DOSSIER : Le cinéma et ses conjurations
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Fright Night (2011)
Craig Gillespie

Ne le laissez pas entrer

Par Jean-François Vandeuren
Sans être une oeuvre exceptionnelle, le Fright Night de Tom Holland sorti en 1985 s’imposait néanmoins comme une production alliant allègrement horreur et comédie. Un spectacle loufoque qui, si certainement imparfait et comportant son lot de moments inspirant le malaise plus que tout autre sentiment, défendait avec passion un amour pour un cinéma de genre issu d’une autre époque, celui des films d’épouvante mettant en scène les monstres classiques plutôt que ces tueurs sadiques employant la manière forte pour faire la morale à une jeunesse ô combien dépravée. Il n’y a évidemment rien de surprenant dans le fait de voir Hollywood ramener cette histoire de vampire à l’écran dans un contexte où tout film d’horreur ayant connu jadis un certain succès populaire semble désormais voué à être reproduit afin que celui-ci puisse se conformer aux standards et bénéficier des technologies d’aujourd’hui. Il faut dire que, comme dans les années 80, le vampire a une fois de plus perdu de son lustre, et ce, même s’il n’a ironiquement jamais joui d’une telle visibilité sur les écrans de tout acabit, lui dont la mythologie aura été passablement déformée par des productions dont nous tairons le nom pour en faire davantage l’idéal romantique et tourmenté de toute une génération d’adolescentes. Craig Gillespie, en ce sens, remet les points sur les « i » comme avaient pu le faire les frères Spierig avec le surprenant Daybreakers en présentant de nouveau la créature de la nuit comme un sinistre buveur de sang. Et le moins que l’on puisse dire, c’est que le cinéaste d’origine australienne ne perd pas de temps ici pour mettre sa machine en marche, réussissant du coup à régler certaines failles importantes de la première version originale, mais non pas sans en créer de nouvelles par la même occasion…

Comme la prémisse demeure essentiellement inchangée, le spectateur déjà familier avec le film de Tom Holland se retrouvera rapidement en terrains connus tout en étant tout de même confronté à une quantité non négligeable de modifications, lesquelles se révéleront tout à fait pertinentes étant donné l’important changement de ton et d’approche imposé par Gillespie. L’action de ce Fright Night édition 2011 se déroule ainsi au coeur d’un univers beaucoup plus réaliste, en particulier en ce qui a trait à la composition des personnages, qui s’avère ici à l’opposé total du traitement ouvertement caricatural de l’opus de 1985. La maison de style victorien dans laquelle emménageait Jerry le vampire (interprété cette fois-ci par Colin Farrell) a laissé la place à une demeure résolument moderne d’un quartier résidentiel situé en périphérie de Las Vegas. Il faut dire qu’il s’agit en soi de l’endroit idéal où se terrer pour un buveur de sang vus le va-et-vient constant de résidents qui ne sont bien souvent que de passage et le rythme de vie on ne peut plus nocturne de la ville du vice. Nous serons ainsi invités une fois de plus à suivre l’histoire de Charley Brewster (Anton Yelchin) qui, après avoir découvert l’identité réelle de son nouveau voisin, cherchera par tous les moyens à assurer la protection de sa mère (Toni Collette) et de sa petite amie Amy (Imogen Poots). Si une telle révélation peut être évidemment assez difficile à avaler, les deux femmes seront très vite confrontées elles aussi à cette dure réalité. C’est alors que Charley ira demander l’aide de Peter Vincent (David Tennant), un soi-disant spécialiste de l’occulte dont les traits d’ancienne figure héroïque digne des productions de la Hammer auront été remplacés ici par ceux d’un artiste dans la veine de Criss Angel présentant son propre spectacle « surnaturel » sur la Strip.

Gillespie et le scénariste Marti Noxon auront également tenté ici de faciliter l’identification à leur protagoniste, ce qui n’était pas toujours le cas dans une première mouture privilégiant un ton beaucoup plus cabotin, flirtant à la limite avec le dessin animé, et dans laquelle la situation des différents personnages n’était jamais clairement définie. Le présent récit démarrera du coup sur l’histoire classique d’un adolescent ayant pris ses distances avec un ami d’enfance impopulaire (Christopher Mintz-Plasse) afin de vivre son quotidien d’étudiant parmi les gens les plus en vue de son école et ainsi entretenir une relation avec la fille de ses rêves. Le traitement de ce personnage d’outsider s’avère d’ailleurs assez différent de celui que lui avait réservé Holland, allant de pair avec une entrée en matière où le triste sort attendant ce dernier sera révélé en guise d’élément déclencheur plutôt que de point milieu - comme c’était le cas dans l’histoire originale. Nous ayant proposé précédemment les comédies Lars and the Real Girl et Mr. Woodcock, Craig Gillespie livre ici un divertissement simpliste d’une manière à la fois amusée et amusante, faisant preuve d’une verve comique des plus entrainantes tout en traitant les éléments horrifiants de son effort en se positionnant à mi-chemin entre le classique et le moderne. Il résulte de cette approche plus tangible un film beaucoup plus gore, même si le réalisateur exploite lui aussi certains effets de métamorphose, résultat d’une utilisation malheureusement pas toujours très convaincante des images de synthèse, sans toutefois les pousser aussi loin que son prédécesseur. Le tout donne d’autant plus lieu à certains abus de style, telle cette séquence où le directeur photo Javier Aguirresarobe semblera vouloir recréer l’un des brillants plan-séquences du Children of Men d’Alfonso Cuarón, mais en se heurtant à un mélange de technologies qui empêchera la scène d’atteindre son plein potentiel.

À plusieurs égards, le présent remake et sa source d’inspiration finissent par se compléter dans leurs différences comme dans leurs similitudes. La version idéale de Fright Night se situerait du coup quelque part entre l’opus original de Tom Holland et la relecture tout aussi divertissante qu’en auront faite Noxon et Gillespie, entre la naïveté débordante et le rythme plus pesant du film de 1985 - qui jonglait lui-même avec certains concepts rendus célèbres par le Rear Window d’Alfred Hitchcock - et la mise en scène plus directe et les personnages plus crédibles de son équivalent de 2011. À cet effet, Anton Yelchin offre une autre bonne performance dans la peau d’un adolescent tout ce qu’il y a de plus typique tandis que David Tennant prend un plaisir évident à jouer les supports comiques sous les traits de ce prestidigitateur dont la force de caractère s’avère beaucoup plus limitée dans le monde réel. Mais la palme revient définitivement ici à un Colin Farrell s’amusant visiblement comme un petit fou, appuyant le sadisme de son personnage d’une gestuelle imprévisible et d’un charisme démesuré pour en faire un antagoniste à travers lequel se déploient allègrement les deux identités de l’oeuvre. Contrairement à plusieurs de ses contemporains ayant tenté de revamper un « classique » du cinéma d’horreur, la réussite de Gillespie s’explique de par la façon dont ce dernier sera parvenu à imposer une nouvelle vision sans dénaturer celle de son prédécesseur, et surtout dont il aura su ne pas trop se prendre au sérieux et ainsi éviter d’anéantir tout le plaisir que nous prenions à visionner ces productions issues du passé. Il ressort en bout de ligne de ce Fright Night un spectacle macabre dont les élans atteignent la cible plus souvent qu’autrement, à défaut de nécessairement frapper dans le mille à tout coup.
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Critique publiée le 29 août 2011.
 
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Fright Night (1985)