Les grands pouvoirs viennent avec de grandes responsabilités
Par
Mathieu Li-Goyette
Mythes par excellence depuis l'industrialisation accélérée des États-Unis au XXe siècle, les super-héros sont en soi les dignes descendants des cowboys du Far West. Bien qu'ils aient de nouveau la cote auprès du grand public (n'appartenant donc plus à cette culture « geek » qui a su si bien les protéger au cours des périodes les plus sombres) grâce à des longs métrages à grand déploiement, l'écriture de leur histoire demeure à faire, tout comme la réflexion sur l'ampleur de l'influence qu'ils auront eu sur les générations passées et futures. Bizarre, en effet, que des hommes masqués dictent le comportement des plus jeunes, fassent courir les foules les plus matures et puissent encore faire jubiler les plus sceptiques. Justiciers masqués, on ne saurait leur en vouloir de désirer communiquer au monde les bonnes vertus de la morale américaine et de son système qui, en en faisant ses hérauts, a su se garantir dans le monde moderne des idoles nouveau genre, des dieux qui provoqueraient autant l'admiration que les anciennes déités, des hommes et des femmes associés à une idée générique si forte qu'ils guideraient le peuple comme le dieu grec le fit autrefois (un super-héros maîtrise le feu comme Zeus pouvait maîtriser l'éclair). Du Panthéon jusqu'aux Avengers de Marvel (le groupe réunissant les Iron Man, Thor, Hulk et autres), les choses semblent effectivement avoir bien peu changé.
Là où le premier documentaire de Michael Barnett nous apparaît particulièrement intéressant, c'est dans sa manière de creuser l'influence populaire que peuvent avoir eu des super-héros sur des gens plus démunis ou dans le besoin d'une figure forte, autoritaire, bref le modèle qu'ils étaient supposés incarner. Déterminés à faire le bien et à améliorer la société dans laquelle ils vivent, ces hommes se sont conçus des costumes, des armes secrètes, des plans d'attaques et des horaires de patrouille. Ils sont des « real-life superheroes », des « vrais super-héros », et patrouillent les rues de New York, San Diego, Vancouver et bien d'autres. Ils sont aussi vrais que vous et moi, aussi mortel que le premier venu et, puisque leur métier n'impliquera probablement jamais de combattre des « super-vilains » (l'idée est au moins cocasse), ils s'occupent de chasser les truands des parcs pour enfants et de venir en aide aux sans-abris. Ce sont, à quelques détails près, des bienfaiteurs bénévoles, des gens immensément généreux dont le vice est de vouloir se déguiser et d'imposer une autorité qui, sans badge, les met en danger plus qu'elle ne les élève sur le piédestal héroïque tant convoité.
Ainsi, nous suivons Mr. Xtreme ou Master Legend, Apocalypse Meow ou The Cameraman, des individus à l'identité double qui luttent la nuit et travaillent le jour - et non, le métier n'est visiblement pas encore reconnu par l'état. Et ces gens, Barnett s'est donné comme mission de les suivre et d'en faire un portrait éminemment humain. Il les respecte, sait rire avec eux, délimite ce qui est ridicule et ce qui est sérieux (l'exercice ne semble jamais avoir été aussi difficile dans le monde du documentaire) et parvient surtout à se glisser dans leur quotidien et à observer la manière dont ils tentent d'accomplir l'impossible.
En fait, c'est par ce qui est possible que Superheroes nous fera retenir quelques belles leçons. À des centaines de kilomètres de distance, deux super-héros partagent la même conviction et vénèrent le même anniversaire : la mort dans les années 60 d'une jeune newyorkaise sans défense tabassée, violée et tuée sous les yeux de trente-huit voisins qui n'ont rien fait. L'objectif premier de ces défenseurs nocturnes de la liberté est précisément de répondre à l'appel là où le citoyen moyen aurait plutôt tendance à se désister. Pour expliquer l'impulsion héroïque de ces intervenants, Barnett s'appuie constamment en allers et retours sur le témoignage d'une psychologue spécialisée en la matière (et dans tout ce que l'esprit peut concevoir comme « masque ») et une officière de la police dont le discours tourne autour de la responsabilité civile des citoyens et du trop grand risque que prendraient ceux souhaitant faire face eux-mêmes aux brigands de la rue. À ce sujet, elle n'a pas tout à fait tort. Du gaillard rouge s'électrocutant avec son propre « taser » à Master Legend et son douteux canon à patates lanceur de glaçons, l'arsenal et la subtilité de certains de ces hommes courageux laisse parfois à désirer. Entre la bonne cause sociale et la folie d'une enfance qui n'a jamais atteint la maturité, le « problème » de ces vrais super-héros est à la fois un baume sur les bas-fonds de la société qui les a vus naître tout en étant symptomatique d'un monde en quête de héros et en manque de stabilité dans son imaginaire.
Tout fluctue, tout est trouble, autant pour nous qui ne croyons pas voir ce que nous voyons (comme ce petit bonhomme musclé et équipé d'un habit bien moulé jetant d'un parc un immense revendeur de drogue). À confondre avec le cinéma de super-héros, l'originalité de ces gens a été captée par Barnett avec un sens du détail et un plaisir apparent (ces séquences servant de transitions, la qualité des intervenants, leur diversité et la manière dont chacun est caractérisé) qui n'est pas celui du simple reportage. Produit par HBO, Superheroes a un brillant avenir devant lui, lequel promet de le mettre en tête de liste de ce qui se formera un jour par le regard rétrospectif que nous porterons à cette époque où le shérif de la ville ensablée a fait place au justicier à l'identité inconnue. Plus qu'auparavant, l'idée que nous pourrions tous avoir une identité secrète a lentement triomphé des anciennes représentations américaines de l'héroïsme. Tout le monde peut être un patriote, un héros, un super-héros. En quelque sorte, Superheroes est une magnifique introduction à un monde aux côtés niais, mais au coeur si généreux, à l'amour si débordant envers une culture populaire, envers un art de la bande dessinée permettant d'égailler des visages, qu'il faudra un jour rendre hommage à cette mode avant qu'elle ne s'essouffle et qu'elle ne dépérisse comme Spider-Man jetant son costume aux poubelles ou comme Batman refusant à tout jamais de sortir de sa Batcave. Le public décidera donc du sort de ces films, de cette culture et, ultimement, du sort que l'on réservera à ceux qui s'en sont fait un mode de vie. D'ici là, ils tiennent mordicus à leurs associations, stipulant que tout être humain à en lui un pouvoir énorme et donc, comme l'a dit l'oncle Ben, que les grands pouvoirs viennent avec de grandes responsabilités.
Critique publiée le 18 juillet 2011.