Dracula Has Risen from the Grave (1968)
Freddie Francis
Rouge profond
Par
Alexandre Fontaine Rousseau
Dès le générique d'introduction, une toile de fond psychédélique opposant un rouge vif à un bleu criant, Dracula Has Risen from the Grave annonce ses couleurs : celles d'un film codifié par les coloris, à commencer par le rouge éclatant de ce sang qui nous mène en l'espace de quelques plans jusqu'à la première victime de ce spectacle vampirique. Les films de la Hammer, depuis The Curse of Frankenstein (1957) de Terence Fisher, s'étaient démarqués par leur emploi outrancier de la couleur. Mais en 1968, le public cible de ce genre de cinéma connaît désormais Mario Bava. Six femmes pour l'assassin (1964), Le corps et le fouet (1964) et Opération peur (1966) ont confirmé l'incroyable flair visuel de ce peintre impressionniste de l'horreur gothique - et le Technicolor autrefois révolutionnaire de la firme anglaise paraît plutôt sage lorsqu'on le compare aux symphonies visuelles du cinéaste italien. Freddie Francis, chargé par la Hammer de réaliser ce quatrième épisode de la série des Dracula (le troisième si l'on exclue le Brides of Dracula de 1960, dans lequel le comte n'apparaît pas), ne possède peut-être pas la verve créatrice d'un Bava. Mais, tout comme l'inventeur du giallo, il a fait ses premières armes en tant que directeur de la photographie. Par conséquent, son style est essentiellement visuel - par opposition à la signature de Fisher qui est plutôt morale, idéologique.
Francis, sans réinventer la roue, va donc moderniser l'esthétique Hammer tout en respectant globalement les canons d'une tradition établie depuis plus de dix ans. L'influence italienne est évidente et l'usage quasi constant de gélatines rouges, oranges et jaunes pour souligner la présence de Dracula plongent le film dans une atmosphère surnaturelle carrément décadente. Ces excès visuels revitalisent le style Hammer, l'usage insistant de couleurs chaudes soulignant la dimension érotique du mythe du vampire. Christopher Lee, par sa puissante présence physique, canalise parfaitement l'essence de cette violence sourde - son regard gorgé de sang évoquant le monde des pulsions qui, par son entremise, se déchaîne sauvagement dans un milieu manifestement puritain. Ainsi explicitée par l'extravagance humide de l'image, cette sexualité prédatrice devient l'enjeu principal du spectacle : et les décolletés généreux qui ont fait la renommée des productions Hammer semblent attiser la passion du vampire autant qu'ils excitent le désir des spectateurs.
Suite directe du Dracula: Prince of Darkness de 1966, Dracula Has Risen from the Grave se déroule douze mois après les événements relatés par son prédécesseur. Le petit village de Carlsbad vit encore dans la terreur, ses habitants évitant l'église sur laquelle plane le spectre d'un meurtre commis un an auparavant. Même le curé local, ayant sombré dans l'alcool, semble avoir plus ou moins perdu la foi lorsqu'un haut gradé de la bureaucratie divine se présente pour constater l'état désolant de la paroisse. Désirant rassurer les fidèles égarés, le vaillant Monseigneur Muller décide d'aller exorciser la demeure du comte - mais, par la même occasion, son maladroit assistant ressuscite accidentellement Dracula. Lorsque le prince des ténèbres découvre que l'on a profané sa demeure durant son absence, il se lance à la poursuite du responsable. C'est dans la ville de Kleinnenberg qu'il retrouve le prêtre vandale, découvrant du même coup sa ravissante nièce Maria qu'il se met en tête d'initier aux voies du vampirisme pour se venger. Mais Paul, fringant prétendant de la belle, fera évidemment tout en son pouvoir pour la protéger des canines aiguisées du comte.
« Rajeunir » la Hammer, pour Freddie Francis, c'est l'éloigner de cette caméra statique, de cette mise en scène élégante, mais un brin théâtrale, qui caractérise le style Fisher. Au niveau technique, le réalisateur fait donc preuve d'un peu plus d'audace dans le but de dynamiser la facture du film. Mais, au-delà de l'esthétique, le discours lui-même cherche à correspondre plus fidèlement aux idées de son époque. Quoi que les poncifs de l'horreur gothique soient toujours bien présents, l'ensemble témoigne ainsi d'une volonté claire d'accorder ces conventions aux sensibilités nouvelles d'une société en mutation. Ainsi, Paul déclare haut et fort qu'il est athée tandis que le très conservateur Monseigneur Muller paraît, face à son interlocuteur progressiste, un brin arriéré et hypocrite. Toutefois, la suite des choses donne en partie raison à ce borné représentant de l'ordre ecclésiastique; et le jeune homme « contestataire » devra finalement se conformer aux rites chrétiens s'il désire triompher sur le mal. On peut même penser que ce signe de croix, esquissé par le héros suite à la mort du vampire, indique la conversion nécessaire de cet élément subversif - non seulement à une religion, mais à ces codes du genre auxquels il échappait jusqu'alors.
Si cette ambiguïté finale déçoit quelque peu, réduisant l'impact d'une déviation audacieuse par un retour à l'ordre légèrement forcé, elle ne gâche en rien la sauce. Fin créateur d'images, Freddie Francis livre avec Dracula Has Risen from the Grave un film visuellement somptueux : ces ballades nocturnes sur les toits brumeux de Kleinnenberg comptent parmi les plus beaux plans de l'histoire de la Hammer, conférant un certain lyrisme à la romance autrement plutôt banale entre Paul et Maria. Suite à une carrière à titre de réalisateur, pour le compte de la Hammer, mais aussi de sa firme rivale la Amicus, Francis redeviendra d'ailleurs chef opérateur - travaillant notamment sur The Elephant Man et The Straight Story de David Lynch, ainsi que Cape Fear de Martin Scorsese. Voilà qui n'a rien d'étonnant. Réalisateur, sa mise en scène toute entière est pensée en fonction de l'image : Christopher Lee, dans un rôle presque muet, est employé ici de manière strictement iconique. Dans le même ordre d'idée, l'opposition des palettes de couleur connotées et l'usage symbolique du sang confirment le parti pris de Francis pour une narration visuelle précise et efficace qui confère à Dracula Has Risen from the Grave son indéniable vigueur. À une époque où, supposément, la Hammer s'épuisait, voici une autre réussite qui prouve que les studios anglais n'avaient pas dit leur dernier mot.
Critique publiée le 13 août 2011.