant évidemment sur ce qui en fait des personnages aussi géniaux et en utilisant très diaboliquement le pouvoir de la nostalgie pour justifier l’achat de marionnettes. Et il n'y a rien de plus fort qu'un parent montrant à ses bambins les émissions qui l’ont rendu heureux lorsqu’il était plus jeune et c’est de cette manière que les Muppets ont pu survivre au passage du temps.
Alors, pourquoi ressusciter cet artefact sur le grand écran? Une question légitime pouvant vexer ses plus grands défendeurs et, en même temps, possiblement cannibaliser son futur public. La raison est toute simple : pourquoi pas! Une mise à jour spécifiquement monétaire que toute propriété appartenant à Disney subit dans l’espoir d’être traite jusqu’à épuisement des stocks. Les rééditions 3D en sont la preuve ultime. Mais heureusement pour nous, ce nouveau moment dans l'histoire des Muppets est l'un des plus fidèles et des plus respectueux de l'oeuvre de son créateur Jim Henson. Notre amour et celle de cette nouvelle équipe (Bobin, Jason Segel et Nicholas Stoller) pour ces créatures est explosive. Une vraie piňata de joie!
C'est pourquoi The Muppets ne génère pas les réactions typiques que l'on entend lorsqu’on annonce l’arrivée d’une nouvelle version de Suspira, de The Thing ou bien de Die Hard. Ici, nous sommes enjoués et ravis de revoir nos personnages préférés. En fait, même si la même chose pouvait s’avérer vraie avec les exemples mentionnés ci-haut, les Muppets sont ici au service de la qualité plutôt que du pur consumérisme favorisant la capacité de vente de jouets dans les grands magasins (on se rappelle encore très bien de Star Wars: Episode I: The Phantom Menace). Peu de films sont capables de faire revivre la flamme créatrice provoquant l’émoi enfantin si désirable, si inatteignable. The Muppets n'est pas qu’une simple commande, mais bien l’un des plus beaux cadeaux offerts par Disney.
Cette nouvelle aventure se concentre sur la résurrection de l'entité des Muppets. Walter (une marionnette manipulée par Peter Linz), étant un amateur inconditionnel de la troupe, en fait sa mission de convaincre Kermit et cie de faire un dernier spectacle pour sauver le nom et le théâtre des Muppets de l'emprise du méchant Tex Richman (Chris Cooper). Avec l'aide de son frère Gary (Jason Segel) et sa copine Mary (Amy Adams), le trio se lancera dans une aventure aussi méta que sa prémisse. En réunissant les autres membres de la troupe, ils espèrent amasser dix millions de dollars avec un téléthon pour sauver les meubles de leur vie passée. Bref, un défi carrément inspiré d'un complot d’un vilain sorti tout droit d’un film de James Bond qui colle à la réalité même de l'histoire d'un nouveau film sur les Muppets. Un jeu qui se poursuit tout au long du film et qui, après mures réflexions, s’avère l’une des manières les plus ingénieuses de faire revivre la franchise.
À plusieurs moments, les personnages parlent de problèmes et d'idées auxquels plusieurs spectateurs feront face durant ces 120 minutes. On pense au refus initial de Kermit de prendre part à cette grande réunion. Mary le rassurera alors très candidement : « This is going to be a really short movie ». Toutes blagues sont bonnes et le monde des Muppets est l'endroit idéal pour exploiter cette attitude postmoderne, un mode ici autoréférentiel que peu de gens savent utiliser sans paraître complètement égocentrique et mégalomane. Un humour qui fait réagir avec des mouvements de recul - son emploi provoque chez le spectateur le choc de décrocher momentanément de la fiction -, mais pas au point de ne pouvoir y retourner aussi facilement.
Ce type de procédés s’applique aussi aux moments les plus mémorables des Muppets : les numéros musicaux. On suspend les conventions narratives classiques et on laisse la mélodie nous charmer. Que ce soit Brigadoon ou bien Cabaret, le spectateur sait très bien que personne ne se met à danser sporadiquement dans les rues pour parler de ses problèmes ou de la situation présente. Par contre, lorsque la chanson « Life's a Happy Song » (écrit par Bret McKenzie, une moitié de Flight of the Conchords) s’amorce et que la population de Smalltown, USA se lance dans cette chorégraphie, on oublie très vite que cela n'est pas normal!
En somme, le film réussit admirablement à se convaincre - et en même temps à nous convaincre - que nous avions besoin d’un nouveau long métrage des Muppets. Une tâche qui nous parait très facile en regardant cette petite perle, mais qui, dans les faits, est surtout un exercice de bon goût et de l'emploi d’une grammaire appropriée. On peut se perdre très facilement dans les chemins de l'actualisation et de la transformation du remake ou du nouvel essai. Mais The Muppets de James Bobin conserve sa règle d’or en tête : il n'oublie jamais de s'amuser. Et comme le « Always look on the bright side of life » dans Life of Brian nous l’a appris : « Life's a piece of shit, when you look at it! ». C'est exactement ce que ce film nous évite : pendant deux heures, je n'avais plus 26 ans, et encore moins de problèmes. J’avais de nouveau sept ans et je regardais les Muppets. Rien de plus, rien de moins.
Critique publiée le 30 novembre 2011.