DOSSIER : Le cinéma et ses conjurations
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Rise of the Planet of the Apes (2011)
Rupert Wyatt

Le singe se mord la queue

Par Mathieu Li-Goyette
Lorsque le Français Pierre Boulle écrivit son roman La planète des singes en 1963, il s'inscrivait d'abord dans la lignée d'auteurs de la trempe d'Asimov, d’Herbert, de K. Dick. Et tout cela, à une époque où la science-fiction acquerrait ses lettres de noblesse par la littérature tandis que le cinéma, par souci des trucages et des films de série B à recette, s'enlisait dans le film d'extraterrestre. Cette poignée d'auteurs dépasse la prémisse du récit originel du War of the Worlds de H.G. Wells et s'attaque bientôt à la description de mondes futuristes, utopiques ou dystopiques où les nouvelles technologies et une nouvelle manière de vivre viendront s'imposer comme une métaphore des années 50 et 60. C'est avec cette science-fiction, celle plus connue sous la plume de Richard Matheson (I Am Legend, 1954) qu'un imaginaire de la fin se met en place. Boulle, pour sa part, s'était lancé le pari audacieux de raconter la redécouverte d'une planète inconnue par des êtres humains venus de l'espace. Ils y rencontraient une poignée de leurs semblables soumis à l'esclavage sous une race intelligente de singes et, contre toute attente, comprenaient enfin qu'un cycle parcourait tout l'univers et causait, un jour ou l'autre, la victoire d'une bande de chimpanzés aux dépens de notre civilisation. À son tour, Hollywood produisit en 1968 sa célèbre adaptation avec Charlton Heston. Ici, la fameuse planète s'avérait être la Terre (on se rappellera ce plan final sur une Statue de la Liberté enfouie dans le sable), suggérant qu'après l'autodestruction de l'Homme suite aux guerres nucléaires, ses cousins primates avaient pris le contrôle du globe.

Rise of the Planet of the Apes, dernière mise en scène du jeune et talentueux Rupert Wyatt (The Escapist), remplace ces deux récits d'origine (qui se recroisaient tout de même à bien des égards) avec un film bien de notre temps. Alors que l'ambition littéraire de Boulle rappelait les élans vers l'infini d'Asimov en remettant en question l'existence d'un chaînon manquant et en faisant de l'homme une espèce à l'extérieur du règne animal qui devait obéir à des règles cosmiques intersidérales, cette remise à neuf se contente d'une introduction manière « film de contamination ». Plutôt qu’une prémonition d'une Guerre froide qui effrayait encore le monde entier lorsque le premier film fut tourné, ce sont ici les expérimentations scientifiques effectuées sur des singes dans le but de trouver un remède à l’Alzheimer qui expliqueront les premiers jours de la chute de l'humanité. Will (James Franco, qui aurait pu difficilement être plus détaché et nonchalant) cherche une cure et expérimente avec tout ce qui lui passe sous la main, même son père souffrant. Il rencontre au passage une jolie vétérinaire qu'il charmera en quelques plans, puis, après avoir caché chez lui le fils d'une guenon dont l'intelligence a été rehaussée considérablement par le médicament, il en deviendra le père plus ou moins officiel. Ce jeune singe, c'est Caesar, celui que l'on voyait mener la première rébellion dans Conquest of the Planet of the Apes (1972) et Battle for the Planet of the Apes (1973), soit le premier singe génétiquement modifié.

Et c'est tout. Rise of the Planet of the Apes n'est qu'une longue prémisse chargée à son tour de moments bien trop longs et formatés à la cadence de la formule incorrigible du blockbuster estival. Les premières scènes mettent en place, celles du milieu développent, celles de la fin concluent et on ne pourrait imaginer les raisons profondes - mis à part la possibilité de soutirer un peu d'argent à une saga qui a déjà tant souffert d'autant de suites – ayant pu motiver un nouveau départ pour un sujet qui n'est plus à la mode depuis longtemps. Qui voulait un nouveau film sur la Planète des singes? Personne.

Si, peut-être Andy Serkis, qui a encore une fois la chance de revêtir une combinaison truffée de senseurs pour jouer les héros. Pilier du cinéma populaire des dix dernières années, il aura non seulement donné vie à Gollum et King Kong, mais il aura aussi contribué à rehausser grandement la qualité de l’interprétation des personnages créés en capture de mouvements. Homme à tout faire, il montre ce dont il est capable avec en mains la même technologie utilisée pour la création des grands humanoïdes bleus d'Avatar. Comme prévu, Serkis les dépasse et parvient à créer le personnage le plus intéressant du film, et bizarrement le plus crédible. Une crédibilité pixélisée, mais au moins supportée par des moyens techniques épatants et le flair indéniable que possède Wyatt pour réaliser des scènes d'action. Visiblement habitué aux tournages dans des lieux confinés (The Escapist était, dans sa catégorie, un grand film d'évadés de prison), il est plus à l'aise entre quatre murs que dans les rues de San Francisco où ses singes ne seront de passage que très brièvement. Leurs cages, les laboratoires, le Golden Gate Bridge, la cime des arbres, les lieux privilégiés par le cinéaste sont ceux qui lui permettent d'effectuer des mouvements circulaires rapides et fluides. Il fait le tour de l'action et tourbillonne en ayant toujours comme centre Caesar, le chef d'une révolution que l'on s'efforce ici de filmer sans procurer à l'armée de singes les personnalités clichées qui accablent les humains. Disons que ce qu’il y a de moins cliché dans Rise of the Planet of the Apes, ce sont justement les macaques.

Ne s’agirait-il que d’une simple tentative de revendre des coffrets de l'ancienne série? Il ne faudrait pas s'en soulager trop vite. Compte tenu du propos grossièrement écologique de ce dernier volet, une réécriture complète de la saga est envisageable dans les années à venir, question de mettre au goût du jour ce qui ne l'était plus et d'étirer encore plus longtemps la plus longue et pénible crise des sujets du grand Hollywood. Il faut dire qu'avec la sortie de The Thing et la réinvention de Star Trek, la science-fiction subit en ce moment le même sort que celui ayant soutiré ce qui restait de qualités dans le cinéma d'horreur d'aujourd'hui (avec le récent rachat des droits de Blade Runner, il y a de quoi s'inquiéter). Malgré ses quelques grands moments et sa technique impressionnante, Rise of the Planet of the Apes est un film sorti de nulle part qui retombera probablement dans un néant gênant assez rapidement.

Pas aussi rugueux que Michael Bay, pas aussi charmant que Steven Spierlberg, Wyatt s'est pris trop au sérieux et a déséquilibré l'équation parfaitement calculée entre science et fiction. Convaincu qu'il paverait la voie à de nouveaux remakes envisagés d'une manière plus engagée, il s’est joué des codes du film de monstre, du film catastrophe et même du film de zombies pour venir à bout d'un classique qu'il aurait plutôt dû se réapproprier. Nous sommes en 2011, pas en 1968. La crainte de la fin de l'humanité, si elle est aujourd'hui omniprésente, n'est pas motivée comme dans le premier film par une crainte dissimulée d'un assouvissement communiste. Aujourd'hui, ce n'est pas des singes plus intelligent dont l'homme devrait avoir peur, mais bien des méandres d'un système qui, année après année, le pousse à singer lui-même ce qu'il a un jour été et ce qu'il ne sera jamais plus. C'est en évoluant que le singe est devenu homme...
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Critique publiée le 5 août 2011.