DUR RETOUR À LA RÉALITÉ
Par
Jean-François Vandeuren
Autrefois associée à un certain vent de jeunesse qui souffla sur le cinéma français à partir du milieu des années 90, l’oeuvre de Cédric Klapisch aura fini par prendre de l’âge de film en film au même titre que son instigateur. Une telle évolution n’est toutefois pas synonyme ici de changement de cap - bien au contraire - puisqu'elle témoigne en soi de la progression du cinéaste en tant qu’individu, lui qui traite désormais de sujets qui n’auraient pas forcément concerné, par exemple, les personnages de L’auberge espagnole et vice-versa. Une tendance qui était déjà perceptible dans le Paris de 2008, où il était fortement question des effets du passage du temps tout comme de la maladie et, ultimement, de la peur face à la mort. Klapisch s’intéresse cette fois-ci à un autre « problème d’adultes », soit l’actuelle crise économique qui, malgré ce que l’on pourrait croire, aura fait autant de dommage en Europe qu’en Amérique. Comme c’est souvent le cas avec ce type d’initiatives, le cinéaste développera son récit à partir de deux points de vue diamétralement opposés. D’un côté, nous nous immiscerons dans la lutte quotidienne d’une mère monoparentale portant le nom assez peu subtil de France (Karin Viard), elle qui aura perdu son emploi à la suite de la fermeture d’une usine de la ville ouvrière de Dunkerque. De l’autre, nous suivrons le parcours du prolifique agent de change Steve Delarue (Gilles Lellouche), nom à consonance américaine évoquant le mythe du self-made-man, qui effectuera un retour dans la capitale parisienne pour tenter de mieux positionner l’entreprise londonienne pour laquelle il travaille sur le marché français. Le hasard faisant généralement bien les choses au cinéma, France sera engagée par Steve pour prendre soin de son luxueux appartement, voire même de son jeune fils.
Ma part du gâteau débute sur un plan pour le moins évocateur d’un gâteau d’anniversaire se faisant trimballer d’un bout à l’autre du domicile de France jusqu’au moment où celui-ci sera finalement divisé en plusieurs morceaux devant être distribués équitablement. Quelques instants plus tard, les invités retrouveront France après que celle-ci ait tenté de se suicider sur un coup de tête, trop affectée par sa mise à pied et ses inévitables répercussions sur sa situation personnelle et familiale. Un incident particulièrement grave par-dessus lequel Klapisch passera étonnamment rapidement afin de revenir au ton beaucoup plus léger et humoristique auquel son cinéma est généralement identifié. Une décision qui mettra d’ailleurs parfaitement la table pour le spectacle qui doit suivre. Steve sera alors présenté comme un individu étant tout sauf sympathique, un être intéressé uniquement par l’appât du gain qui ne désire aucunement s’occuper de son fils et qui ne sait faire preuve d’attention et de gentillesse que lorsque le tout peut servir son propre petit plaisir égoïste. Ce sera évidemment tout le contraire du côté de France, qui affirmera vouloir constamment prendre soin des autres pour éviter de se prendre la tête avec sa propre condition. Nous devinerons alors sans problème la direction que prendra ce dixième long métrage à partir de la rencontre entre les deux personnages. France semblera ainsi insuffler un côté plus humain à l’existence de Steve, qui dira en avoir marre de ce milieu individualiste au possible dans lequel il est forcé de côtoyer quotidiennement des gens qu’il déteste afin d’assurer son ascension. Les deux êtres développeront, nous nous en doutons bien, une relation de plus en plus complice. Mais cette esquisse digne des plus beaux contes de fées est-elle réellement aussi enchanteresse qu’elle le laisse paraître?
Le concept de Ma part du gâteau repose en soi sur l’utilisation d’une trame narrative aussi connue qu’éculée devant amener le spectateur à anticiper les événements à venir. Ainsi, s’il aura fait part d’une volonté plus qu’évidente d’alléger les divers drames en cours afin de stimuler la réflexion de son public par le rire durant la majeure partie du présent exercice, Klapisch effectuera soudainement un virage à 180 degrés dans le dernier droit d’une manière qui n’est pas sans rappeler la finale tout aussi contrastante de Ni pour ni contre (bien au contraire). Le réalisateur nous confrontera alors subitement à une réalité beaucoup moins séduisante en anéantissant en l’espace de quelques instants tout le progrès que semblaient avoir effectué les deux personnages, en particulier Steve. Car nous vivons à une époque où la fiction laisse de plus en plus paraître ses limites, où la courbe dramatique d’un récit n’arrive plus toujours à nous faire oublier les problèmes inhérents à notre environnement, à notre quotidien. Car on ne peut changer complètement le caractère et la vision d’un homme - et encore moins éliminer ses mauvaises habitudes - du jour au lendemain. Et pourtant, malgré tout le bienfondé d’une telle démarche et d’un tel revirement de situation - qui n’a d’ailleurs rien de franchement mémorable non plus -, l’initiative ne saurait excuser totalement le manque parfois inquiétant d’originalité dont souffre Ma part du gâteau du début à la fin. Nous sommes évidemment en présence ici d’un récit où l’étalement d’une quantité astronomique de clichés s’avérait nécessaire, faisant intrinsèquement partie de l’expérience proposée par Klapisch. Nous regretterons toutefois que le Français ne soit pas toujours en mesure de les exploiter avec la verve et la vivacité d’esprit qui habitaient jusque-là son cinéma.
Cédric Klapisch n’a, certes, jamais été réputé pour la grande finesse de son écriture ou de sa démarche esthétique. Ce qui ne veut pas dire que ces deux éléments étaient dénués d’intelligence ou d’ingéniosité. Des caractéristiques que le cinéaste parvient malgré tout à mettre en valeur dans Ma part du gâteau demeurent son sens inné de la comédie et son habileté à toujours proposer des dialogues comiques bien tournés. Dommage que ces qualités ne parviennent pas à relever outre mesure un ensemble qui, pour sa part, n’affiche que trop rarement la verve qui les rendait autrefois si effectifs. D’autant plus que Klapisch alourdit passablement son effort ici en y allant de nombreuses séquences et images dépourvues de toute nuance nous enfonçant le propos de son film jusque dans le fond de la gorge, comme il fait trop souvent preuve d’une maladresse extrême dans la façon dont il aborde certaines thématiques. On pense, entre autres, aux quelques scènes faisant référence à la situation des immigrants en sol français. Nous retiendrons au final de Ma part du gâteau les performances fort efficaces de Karin Viard et Gilles Lellouche, qui parviennent sans difficulté à rendre ce spectacle décevant dans l’ensemble, voire trop simplet, suffisamment divertissant. Ma part du gâteau s’avère ainsi l’entrée la plus faible dans le répertoire de Cédric Klapisch. L’occasion était pourtant belle pour le cinéaste, qui avait une opportunité en or ici de mettre en valeur toute la maturité qu’il aura acquise au fil de son cheminement en tant qu’individu comme en tant qu’artiste. Une progression qui aurait dû normalement s’imposer pas simplement par le choix du sujet, mais aussi par la force des idées et des méthodes employées pour les développer.
Critique publiée le 14 novembre 2011.