DOSSIER : Le cinéma et ses conjurations
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Restless (2011)
Gus Van Sant

Un cinéma de moments éphémères

Par Alexandre Fontaine Rousseau
C'est un peu comme dans cette chanson de The Smiths, « Cemetary Gates », où les gens se rencontrent dans des cimetières pour parler de vie et d'amour. Restless, premier film de Gus Van Sant depuis Milk, qui remonte à il y a trois ans de cela déjà, est une histoire d'amour inspirée par la proximité de la mort. Comme tous les couples, celui que forment ici Henry Hopper et Mia Wasikowska est condamné : la différence, c'est qu'eux le savent et l'assument à chaque instant, savourant par conséquent tous les moments s'offrant à eux comme si c'était le dernier. Vous voyez le genre, vous devinez le reste : le pathos est là, gros comme le bras, et cette décision de ne pas révéler d'emblée que Wasikowska est une cancéreuse en phase terminale ne fait que l'amplifier en donnant une candeur lumineuse aux idiosyncratiques balbutiements de leur amour naissant. À la vue de ce synopsis de téléfilm de fin d'après-midi, on se demande ce qu'un cinéaste de la trempe de Gus Van Sant vient faire dans un tel pétrin. Ce serait oublier que l'auteur de Last Days a toujours eu un faible pour les impulsions suicidaires et les derniers souffles, et que si un cinéaste peut insuffler à ce miasme insoutenable aux violons larmoyants déjà aiguillés une authentique sensibilité, c'est bien lui. Voici le cinéaste américain en mode Good Will Hunting, tentant de faire du beau avec du bof.

Le scénario de Jason Lew, soyons clair, brasse des clichés sans trop se gêner : le jeune homme ayant perdu ses parents qui doit apprendre à accepter la mort, la jeune fille qui veut vivre l'amour avant de quitter ce monde. Ces deux-là sont tellement compatibles, sans doute jusque dans leurs signes astrologiques qui doivent se complémenter parfaitement, qu'ils ne pouvaient se rencontrer qu'au début d'un film. L'écriture n'est pas dépourvue d'un certain sens de la nuance et quelques situations, comme cette répétition « mise en scène » de la mort de Wasikowska, ne sont pas dénuées d'une inventivité coquette. Mais les résolutions de rigueur sont apparentes avant même de se poindre à l'horizon et les détails semés ici et là pour arracher au spectateur une larme ne font évidemment pas dans la dentelle. Lew a beau se moquer au passage de la spiritualité à deux sous de l'un de ses (multiples) personnages secondaires sous-développés, la belle psychologie accommodante à laquelle il souscrit finalement n'est pas nécessairement moins éculée ou réductrice. Ajoutez à cela bon nombre de pistes mal exploitées, comme cette relation entre Enoch et sa tante, et quelques idées un brin bancales comme celle que notre tourmenté héros entretient une relation avec le fantôme d'un kamikaze japonais, et vous avez là les ingrédients d'un bien drôle de plat.

Ce qui, vraiment, sauve Restless de ses bons sentiments et de ses faux pas, c'est la vérité de sa lumière, aveuglante et feutrée à la fois (oui, on parle bien du look Harris Savides breveté), ici belle et incertaine à la manière d'un amour fragile. Ce qui fait le charme de cet ensemble chancelant, c'est l'émouvante douceur du ton que prend Gus Van Sant pour en décrire chaque moment plutôt que le fil conducteur lui-même. Voilà un cinéaste qui filme sous forme de murmure chaque geste comme s'il était une caresse, transformant les actions en impressions et les sensations en émotions. Toujours, ses images se posent à mi-chemin entre le maniérisme et le naturalisme, hésitent entre ces deux pôles parce que les corps qu'elles décrivent « apprennent » à s'abandonner à leurs sens sous nos yeux. Il y a dans le cinéma de Gus Van Sant une attention particulière au rapport physique avec le monde, attention qui ne pouvait naître que d'un contact cérébral se transformant en poésie sensorielle. Restless n'est pas « la somme » de ces moments : c'est leur défilement, à la limite somptueusement incohérent si l'on arrive, en tant que spectateur, à se détacher de ce scénario intrusif qui désire à tout prix nous apprendre quelque chose.

Pour cette raison, le moment le plus « juste » du film est peut-être celui qui paraît de prime abord le plus grossier. Aux funérailles de sa bien-aimée Annabel, Enoch demande s'il peut dire quelques mots. Mais le montage ne nous laisse entrevoir qu'une série de fragments, des souvenirs qui, en eux-mêmes, importent plus que tout ce que pourrait formuler le personnage à leur sujet. Il ne s'agit pas d'un « bon moment » du film, mais sa forme résume avec une maladresse somme toute appropriée la nature même du plus récent Gus Van Sant. Au-delà de sa préciosité cultivée, trait hérité d'une certaine école de cinéma « indie » américain dont les méthodes délicates commencent à avoir la légèreté d'un rouleau compresseur, Restless demeure un beau film parce qu'il arrive à capter, sous la forme d'un morcellement, mais qu'importe, cette insaisissable texture qu'ont les instants où l'euphorie de l'amour transcende la substance du réel. C'est un film où les mots n'ont que peu d'importance, n'en déplaise à celui qui l'a écrit; et c'est en ce sens qu'il s'agit de « cinéma », purement et simplement, comme d'un sixième sens dont nous aurions hérité par l'entremise de l'écran. C'est là une qualité que même le plus banal des scénarios ne saurait soutirer à Gus Van Sant et que possède ce Restless aussi décevant dans son ensemble qu'il est émouvant à chaque instant.
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Critique publiée le 30 septembre 2011.