Faisant en quelque sorte suite à l’adaptation du roman de Christopher Priest que nous offrait
Christopher Nolan en 2006 avec l’excellent
The Prestige,
Now You See Me s’avère la confirmation que le film de magicien, lorsqu’exécuté avec une certaine finesse, s’ouvre sur d’intéressantes possibilités de déconstruction. Offrant un monde d’analogues où filmer et déconstruire la magie (comme au théâtre ou dans tout art nécessitant un minimum de prestidigitation) remplacent habilement l’acte de filmer et de comprendre le 7e art, cette production de mi-calibre pullulant de vedettes se veut la version « popcorn » de son prédécesseur; comparativement grossier, mais peut-être plus pertinent par le fait même.
Le tour s’entame, avec une admirable efficacité du langage.
Louis Leterrier s’amuse visiblement dès la séquence d’ouverture, axée sur une dynamique qui ne s'essouffle jamais et écrite de manière à dispenser tout un « origin story » typique en moins de 15 minutes : un individu mystérieux recrute 4 magiciens surdoués aux habiletés complémentaires.
Jesse Eisenberg,
Isla Fisher,
Dave Franco &
Woody Harrelson deviennent en l’espace de quelques mois (et une seule coupe) le super-groupe « The Four Horsmen ». Ils forment une bande de Robins des bois de la prestidigitation qui volent aux riches pour redonner au public de la crise financière; ce public, c'est aussi le public du film, un auditoire à la fois blasé et adorateur qui croit sans cesse au fil des spectacles (et des médias sociaux qui les entretiennent). Le quatuor accumule les vols époustouflants, attirant l’attention de la CIA et Interpol (où
Mark Ruffalo et
Mélanie Laurent entrent en scène) et les deux agences se lancent dans une chasse à l’homme. S’entame ainsi une succession de séquences spectaculaires que Leterrier nous sert à un rythme haletant, pour systématiquement les démanteler, nous les expliquer par la suite.
Linéaire, peut-être trop évidente, définitivement « pop », cette dernière réalisation de l’expatrié français Louis Leterrier crée tout un système de miroirs et de revirements (littéraux comme figurés), indéniablement excitants et contradictoires : ne dit-on pas qu’un magicien ne devrait jamais révéler ses tours? Chaque tour, chaque séquence (et sa déconstruction éventuelle par la CIA tentant de comprendre, comme nous, l’illusion) devient une mise en abîme des divers mécanismes de l’art du divertissement : une expérience où, assis dans la salle à écouter
Now You See Me, l’artifice du cinéma industrialisé nous est dévoilé, chose plutôt rare, à travers l’exercice même de celui-ci.
Now You See Me se développe ainsi, d’une accumulation de revers, nous exposant avec plaisir ses propres mécanismes, mais reposant d’abord et avant tout sur la force et la plus pure joie émanant de ses interprètes. Eisenberg en mode Zuckerberg; Franco y allant un peu du fendant de son frère; Ficher, convaincante; Woody Harrelson à son plus typique, mais aussi Ruffalo, Caine et Freeman, toujours très fiables. Tous s’y amusent visiblement, navigant un système conçu de toute pièce pour mettre en valeur une série de performances jubilatoires tout aussi « arrangées avec le gars des vues » que les péripéties que le film nous balance.
L'ensemble s’agence très bien, voire trop bien, ce qui précipite un exercise de style qui dévoile peut-être trop rapidement son jeu conceptuel.
Now You See Me emprunte de plus une facture visuelle s’inspirant de la télé américaine grandiloquente (
C.S.I. tout comme les jeu télévisés et autres téléréalités conceptuelles qu’on retrouve sur
TLC), pour nous rappeler que tout est ici une couche sédimentée de subterfuge dans une diégèse-oignon qu'on nous invite à explorer sans efforts. Tour de magie sur tour de magie, Leterrier, en plus de divertir, nous rappelle la nature fondamentale de ce cinéma de studio qu’il prend plaisir à faire et dont on s’amuse souvent, ici comme ailleurs, à déconstruire à coup de plume – parfois de manière justifiée, mais souvent par cynisme de critique.
D’ailleurs produit par le duo de Roberto Orci et Alex Kurtzman (dont le dernier scénario,
Star Trek : Into Darkness prenait l’affiche la semaine dernière),
Now You See Me s’avère un étonnant commentaire sur tout le manège dans lequel ces deux scénaristes nous amènent constamment; un cinéma de péripéties gigantesques trop bien huilées, dont les rouages sont souvent dissimulés à défaut de tomber en morceaux. Comme beaucoup de leurs films, certain éléments de
Now You See Me ne tiennent pas la route, mais c’est dans l’illusion constamment déconfite que ce dernier compense. Nous expliquant tout ce qui nous est présenté, l’ironie du discours étant, bien entendu, que rien n’a besoin d’être expliqué : nous y croyons déjà.
Où le film de Leterrier se prend lui-même au piège est dans la création d’un système de revirements si systématiques qu’il devient plus facile à prédire qu’une progression sans surprises – d’autant plus que la teneur même du récit («
The closer you look, the less you see ») nous invite constamment à remettre en question ce qui nous est présenté. Éliminer rapidement les options scénaristiques trop évidentes, et hop, le tour est joué!
Ceci dit,
Now You See Me, ne nécessite pas d’être sur-intellectualisé, car il demeure avant tout un surprenant divertissement
sur le divertissement qui, en plus, se targue d'un minimum d'originalité. Plus encore, il s’agit d’un film bien ficelé, bougeant à cent miles à l’heure et propulsé par des interprètes de gros calibre qui s’y amusent au même titre que Leterrier qui retrouve Paris, Morgan Freeman (avec qui il avait collaboré sur
Unleashed) dans une grande fête du divertissement, un désir de showmanship qu’on lui avait deviné ailleurs, mais qu'on n'avait jamais vu si pleinement déployé.