DOSSIER : Le cinéma et ses conjurations
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Twilight Saga: Breaking Dawn - Part 1, The (2011)
Bill Condon

Les noces de carton

Par Laurence H. Collin
Sous l’abréviation « YA » pour « young adult fiction », le genre auquel on associe la série Twilight propose généralement des enjeux dramatiques concernant une quête d’objets matériels ou un combat opposant le bien et le mal. Au coeur de la quadrilogie de Stephenie Meyer, cependant, on retrouve le corps d’une jeune femme; humains, vampires comme loups-garous, des âmes de chaque clan  sont concernées par le sort de celui-ci. Comme les épisodes précédents ont tourné autour de sa sécurité et de sa virginité, cette première moitié de l’ultime chapitre (scindé en deux volets pour des motifs certainement pas mercenaires) déploie maintenant une foule de conflits induits par sa fertilité.

Aurai-je employé ici le terme « une foule » simplement pour la forme?  Dans Breaking Dawn - Part 1, la notion de conflit est sous-minimale, mais quiconque ne visite pas pour la première fois l’univers de Meyer ne devrait pas tomber de sa chaise en l’apprenant. Les dernières minutes du volet Eclipse culminaient donc sur le « oui » que Bella Swan (Kristen Stewart), prima donna de Forks, Washington, répondit à la demande en mariage de son bien-aimé vampire Edward Cullen (Robert Pattinson). Ce nouveau chapitre aux commandes de Bill Condon ne perd ainsi aucun temps à plonger le spectateur dans la grande cérémonie officiant leur union matrimoniale. Nous aurons droit à de longues scènes se voulant paradisiaques, mais dont la conception visuelle inspire plutôt une apocalypse de fleurs blanches aux tiges pendantes. Qu’elle suscite l’émoi ou l’hilarité,  on pourra tout de même attribuer à la séquence le don de polariser ses auditeurs.

Progression rapide jusqu’à la nuit de noces du couple de jeunes mariés, où ceux-ci consumeront enfin leur mariage après une période de chasteté trop longue pour être prise au sérieux (cent-huit ans en ce qui concerne monsieur, quand même). Vingt secondes d’érotisme de bon goût, et puis s’en va - la seule image modérément torride permise par le scénario de Melissa Rosenberg, habituée de la série, sera celle de la chambre nuptiale en ruines. Pourra-t-on parler d’une déception en ce qui concerne une soi-disant « saga » qui ne sait faire autrement que dans la dentelle? À vous d’en juger - moi, je la juge. Fan service jusqu’au bout des ongles, le phénomène Twilight a depuis belle lurette laissé pour mort tout souhait d’objectivité quant à ses vertus cinématographiques.

Il suffit de remettre tout cela en perspective pour se rendre compte que cela est bien légitime. Combien de dizaines de blockbusters ne se dotent pour fonction que d’être un système de livraison de fantasmes phallocrates? Avant même de lui chercher des aboutissements probants, cette belle discussion d’égalité entre les sexes commence d’abord par pourvoir le même bonbon à chacun.  Et le public cible de Twilight - presque totalement féminin - possède tout à fait son droit à une caméra qui traîne de façon pornographique sur chaque détail d’un mariage céleste ou d’un corps masculin à moitié nu. La question demeure cependant la même : ce zèle résolument pro-fanatique dans Breaking Dawn - Part 1 le rend-t-il défendable en tant qu’objet de cinéma?

Seigneur, non. De ses habituelles répliques débiles jusqu’aux gênants loups-garous pixélisés, ce quatrième film ne manque aucune occasion de rendre sa solennité parfaitement grotesque. Tous les efforts du plus récent estimé cinéaste à succomber à la fantaisie apocryphe de l’auteure sont en vain; le texte de Breaking Dawn se résume en soi à une succession de développements d’opérette (mariage! sexe! grossesse! accouchement!) dont le simplisme divisait déjà les admirateurs des trois tomes précédents. Quand Bella, très enceinte, confie le prénom masculin qu’elle choisirait pour son bébé naissant (« E.J. », pour Edward Jacob), les bras nous tombent devant autant de niaiserie. Lorsqu’elle révèle son prénom de choix féminin, le ridicule prend des proportions cosmiques. A-t-on payé un voyage de quatre ans en Suisse au consultant en scénarisation chargé de la série?

Coup bas. L’ensemble de Breaking Dawn - Part 1 a beau me paraître d’une nullité anti-cinématographique presque consternante, il ne demeure pas dépourvu de quelques replis avantageux. À commencer par ce corps féminin autour duquel gravitent tous les enjeux, lui qui se voit offert cette fois-ci un traitement plus digne qu’à l’habitude. D’abord, parce que les effets visuels employés pour rendre Bella Swan émaciée alors que le foetus mi-humain mi-vampire la ronge de l’intérieur s’avèrent une incontestable réussite. Ensuite, parce que la scène charnière de l’accouchement atteint comme elle se doit les limites du contenu graphique permises par son code de classification. Finalement, parce que Stewart trouve enfin matière à évoquer des sentiments modérément intéressants alors qu’elle habite pour une quatrième fois la même figure aux antipodes de la profondeur. Elle représente la plus proche approximation d’une performance convaincante que Condon parvient à soutirer de sa distribution récurrente. Quant au reste de celle-ci (les mêmes Taylor Lautner, Ashley Greene et Jackson Rathbone viennent en tête), restons poli et soulignons que la plupart d’entre eux ne démontrent pas exactement avoir maîtrisé l’art de réciter une ligne comme une personne normale.

Tant à dire pour si peu de contenu! À défaut d’exaucer nos voeux de la voir s’évaporer de la culture populaire, la saga Twilight garantit néanmoins plusieurs rires gras pour quiconque n’y voit toujours pas une appétissante brioche, mais un morceau de carton brun.  Et au diable le potentiel outrage à s’imaginer autant de fillettes, filles et femmes gober tout rond la rhétorique mormone pro-vie anti-sexe prénuptiale de Meyer qui, au demeurant, ne cherche même plus à se faire discrète de toute façon. C’est alors que le visage généreusement retapé au CGI du poupon hybride Bella-Edward occupait l’écran que je fus forcé de baisser les bras, et pas seulement parce que je riais à en avoir mal au ventre. Précisément, à ce moment, une fin alternative à une maxime vieille comme la terre s’écrivit dans le livre des oracles : si tu ne peux pas les battre… moque-les.
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Critique publiée le 30 novembre 2011.