La Norvège est truffée de trolls.
The Troll Hunter en fait une réalité actuelle. Autrefois inhérent au folklore scandinave et à ses récits mythologiques, le troll a depuis perdu en légitimité. D’importance tantôt amoindrie, tantôt ridiculisée, ces êtres surnaturels ayant peuplé les contes d’enfance du cinéaste André Øvredal se voient ici réhabilités et retrouvent leurs lettres de noblesse. D’abord, car c’est bien la première fois qu’un long métrage (norvégien de surcroît) se consacre exclusivement aux trolls.
Bien que connus des initiés - les jeux vidéo
World of Warcraft,
Dark Age of Camelot et
Mounty Hall en regorgent -, que savons-nous de ces monstres ? Finalement pas grand chose. Il faudrait pour cela remonter à l’
Edda Poétique, texte fondateur de la mythologie scandinave datant du XIIIe siècle : terre, montagnes, arbres y sont créés à partir de la chair, des os et des cheveux du géant Ymir; de là surgissent également les trolls, entre autres créatures. Mais ici encore, ce n’est qu’une esquisse de ce que les écrits de Peter Christen Asbjørnsen et Jørgen Moe viennent couler dans le béton au cours des années 1850. Plus de cinq siècles de tradition orale sont alors récoltés, fruit d’un long travail d’enquête de terrain :
Recueil de contes populaires norvégiens met en images les mots et parfois frayeurs des fermiers et marins. Continuellement réédités sous la forme de petits fascicules illustrés, ces contes finissent par adoucir l’image du troll, réduisant sa taille de géant pour en faire l’égal de l’homme, phénomène concomitant à la christianisation du pays et la volonté d’en marginaliser les croyances populaires.
Plusieurs années après, André Øvredal s’est donné le lourd défi de la représentation. Il s’agissait pour le réalisateur-scénariste d’aller piocher dans ces sources dispersées, d’identifier les aspects les plus fidèles aux origines. En somme,
The Troll Hunter décortique de nouveau une part de la mythologie scandinave plus complexe que ce qu’elle n’y paraît. Exit les créatures hybrides de Tolkien ou le mangeur de pierre de
The Neverending Story : la présence des trolls en Norvège prend source dans la géographie escarpée du pays, ces valons et fjords tortueux que André Øvredal nous fait parcourir dans le détail, comme pour souligner la réalité surnaturelle dissimulée en chaque rocher. Car une fois endormis ou exposés à la lumière du soleil, les trolls se changent en pierre : ainsi, le regard posé sur le paysage ne doit plus jamais être le même. D’où l’emploi de la forme documentaire avec laquelle Øvredal gagne en authenticité, délivrant un «
mockumentary » hors-norme.
Des étudiants enquêtent sur un mystérieux personnage, un véritable chasseur de trolls. Face à l’insistance des jeunes documentaristes, l’homme finit par accepter de leur montrer les ficelles du métier. Quand il n’adopte pas la configuration classique de l’interrogé, face caméra, le chasseur est filmé dans le feu de l’action. Le montage ne compte d'ailleurs que ce genre d'images captées par les étudiants. Et cependant le budget de
The Troll Hunter, plutôt léger étant donné les ambitions (3.5 millions de dollars), donne au film des allures de blockbuster, apportant tous les effets visuels attendus. Puisque les personnages sont en continuel mouvement, parcourant sans cesse les chemins étroits de Norvège (jamais le réseau routier du pays n’aura fait l’objet d’une telle attention au cinéma), Øvredal affiche également un intérêt manifeste pour le road movie, tandis que son film cultive le filon des
Dead Snow,
[Rec],
Cloverfield, et surtout
The Blair Witch Project. Bien éloigné de la pâle copie, le mélange de ces styles et influences aboutit donc à un nouveau sous-genre du cinéma fantastique : le film de trolls. Et cela ne s’arrête pas là. Construisant et étoffant la base des archétypes génériques (la distinction faite entre les ethnies de trolls, dont celle du troll des montagnes versus le troll des forêts, par exemple), le cinéaste opère un habile exercice de distanciation comique. On placera ceci sous le couvert de l’humour norvégien, un esprit caricatural qui ne tarde pas à s’attirer la faveur du public.
The Troll Hunter fait rire, sert sur un plateau autant l’humour lourd que les spectateurs attendaient (en particulier lorsque des trolls géants s’adonnent à un concert de flatulences pour le moins inédit) que la parodie des codes tant de fois usités dans le cinéma d’horreur (un personnage finit dévoré, tout le monde est bien triste, petite sérénade à l’appui). Dans cet esprit, André Øvredal opte pour une construction scénaristique ascendante, nous réservant le plus gros troll pour la fin. Ici, pas question d’entretenir l’inconfort et l’angoisse du spectateur en dissimulant le monstre :
The Troll Hunter joue la carte du frontal, reproduisant la recette gagnante de
Jurrassic Park et
Jumanji. Les géants sont exposés plein cadre dans leur intégralité, et cela quand bien même la plupart des scènes sont nocturnes. Poursuivant le riche travail de Theodor Kittelsen, principal illustrateur de trolls, le cinéaste retire les habits et le don de la parole faussement attribués à ces créatures pour en faire des bêtes féroces. Munis de trois nez, à moitié aveugles ou manchots, les trolls selon Øvredal, loin des figurines touristiques vendues en Norvège, restent pour autant attachants dans leur difformité comme leur maladresse et convoquent la sympathie du spectateur.
Sympathies qui vont également au personnage du chasseur : rustre à merveille, solitaire habile comme il se doit, il n’est jamais sans ressource, surtout en situation de danger. Interprété par l’excellent Otto Jespersen, il dissémine d’abord les informations que sont venus chercher les étudiants. Au final, tout le récit passe par lui lorsqu’il accepte de se confier, apothéose d’un système narratif jouissif dans sa prévisibilité. En effet, nous ne sommes pas surpris d’apprendre l’existence d’un organisme paragouvernemental tout droit sorti de l’imaginaire de
The X-Files, le TSS - Troll Security Service. L’État dissimule depuis des années l’existence des trolls et malgré les apparences, notre homme n’agit pas seul. André Øvredal tourne les moyens du bord à son avantage avec originalité lorsqu’il intègre des images de l’actuel premier ministre norvégien dans un épilogue aux accents politiques, ou encore lorsque le chasseur justifie la présence de pylônes électriques formant un curieux tracé concentrique : il s’agit en fait d’un vaste enclos utilisé pour éloigner les monstres de la civilisation.
Voici donc un film qui part avec une longueur d’avance, ayant tous les avantages d’une première fois. C’est une remise à jour réussie qui n’est pas seulement due à la grande qualité des effets visuels. L’accent est mis ici sur l’incongruité du sujet en même temps que sur les bases d’un système narratif rodé, mais qui demeure typiquement norvégien.
The Troll Hunter en dit long sur le mode d’emploi à suivre par les producteurs et distributeurs désireux de faire voyager leurs films commerciaux à l’étranger sans heurts, et avec succès.